Après avoir sorti en janvier dernier deux films du grand Sergeï Bondarchuk, Le Destin d’un homme et Ils ont combattu pour la patrie, Rimini Editions met de nouveau le cap à l’Est et l’ex-URSS avec un bijou de cinéma signé Emil Loteanu, Un Accident de chasse. Adapté du roman d’Anton Tchekov, Drame de chasse, le film est sorti en 1978 quelques années après le plus grand succès de son auteur, Les Tsiganes montent au ciel, qui avait cumulé plus de soixante millions d’entrée en URSS. Présenté en ouverture du Festival de Cannes 1978, Un Accident de chasse marque une rupture dans la filmographie de Loteanu qui avait jusqu’ici surtout traité de sujets propre à sa Moldavie natale et aux tziganes.

Produit par la plus grosse maison de production soviétique, Mosfilm, le film fut quasi intégralement tourné près de Moscou dans la demeure du domaine Valuevo, qui grâce au succès du film est devenu de nos jours un musée. Doté d’un casting solide et expérimenté, avec notamment Oleg Yankovskiy qui tourna régulièrement avec Andreï Tarkovski, le long-métrage permet aussi la révélation d’une débutante, Galya Belyaeva. Cherchant un « sosie » d’Audrey Hepburn, Loteanu trouva en cette jeune danseuse d’à peine seize ans sa muse… en même temps que sa future femme, malgré leurs 25 ans d’écart d’âge…

Incarnant à merveille « le doux et tendre animal sauvage » du titre original dans un « rôle beau, complexe, plein de tragédie et de charme » (selon Loteanu), l’actrice est filmée amoureusement par son réalisateur qui la transforme en une « sauvageonne » faisant tourner la tête de tous les hommes qu’elle croise. Sa première apparition dans la forêt à cheval, la valse du mariage et d’autres scènes la mettant en vedette sont ainsi de superbes tableaux magnifiés par la musique d’Eugen Doga.

Un sommet artistique

Si les intrigues découlant de ce carré amoureux, où la jeune et pauvre Olenka se voit courtiser par les trois riches amis, pourront laisser de marbre certains d’entre nous, difficile de ne pas apprécier le lyrisme déployé par Loteanu et son équipe. En effet, grâce à la superbe copie proposée par Rimini, l’absolue beauté du film ne peut laisser indifférent. Célèbre directeur de la photographie du cinéma soviétique et fidèle collaborateur de Sergeï Bondarchuk, Anatoli Petritsky et sa patte illuminent le film via des mouvements de caméra amples et nerveux, ainsi qu’une mise en valeur des couleurs soulignées par les éclairages, bien souvent naturels.

Les scènes, telles des toiles de maître, s’enchaînent, et si nous en prenons plein la vue, nos oreilles ne sont pas en reste face à la sublime Bande Originale composée par Eugen Doga. Avec plus de deux-cents musiques de films à son actif, le musicien signe ici sa plus célèbre composition avec notamment une valse de toute beauté, qui cristallise toutes les explosions émotionnelles du récit. Reconnue comme l’un des chefs d’œuvre musicaux du vingtième siècle par l’UNESCO, utilisée lors des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques de 1980 à Moscou et de 2014 à Sotchi, cette valse reste une référence en Russie et accompagne encore les mariages de nos jours.

Alors que la Guerre Froide prendra un nouveau tournant après l’invasion de l’Afghanistan en 1979, Un Accident de chasse, sorti cette même année dans les salles françaises, fait donc partie des derniers films soviétiques ayant reçu un accueil critique et public important en Occident, avant un désintérêt certain. Un succès mérité pour un film qui quarante-cinq ans après demeure toujours une réussite, aussi bien visuelle que sonore, lorgnant autant vers le drame et le mélo que le polar.