SHINYA TSUKAMOTO EN 10 FILMS
Les Aventures de Denchu Kozo, Tetsui, Tetsuo II, Tokyo Fist, Bullet Ballet, A Snake of June, Vital, Haze, Kotoko, Killing – Japon – 1987-2018
Support : Blu-ray
Genre : Science-fiction, drame, chambara
Réalisateur : Shinya Tsukamoto
Acteurs : Shinya Tsukamoto, Tomoro Taguchi, Kei Fujiwara, Nobu Kanaoka, Kahori Fujii, Kôji Tsukamoto, Kirina Mano, Takahiro Murase, Asuka Kurosawa, Yuji Kohtari, Tadanobu Asano, Nami Tsukamoto, Cocco, Kahori Fujii,,,
Musique : Chū Ishikawa
Durée : 751 minutes
Image : 1.33, 1.78 et 1.85 16/9
Son : Japonais DTS-HD Master Audio 1.0, 2.0 & 5.1
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 16 mai 2023
LE PITCH
Depuis la fin des années 1980, le réalisateur Shinya Tsukamoto s’est imposé comme l’un des maîtres du cinéma transgressif nippon avec des œuvres radicales et nerveuses comme Tokyo Fist, Bullet Ballet, A Snake of June ou les deux premiers volets de Tetsuo, qui posèrent les bases du mouvement cyberpunk au Japon. Explorant fréquemment les thèmes de l’aliénation urbaine, de la transformation physique et de l’obsession psychosexuelle, ses films à l’esthétique unique abolissent les genres et défient toute classification directe, faisant des émules aussi bien du côté de Quentin Tarantino, Darren Aronofsky que de Gaspar Noé. Ce Coffret Collector 4 Blu-ray™ rassemble huit longs-métrages et deux moyens-métrages de la filmographie hors normes de Shinya Tsukamoto, dont son œuvre la plus récente, le drame samouraï Killing.
De bruit et de fureur
Cinéaste transgressif et chef de file de la mouvance cyberpunk, Shinya Tsukamoto a marqué le cinéma japonais de son empreinte dès la fin des années 80 avec la déflagration Tetsuo, premier long-métrage et déjà porte-étendard d’une carrière marquée par le bruit et la fureur. Au fil du temps et des projets, ce réalisateur/auteur multifonctions, qui occupe quasiment toutes les casquettes sur la conception de ses films, a su développer un univers fait de métal, de chair et de sang, de furie et de violence, au sein d’un cinéma unique, lointain cousin de celui de David Cronenberg. Le coffret HD édité par Carlotta regroupant dix de ses principaux films, agrémentés d’une belle dose de bonus, est un acte d’amour pour ce cinéaste et son univers subversif, transgressif, radical et hargneux.
Premier film du coffret Carlotta, Les Aventures de Denchu Kozo est une vraie curiosité. Tourné en 1987 avec les moyens du bord, ce moyen-métrage amateur filmé en 8 mm apparaît comme l’aboutissement des œuvres de jeunesse de Tsukamoto. Un brouillon forcément très imparfait, qui prend une résonance particulière quand on la replace aujourd’hui à l’aune de l’œuvre du cinéaste, une dinguerie hallucinée qui porte déjà en elle les prémisses du style Tsukamoto. On y suit un jeune homme affublé d’un poteau électrique dans le dos, transporté dans un avenir dévasté pour y combattre des vampires, au côté d’une super guerrière qui voit en lui une sorte d’élu. Largement inspiré des mangas dont le jeune Tsukamoto est fan, Les Aventures de Denchu Kozo est d’ores et déjà une frénésie filmique, un condensé annonciateur de l’univers et de la débrouille propres au réalisateur, qui porte en lui quelques unes de ses marques de fabrique comme ces sauts d’image hystériques, des effets de montage image par image syncopés et accélérés au son saturé, baignés de lumières aveuglantes ou sous-exposées. L’imagerie industrielle et les êtres machines sont déjà là, l’omniprésence des tuyaux et autres mécanismes métalliques se greffant et pénétrant les corps humains également. Tsukamoto est déjà présent, bouillonnant d’inventivité. C’est incroyable de débrouillardise et aussi bordélique et amateur soit il, c’est un sommet de système D au service de la folie furieuse et cinématographiquement gourmande de son auteur. C’est surtout une porte d’entrée vers l’opus majeur à venir…
