LA COMTESSE AUX PIEDS NUS
The Barefoot Contessa – États-Unis, Italie – 1954
Support : Bluray & DVD
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Joseph L. Mankiewicz
Acteurs : Humphrey Bogart, Ava Gardner, Edmond O’Brien, Marius Goring, Valentina Cortese
Musique : Mario Nascimbene
Durée : 130 minutes
Image : 1.85
Son : Anglais DTS HD Master Audio 5.1 et 1.0, Français DTS HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta
Date de sortie : 22 novembre 2022
LE PITCH
C’est sous la pluie, dans un cimetière italien, que le réalisateur hollywoodien Harry Dawes assiste à l’enterrement de la comtesse Torlato-Favrini. Il se remémore sa première rencontre avec la défunte. Elle n’était pas encore comtesse, ni star de cinéma, juste Maria Vargas, danseuse ensorcelante et sauvage d’un cabaret madrilène…
An American Dream
Après le monde du théâtre dans All About Eve, Mankiewicz s’attaque à celui pas plus reluisant du cinéma et pour cela s’échappe du carcan des grands studios américains. Le film de l’indépendance retrouvée, mais tout aussi vite perdue, qui reste une nouvelle preuve éclatante de la singularité de l’œuvre avant-gardiste de Joseph L. Mankiewicz.
Lassé de devoir batailler le moindre bout de gras avec la tonitruante MGM, après s’être échappée de la Twenty Century Fox avec qui il avait été sous contrat presque toute sa vie, Joseph L. Mankiewicz décide de créer sa propre société de production, Figaro Inc. et de transformer son projet de roman décrivant l’ascension incomprise d’une jeune star en un nouveau film qui sera à même de refléter son regard intérieur et amer sur le milieu qu’il connait si bien. Tourné en Europe loin d’Hollywood, La Comtesse aux pieds nus n’échappera malheureusement pas totalement à la réalité américaine, ainsi comme souvent également scénariste de ses projets, Mankiewicz devra se résoudre à revoir certaines thématiques, à les déguiser pour passer sous le couperet de la censure (l’homosexualité du beau Comte italien ne subsistera que par deux plans équivoques sur son chauffeur) mais aussi à restreindre parfois ses ressemblances avec quelques personnalités, Howard Hugues ne gouttant que peu par exemple les références à peine déguisées faisant état de ses mauvais traitements envers les femmes. Amoindri, malmené, mais certainement pas étouffé dans l’œuf, La Comtesse aux pieds nus reste un film qui prend constamment les conventions du cinéma américain à rebrousse-poil se serait-ce qu’en faisant de l’immense Humphrey Bogart, ici à la fois ombre de sa propre mythologie et double du cinéaste, non pas le personnage masculin principal, ni même le partenaire romantique de Maria Vargas, mais son découvreur, puis amis et confident qui disparaitra même de l’écran de manière régulière.
Le dernier flamenco
Narrateur initial qui témoigne de la mort récente de celle qui est devenue la comtesse Torlato-Favrini, il induit par son statut de réalisateur-auteur une analyse méta et amère du milieu du cinéma où les producteurs échappés de l’industrie règnent en maitre et où l’art a tendance à disparaitre derrière les apparats de la médiatisation. Mais le film ne se contente pas ce cela, passe le relais du témoin et poursuit l’ascension de l’héroïne dans le petit monde rance et vide de la riche communauté du bassin méditerranéen avant de la laisser se faire piéger par une aristocratie en agonie et qui finira, en effet, par la tuer. Trois mondes se gavant d’argents, d’apparences et de standing social qui va progressivement détruire cette Cendrillon moderne. Une belle et farouche danseuse espagnole devenue icone en seulement trois films (dont on ne verra aucune image ni scène de tournage) incarnée par une Ava Gardner éblouissante, sensuelle, puissante, accédant ici à la grâce fragile entre la figure de la femme inaccessible et celle d’une créature faillible, jamais à sa place dans des mondes qu’elle avait idéalisé. Elle qui comme son interprète ne cache pas vraiment ses appétits sexuels et sa liberté de femme moderne, se heurte ici constamment à un monde machiste, totalitaire et égoïste qui détruit ses rêves de princesse trop naïfs. Pas une once de cynisme chez Mankiewicz, mais un constat acerbe, affligé, de la réalité de mondes qu’il rejette avec un certain fatalisme.
