TOUT PRÈS DE SATAN
Ten Seconds To Hell – Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne de l’Ouest – 1959
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Robert Aldrich,
Acteurs : Jack Palance Jeff Chandler, Martine Carol, Robert Cornthwaite, Dave Willock, Wesley Addy, …
Musique : Kenneth V. Jones
Durée : 93 minutes
Image : 1.6616/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Rimini Editions
Date de sortie : 19 septembre 2023
LE PITCH
Berlin, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Six anciens prisonniers de guerre allemands s’engagent dans une périlleuse mission de déminage. Au milieu d’une ville en ruines, ils doivent désamorcer des dizaines de bombes…
Allemagne, Année Zéro
Derrière un titre français un peu trompeur se dissimule une production Hammer pas banale menée par un Robert Aldrich cherchant à remettre sa carrière sur pied après un séjour houleux à la Columbia. Ancêtre lointain du Démineurs de Kathryn Bigelow, ce drame viril planté dans un Berlin post-apocalyptique oscille entre un ennui poli et des scènes de suspense menées de main de maître mais assénées à un rythme très vite répétitif.
Tout près de Satan (Ten Seconds To Hell en VO) est l’adaptation d’un roman de Lawrence P. Bachmann intitulé « The Phoenix » et publié en 1955. Scénariste pour la RKO puis la MGM avant-Guerre, Bachmann sert sous les drapeaux en tant que correspondant et journaliste pour l’U.S. Air Force. Une mission qui lui vaut d’atterrir à Berlin tout de suite après l’Armistice pour y reprendre ses activités cinématographiques, cette fois-ci pour le compte du Département d’État Américain. Observateur au quotidien d’une Allemagne exsangue, dévastée par les bombardements et entamant sa lente reconstruction, Bachmann y trouve la matière première pour une histoire mêlant suspense, drame, rivalité, culpabilité et mélodrame.
Essoré par son procès avec la Columbia suite à son éviction du tournage du film de gangsters The Garment Jungle, inactif depuis près d’un an en raison de problèmes de santé et soucieux de retrouver au plus vite le chemin des plateaux de tournage, Robert Aldrich tombe tout à fait par hasard sur le roman de Bachmann et choisit d’en faire son prochain film. Signant l’adaptation en personne en collaboration avec l’actrice et scénariste Teddi Sherman, Aldrich nourrit de grandes ambitions pour un projet qui prend très vite des allures de coproduction internationale avec un partenariat entre la Hammer Films, Seven Arts Productions et United Artists. Malheureusement, le cinéaste va très vite déchanter. Devant composer avec une santé toujours fragile, le caractère de cochon de Jack Palance et une équipe technique allemande dont les méthodes de travail sont à l’opposé des siennes, Aldrich est au bout du compte dépossédé de son film en salle de montage. Amputé de près d’une demi-heure (si ce n’est plus) Tout près de Satan est vendu en salles comme une série B de plus, un thriller à sensations fortes, à des années lumière du mélodrame existentialiste et pessimiste qu’il est réellement.
Les damnés
S’ouvrant et se concluant par le biais d’une voix-off ringarde qui simplifie les enjeux de l’histoire au maximum et qui réfute le nihilisme du climax, Tout près de Satan est de toute évidence une œuvre mutilée. Mais de là à croire qu’un chef d’œuvre a rendu l’âme sous les coups de ciseaux d’un monteur exécutant avec zèle les basses œuvres de producteurs peu scrupuleux, la théorie est peu crédible. Dans les faits, Aldrich se débat avec deux lignes narratives qui ne s’accordent pas aussi bien qu’elles le devraient.
Tourné à Berlin dans ce qu’il restait alors des stigmates des bombardements Alliés, Tout près de Satan affiche à son bénéfice un réalisme glaçant dans son constat du désespoir, de la misère et du fatalisme de survivants embarqués dans une mission suicide quotidienne, d’abord pour l’argent, et surtout parce qu’il n’y a rien d’autre de mieux à faire dans ce monde en ruines. La fascination de Aldrich pour cette brigade de gueules cassées ayant renoncé à la gloire ou à l’honneur est bien évidemment annonciatrice de l’esprit de corps à la morale douteuse des Douze Salopards, avec dix bonnes années d’avance. Quant aux opérations de déminage menées dans des conditions précaires et dans un silence assourdissant, elles donnent lieu à de sacrés pics de tension … qui vont hélas en décroissant, la faute à une mise en scène certes efficace mais qui ne cherche que trop peu à se renouveler.
Lorsqu’il braque sa caméra sur le triangle amoureux formé par Jack Palance, Jeff Chandler et la très touchante Martine Carol, on sent en revanche le cinéaste moins à son aise, englué dans un script bavard et qui ne décolle jamais. En cherchant à privilégier et à développer la rivalité entre Chandler (parfaitement antipathique) et Palance (trop fébrile pour convaincre tout à fait), Aldrich fait trop vite l’impasse sur le personnage de Margot, une française en exil pour être tombée amoureuse d’un allemand et qui souhaite ne plus jamais ouvrir son cœur à qui que ce soit. Une erreur. Aldrich a beau multiplier les mouvements d’appareil élégants et les cadres soignés, sa conception d’une intrigue intimiste fait (un tout petit) plouf.
Prometteur et intrigant lorsqu’il colle aux basques de morts en sursis condamnés à revivre chaque jour le même calvaire dans un purgatoire à ciel ouvert mais laborieux et décevant lorsqu’il cherche à voir éclore une rose au beau milieu de ce tas de fumier, Tout près de Satan ne laisse en bouche qu’un goût un peu fade.
Image
Un peu de bruit vidéo lors des dernières scènes et quelques points blancs sont les seuls reproches que l’on puisse formuler à l’encontre d’un transfert globalement propre, à la définition satisfaisante et aux contrastes aiguisés. En mettant la main sur le master restauré avec soin par Kino Lorber, Rimini a fait le bon choix.
Son
Plus organique et réaliste que la version française, le mixage mono d’origine souffre du même problème, à savoir un souffle insistant en arrière-plan. Si le confort d’écoute reste dans la bonne moyenne, c’est tout de même le gros point noir de cette édition.
Interactivité
Deux suppléments très complémentaires et réalisés pour cette édition viennent approfondir l’expérience du film. Fort bien documenté et riche en anecdotes de tournage, l’entretien avec Frank Lafond revient en détail sur la production compliquée de Tout près de Satan, ébauchant plusieurs angles d’analyse de l’œuvre … lesquels sont développés avec enthousiasme par le critique Jacques Demange, une des plumes du magazine Positif. Seul regret : ne pas en savoir davantage sur la teneur des nombreuses scènes coupées au montage. Pour le reste, c’est du tout bon.
Liste des bonus
« Les coulisses de l’enfer » (22 min), « Un monde en ruines » (15 min), Bande-annonce.