TOKYO-GA
Etats-Unis, Allemagne – 1985
Support : Bluray
Genre : Documentaire
Réalisateur : Wim Wenders
Acteurs : Chishu Ryu, Werner Herzog, Yuharu Atsuta, Chris Marker, …
Musique : Laurent Petitgand
Durée : 93 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 5.1 & 2.0
Sous-titres : Français
Editeur : Carlotta Films
Date de sortie : 19 mars 2024
LE PITCH
Au printemps 1983, suite au report du tournage de Paris, Texas, le cinéaste allemand Wim Wenders se rend à Tokyo avec son producteur et filme la mégalopole nippone comme l’aurait sans doute fait Yasujiro Ozu, son réalisateur préféré, disparu 20 ans plus tôt.
Voyage à Tokyo
Après de superbes éditions consacrées aux Ailes du désir et à la Trilogie de la route, Carlotta poursuit son exploration de l’œuvre de Wim Wenders et ressuscite Tokyo-Ga, son premier long-métrage documentaire en solo et un hommage vibrant à Yasujiro Ozu. Entre vignettes fascinantes de la vie quotidienne tokyoïte et entretiens émouvants avec d’anciens collaborateurs du réalisateur du Goût du Saké, Tokyo-Ga s’égare aussi dans une narration prétentieuse et ampoulée et souffre d’une bande-originale casse-bonbons.
Bien que Wim Wenders s’en défende dès les premières minutes, Tokyo-Ga s’apparente sans ambiguïté au pèlerinage d’un artiste sur les traces de son idole. En s’ouvrant et en se concluant sur le début et la fin de Voyage à Tokyo, film emblématique d’Ozu sorti en 1953, Wenders ancre sa démarche documentaire dans la filiation directe de la filmographie d’un cinéaste qui se posait en observateur minutieux et infatigable des mutations de la société nippone. Très consciemment, Wim Wenders tente de combler le vide des deux décennies causées par la mort de Yasujiro Ozu et analyse par couches successives la science du regard du réalisateur disparu. Il n’imite pas mais il cherche en tous cas à comprendre et à décrypter une technique qui ne peut que lui échapper, fossé culturel oblige. La démarche est passionnante et ambitieuse. Ou elle le serait si la prétention et l’ego de Wim Wenders ne prenait pas aussi souvent le dessus. Assurant la narration en personne, Wenders pose certes les bonnes questions (le rapport entre l’image et le souvenir, l’équilibre entre le recul et l’immersion) mais le ton est sentencieux, universitaire et inabouti. De sa voix pesante et hésitante, Wenders jette ses théories au petit bonheur la chance sans les développer vraiment et certaines digressions sont carrément embarrassantes comme cette rencontre lunaire avec un Werner Herzog de passage et visiblement sous influence de substances pas très licites ou encore cette tentative ratée de filmer un Chris Marker réfractaire dans un bar interlope. Difficile d’avaler aussi le refus de sous-titrer les propos de Chishu Ryu et de Yuharu Atsuta, Wim Wenders préférant là encore assurer le doublage lui-même, comme s’il cherchait à « habiter » ces rencontres, volant la voix de ses interlocuteurs sans le savoir. Il faudra enfin une certaine dose de courage et d’abnégation pour passer outre le score électronique, minimaliste et carrément neuneu du français Laurent Petitgand, véritable faute de goût de la part d’un cinéaste à la réputation de mélomane.
Le vagabond de Tokyo
Fort heureusement, Wim Wenders parvient à compenser ces quelques choix maladroits et il faut le bien dire assez casse-burnes (est-ce vraiment nécessaire de surjouer la partition de « l’auteur » ? non, pas vraiment, mon loulou) par un regard très assuré et un sens de l’observation qui aura su faire école. Impossible, en effet, de ne pas voir en Tokyo-Ga la matrice du Lost in translation de Sofia Coppola. Qu’il se perde dans les salles bruyantes de pachinko dans le quartier de Shinjuku, qu’il se promène dans des cimetières où se multiplient les pique-niques et les promenades familiales ou qu’il observe ces artisans/magiciens qui confectionnent avec de la nourriture et de la cire des plats factices pour les devantures des restaurants, le cinéaste allemand nous plonge dans un autre monde avec poésie, curiosité et bienveillance. Rarement le sentiment de ressentir le décalage horaire par l’image aura été aussi agréable et enveloppant.
Tokyo-Ga marque aussi des points dans les deux moments les plus attendus par tout fan d’Ozu qui se respecte. D’abord, la rencontre avec l’acteur Chishu Ryu, humble et reconnaissant. Homme de peu de mots, il nous éclaire pourtant sur la relation que le cinéaste entretenait avec ses comédiens et ses comédiennes, mélange de patience et de travail acharné. Vient enfin le coup de grâce et l’émotion brute lors d’une longue interview de Yuharu Atsuta, chef opérateur d’Ozu. Les anecdotes et les explications techniques sont emportées par les larmes du vieil homme, lequel n’a pas pu (n’a pas su?) poursuivre sa carrière après le décès du metteur en scène. Les frontières entre le travail, l’art et l’amitié se dissipent peu à peu et Tokyo-Ga atteint son objectif in extremis, presque par accident. Comme le dit si bien Luc Lagier dans son émission Blow Up : Yasujiro Ozu, c’était qui – ou, plutôt, c’était quoi ? On remerciera Wim Wenders de nous avoir apporté sur un plateau quelques très beaux éléments de réponse.
Image
En préambule du lancement du film, un carton-titre nous éclaire sur la restauration en 2K d’un film à l’origine très abîmé, notamment en termes de couleurs, lesquelles avaient semble-t-il perdu leur teint pastel. Malgré le fourmillement (discret) et le grain (un peu moins discret), le résultat est épatant et offre une seconde vie à ce documentaire capté en 16mm avec les moyens du bord. La définition est bluffante et les couleurs affichent un naturel étourdissant.
Son
Carlotta n’a retenu que le doublage français mais le décline en 5.1 et en stéréo. Sans artifices inutiles, la piste multicanaux propose une spatialisation convaincante et parfaitement adaptée à l’ébullition permanente des rues de Tokyo. Le 2.0 est plus proche de l’expérience originale mais bien moins confortable à l’écoute, probablement parce que le score de Petitgand y est bien moins dilué.
Interactivité
On passera sur le presque quart d’heure de scènes coupées (et restaurées), très facultatif, pour se concentrer sur un entretien inédit d’une richesse peu commune avec le réalisateur Wim Wenders. Outre les secrets de fabrication du documentaire et les circonstances qui ont amené à sa genèse (en gros, une improvisation totale), le cinéaste allemand développe avec bonheur la postérité de Tokyo-Ga lorsqu’il évoque le leg inattendu de Yuharu Atsuta ou sa relation amicale et durable avec la propriétaire d’un bar de Tokyo. De l’or en barres.
Liste des bonus
Entretien avec Wim Wenders (43 minutes), Scènes coupées avec accompagnement musical (14 minutes).