Première film abouti de Tsukamoto et œuvre emblématique de toute sa carrière, Tetsuo confirme l’essai en 1989. Tourné avec la même équipe que Denchu Kozo, le film constitue une référence pour une palanquée de cinéphiles et réalisateurs à travers le monde. Tetsuo est et restera un véritable cauchemar pelliculé. Dans un noir et blanc charbonneux et granuleux, quasi-organique, Tsukamoto imagine le calvaire d’un salary-man qui, après une mauvaise rencontre avec une femme « mécanique », va à son tour muter peu à peu en homme machine, sorte d’assimilation faite d’éléments d’acier et autres tuyaux agglomérés dans la chair. Avec son esthétique horrifico-industrielle démente, dans laquelle sexe et machines sont omniprésents par le biais de symboliques très prononcées, Tetsuo fourmille d’idées de mise en scène et de saillies esthétiques immédiatement marquantes et cultes, qui confinent à la rage, sensation renforcée par la musique industrielle et tonitruante de Chū Ishikawa. Tsukamoto y développe un discours sur l’aliénation de la cité sur l’individu, thématique récurrente de l’ensemble de son œuvre. Le cinéaste triture les éléments, les matières, l’image et le son, joue de la pixilation, technique d’animation où il filme ses acteurs image par image pour un résultat haché et pas moins percutant, qui constitue au final un tout organique et cohérent. L’extraordinaire pouvoir d’évocation de ce joyau noir et brut reste intact encore aujourd’hui.
Après une incursion vers le film de commande avec l’horrifique Hiruho the Goblin, Tsukamoto donne une suite/remake à son œuvre étendard, avec Testuo 2 : Body Hammer en 1992. Une fausse séquelle qui entretient autant de similarités avec son modèle qu’elle s’en détache. Premier changement radical : le noir et blanc organique cède sa place à une utilisation de la couleur pas moins précise et plastiquement élaborée, avec un jeu de contrastes sur les teintes chaudes et froides. Si la couleur atténue l’aspect brut et classiseusement crasseux du noir et blanc de l’opus initial, les images restent fortes et percutantes, et viennent démontrer le talent de Tsukamoto pour éclairer ses scènes. Le cinéaste en profite pour rejouer une partition assez similaire au film de 89, en mettant cette fois en avant l’implosion d’une cellule familiale, dont l’enfant est enlevé, puis tué, ainsi qu’une sorte de secte d’adorateurs d’une idole hunmanoïde métallique vivant terrés en sous-sol. Aux frontières du ciné expérimental et de l’abstraction, Tsukamoto signe une variation sur les mêmes thèmes, la vie par la mort, le bonheur et la jouissance par la souffrance, qui malgré ses images puissantes, n’atteint pas la folie furieuse de son prédécesseur.
La vie par la mort
Après les envolées cyberpunk du diptyque Tetsuo, Tsukamoto se lance dans un projet qu’on qualifiera de plus « réaliste » à première vue. Avec Tokyo Fist en 1995, le réalisateur donne l’impression de s’ancrer davantage dans la réalité, sans perdre pour autant la hargne qui l’habite. Rapidement présenté comme un film sur l’univers de la boxe, Tokyo Fist ne fait que réinvestir le thème de l’aliénation. On y suit un trio de personnages, sorte de triangle amoureux composé d’un salary-man (Tsukamoto lui-même), de sa compagne, et d’un boxeur, ami d’enfance du premier, qui va faire office d’élément perturbateur et déclencheur d’une sorte de descente aux enfers. Avec ce film percutant, le cinéaste travaille une fois encore la notion d’enfermement et d’oppression que la ville et la société peuvent exercer sur l’humain, au plus profond de sa chair. En cela, il aborde la boxe et la violence physique comme moyens pour les personnages de se réapproprier leur vie, leur existence, leurs sensations. Expérimenter la douleur pour vivre à nouveau, retrouver son humanité par la violence. Une approche thématique déjà à l’œuvre dans Tetsuo, et qui annonce Fight Club de David Fincher (1999), dont le roman de Chuck Palahniuk sort en parallèle. Les scènes de boxe y sont particulièrement brutales et sanglantes, les chaires sont suppliciées comme jamais, avec ce qu’il faut d’excès pour ancrer l’ensemble dans une forme de décalage avec la réalité. Un sentiment renforcé par l’utilisation de lumières crues et colorées qui ne sont pas sans évoquer par instant l’outrance graphique de Dario Argento. Véritable uppercut filmique, Tokyo Fist porte déjà l’art de Tsukamoto à une quintessence folle.
