THE PAWNBROKER
États-Unis – 1964
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Sidney Lumet
Acteurs : Rod Steiger, Geraldine Fitzgerald, Brock Peters, Jaime Sanchez, Thelma Oliver, Marketa Kimbrell…
Musique : Quincy Jones
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais DTS-HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 116 minutes
Editeur : Potemkine Films
Date de sortie : 7 décembre 2021
LE PITCH
New York. Devenu prêteur sur gages, un rescapé des camps de concentration est tourmenté par ses souvenirs traumatiques et son nouvel environnement hostile.
Entre-deux
Vraie curiosité que cette rareté fraîchement restaurée. Signée de l’illustre Sidney Lumet, The Pawnbroker constitue une œuvre déroutante. Dense, remuante, bordélique. À la fois bancale et passionnante, elle s’impose comme une sorte de charnière entre l’ère déclinante des studios et la déflagration annoncée du « Nouvel Hollywood ». Un film engagé, courageux, à la lisière de l’avant-garde. Et dont les thématiques difficiles, exemptes de tout manichéisme, laissent un arrière-goût amer.
Sidney Lumet fut un cinéaste important. On lui doit une poignée de chefs-d’œuvre certifiés : Douze hommes en colère bien sûr. Mais aussi Network, Le Prince de New York. Et les deux diamants bruts que sont Serpico & Un après-midi de chien, portés par l’interprétation brûlante d’Al fuckin’ Pacino. Tout au long de sa carrière, Lumet (issu du théâtre et de la télévision) a bâti une filmographie aussi solide qu’intransigeante. Une filmo qui colle au réel et à toutes les aspérités qui en découlent. Tourné un peu avant son âge d’or, The Pawnbroker est loin d’opter pour la facilité. Ne serait-ce que dans les enjeux traités : les conséquences de la Shoah, du racisme et des problématiques inhérentes aux mouvements des droits civiques.
À cette époque (le milieu des sixties), peu de long-métrages américains mettaient ainsi les pieds dans le plat. On y suit le quotidien troublé de Sol Nazeman (Rod Steiger, pétrifiant d’intériorité). Témoin de la mort de sa femme et de son fils dans les camps de la mort, ce dernier s’est exilé à New York en tant que prêteur sur gages. Semblable à un zombie, hanté et rongé par la culpabilité, il semble avoir perdu toute humanité. Et ce n’est qu’au contact d’un jeune commis portoricain qu’il commence à se rouvrir aux autres. Mais trop tard.
Exercice de style
The Pawnbroker est pétri de fulgurances formelles. Filmé au cœur des districts déshérités de la Grosse Pomme, il suinte l’immédiateté, le béton, la crasse et les menus larcins. Les métros sont bondés. Les rues et ruelles, totalement anxiogènes. Et les décors ? Un enchevêtrement d’ombres et de lumières. Une multitude de portiques, de corridors autres grillages inhospitaliers. Quant à l’échoppe dans laquelle officie cet anti-héros pur jus, elle évoque une prison létale et oppressante ; une geôle mentale lui rappelant à chaque instant sa cellule d’ancien déporté. Pis, ce microcosme suffocant voit graviter tout un tas de paumés, de prostituées, de petites frappes et de sordides maîtres chanteurs. Autant de visiteurs malvenus qui précipiteront sa chute.
Adapté d’un roman éponyme et filmé dans un noir et blanc médicinal, The Pawnbroker déploie un foisonnement visuel qui ne laisse pas indifférent. Souvent dérangeante, la destinée de cette âme maudite se refuse à tout enjolivement factice. Comme toujours chez Sidney Lumet, le glamour est prohibé. En résulte un long-métrage quelquefois dur d’accès. Opulent, mal-aimable et déséquilibré, il est traversé de flashbacks insoutenables, de focales courtes, de travellings façon documentaire et d’architectures urbaines aux confins de l’onirisme. On a parfois l’impression de visionner plusieurs œuvres en une : un polar, une étude psychologique, un drame social, du cinoche d’art et essai ? Les frontières sont infimes et le trop plein stylistique peut rebuter. Mais il colle parfaitement au contexte dans lequel The Pawnbroker a vu le jour.