Grand mélodrame sans réelle romance, ni grandes effusions de larmes et de passions, La Comtesse aux pieds nus se calque sur les formes fascinantes de son héroïne sacrifiée, affichant des formes sublimes (la photo de Jack Cardiff est forcément à tomber), une écriture fine mais trouble, mais aussi un mélange de modernité surprenante (la déconstructions par les changements de narrateurs, la structure du flashback mortifère, la scène tournée sous deux angles différents…) et une fragilité constante dans cette primauté à un hors-champs à la fois voulu et subis. Comme Maria Vargas échappe à la compréhension de ses contemporains, La Comtesse aux pieds nus se dérobe parfois à nous.
Image
Pas vraiment le choix pour Carlotta qui a dû faire de son mieux avec la seule copie HD disponible à l’heure actuelle dont les deux défauts sont de ne pas être totalement au bon format (1.85 au lieu de 1.75) et de ne pas avoir pu profiter d’une restauration aussi poussée que nécessaire. Ainsi comme beaucoup de classiques en Technicolor, les couches de couleurs ont souvent glissé faisant apparaitre régulièrement des contours vifs et brillants, et les années n’ont pas forcément été tendre avec le grain d’origine fluctuant vers le neigeux. Une copie 35 mm dans son jus, heureusement rattrapée par une colorimétrie généreuse et contrastée et une définition le plus souvent bien tendue.
Son
Enregistré en 1954 via le procédé Perspecta, La Comtesse aux pieds nus essayait déjà à l’époque d’insuffler quelques élans spatiaux en jouant sur les fréquences de ses éléments. Un rendu joliment adapté vié le DTS HD Master Audi 5.1 qui tout en restant extrêmement fidèle au mono d’origine lui redonne les légères atmosphères et dynamisations de dialogues voulues. La version plus sobre mono est bien entendu proposée, tout comme son équivalent français au doublage parfois un peu ronflant mais solide.
Interactivité
Un nouveau superbe coffret collector limité pour Carlotta avec ce 24ème consacré au film de Mankiewicz avec un superbe design de façade et un nouvel ouvrage analytique rédigé par l’équipe de Revus & corrigés. Un retour sur l’écriture du scénario et la préproduction et des études plus poussées sur les codes du conte, sur les références méta, sur les symboliques des personnages principaux et, en plus de nombreuses photos de productions, un dernier cahier compilant les critiques d’époques dont celles de Truffaut et Chabrol.
Et le programme se poursuit avec le même intérêt du coté des disques DVD et Bluray avec une longue intervention de Samuel Blumenfeld qui relate avec passion et précision ce retour à l’indépendance contrariée pour le cinéaste et les nombreuses particularités d’un film en avance sur son temps. L’édition s’achève par Mankiewicz en personne grâce au long entretien qu’il donna à Jean Douchet en 1981. Pas une interview carrière mais où constamment face caméra le cinéaste revient sur l’importance de l’écriture, ses débuts dans le cinéma, sa vision de l’industrie hollywoodienne, le tournage du film en question ici et un long passage hallucinant sur les années du Maccarthysme et les coups bas lamentables d’un certain Cecil B. DeMille. Un monsieur passionnant et d’une grande franchise.
Liste des bonus
Le livre « Mankiewicz contre Cendrillon » dirigé par Marc Moquin et Alexandre Piletitch de « Revus & corrigés », agrémenté de nombreuses photos rares (160 pages), « Conte défait » : entretien avec Samuel Blumenfeld (HD, 29’), « Ciné-regards : Joseph L. Mankiewicz » de Jean Douchet (INA 1981, 53’), Bande-annonce.