Effet d’annonce
En réalité, le film traduit l’état dépressif du cinéma américain à un instant T. Produit en toute indépendance, mis en musique par Mr. Quincy Jones et muni d’une équipe de techniciens pour la plupart européens, The Pawnbroker est bien plus proche du Jazz et de la « Nouvelle Vague » que des grosses meringues en technicolor qui inondaient les écrans. Dans le choix du casting déjà, avec la présence de Rod Steiger. Un disciple de l’Actors Studio qui, bien dirigé, a souvent fait preuve d’un charisme animal des deux côtés de l’Atlantique. C’est le cas ici : il est fabuleux en homme brisé semblable à une grenade dégoupillée. Comme il fut légendaire chez Elia Kazan (Sur les quais), Norman Jewison (Dans la chaleur de la nuit), Francesco Rosi (Main basse sur la ville ou Lucky Luciano) et Sergio Leone (Il était une fois la révolution).
Pour le reste, Lumet réquisitionne des comédiens semi-amateurs dont le jeu « saisi sur le vif » accentue le souci de véracité. Lui-même inspiré de Shadows de John Cassavetes, The Pawnbroker annonce le tsunami créatif qui s’apprête à secouer Hollywood de l’intérieur. Dans sa représentation de la violence et de la sexualité, il anticipe la future émancipation des minorités ethniques et traite en parallèle de la libération des mœurs. Avec son usage très audacieux de la nudité (traitée frontalement), le réalisateur a profondément bousculé la censure. À tel point que le film mettra près de trois ans à sortir sur les écrans américains. Sauf qu’après, rien ne sera plus comme avant… Et puis, en pur cinéaste new-yorkais, Sidney Lumet ausculte la ville et ses habitants comme personne. Bon nombre de cadors en devenir puiseront allégrement dans son art si personnel : Martin Scorsese, William Friedkin, Abel Ferrara, Spike Lee, James Gray ou plus récemment les Frères Safdie. Un héritage intense et bouillonnant. À son image.
Image
Longtemps introuvable (ou uniquement en import), The Pawnbroker avait un peu disparu des radars. Cette sublime restauration en haute-définition met fin à l’injustice. Contrastes saisissants de précision, majesté du noir et blanc: le spectateur redécouvre le boulot incroyable effectué par Lumet et son directeur photo (le frère de Dziga Vertov) dans le traitement visuel. Les scènes de rue comme celles en intérieur brillent par leur netteté et leur évocation cauchemardesque. C’est beau et remuant à la fois. Chapeau à Potemkine pour ce travail d’orfèvre.
Son
Ici aussi, on s’incline. En même temps, avec Quincy Jones aux platines… Le prodige, dont c’est la première incursion cinématographique, met tout son génie au service de thèmes puissamment modernes. Entre la musique atmosphérique et le free-jazz, la partition intimide. Et prouve une nouvelle fois que tout ce que touche Mr. Jones se transforme en or.
Interactivité
Déjà, la pochette en jette : avec le hurlement muet de Rod Steiger, le ton est donné. Du côté des bonus, l’excellence est de mise. Tout d’abord grâce à l’item consacré au sujet délicat de la représentation de la Shoah au cinéma. Et surtout via l’interview du critique Nicolas Saada. The Pawnbroker est replacé dans son contexte. On y découvre également qu’elle était la place et l’influence (immense) de Sidney Lumet au sein du cinéma américain. C’est simple, après visionnage, vous n’aurez qu’une seule envie : vous refaire toute sa filmographie.
Liste des bonus
Analyse du film par Nicolas Saada (13′), «La Shoah au cinéma» par Jean-Michel Frodon (22′), bande-annonce originale.