Tsukamoto enfonce le clou du discours sur l’aliénation urbaine avec Bullet Ballet en 1998. Pour cela, il renoue avec un noir et blanc granuleux et texturé et explore la descente aux enfers d’un salary man (encore un) dont la compagne s’est suicidée. Un événement qui déclenche en lui incompréhension et pulsions de violence et de mort. Il part à la recherche d’une arme à feu pour transcender l’interdit et (se) donner la mort. Tsukamoto, qui incarne une fois de plus le rôle-titre, croise le portrait de ce personnage totalement en déliquescence, avec une bande de jeunes délinquants, représentatifs aux yeux du cinéaste d’une jeunesse tokyoïte en perdition, qui ne s’exprime que dans la violence et la baston, dégommant du SDF à foison et s’adonnant aux lutte d’influence et de pouvoir avec des bandes rivales dans des rixes sanglantes. Doté d’une mise en scène encore plus brute que ses précédents essais, avec une caméra tremblotante et qui ne sait pas rester en place, le cinéaste y ajoute un montage heurté et haché, qui pourra rebuter mais qui traduit l’urgence d’une jeunesse qui va droit dans le mur et le désespoir nihiliste d’un personnage principal qui expérimente violence et goût de la mort pour mieux revivre. Tsukamoto ne cesse de jouer avec les limites, celles des outils cinématographiques qu’il s’approprie, et celles par voie de conséquence, du spectateur, ne cessant de le pousser dans ses retranchements par une profusion d’images et de sons, de mouvements de caméras et d’effets de montage hargneux et rejetant toute notion de confort. Du Tsukamoto pur jus, une déflagration esthétique et mentale.
Arrivé à un tel point de violence, de hargne et d’abstraction, Tsukamoto allait-il réussir à se réinventer, ou tout au moins à explorer d’autres moyens de creuser ses obsessions ? Véritable auteur en pleine possession de ses moyens, le cinéaste continue de jouer avec les thématiques qui le passionnent, tout en explorant les formes cinématographiques. Avec A Snake of June, sorti en 2002, Tsukamoto livre une copie moins frénétique. A première vue seulement… La violence de la société y est sous-jacente, moins démonstrative et surtout directement liée à la sexualité, toujours par le prisme d’une aliénation sociale. L’héroïne Rinko, jeune femme sans histoire, conjointe aimante, voit sa vie intime littéralement violée par un mystérieux photographe qui la fait chanter, la contraignant à des jeux malsains, et menace de tout dévoiler à son mari, lui-même en proie à des comportements étranges. Les pulsions sexuelles enfouies, la frustration liée au corps, à l’image et la bien-pensance sont dénoncés par Tsukamoto avec la hargne bouillonnante qu’on lui connaît. Pourtant, si le film hurle en sourdine, la mise en scène est dans un premier temps bien plus posée que ses précédentes réalisations et marque presque une rupture. Doté d’une image colorée d’un filtre bleu, froide comme la pluie et la mort, évoquant l’enfermement urbain, le film baigne dans un esthétisme marqué aux lumières et contrastes une fois encore assez somptueux. La musique de Chū Ishikawa se fait elle aussi moins sauvage et plus mélodieuse. Film érotique de l’aveu même du cinéaste, A Snake of June joue la carte du suspense, du voyeurisme, sur une trame finalement assez classique, que Tsukamoto transcende par ses accès de violence et des visions cauchemardesques, comme ce serpent pénis assez improbable qui vient supplicier le mari. Jusqu’à une scène en forme d’apothéose au cours duquel la femme se livre corps et âme sous une pluie battante et devant les flashs du photographe incarné par Tsukamoto, avant une étreinte cathartique. Rien ne fait peur à Tsukamoto et tout lui va, même le romantisme punk…
Romantisme mortifère et labyrinthe mentaux
De romantisme, il en est également question dans Vital, que Tsukamoto livre en 2005 et qui, dans un effet de paradoxe poétique, parle essentiellement de mort… et d’amour. On y suit un jeune homme devenu amnésique après un accident de voiture dans lequel sa petite amie a perdu la vie. Décidé à reprendre ses études de médecine, il découvre qu’il doit travailler sur la dissection du corps de sa défunte bien-aimée… Situation ubuesque qui permet à Tsukamoto d’explorer un sentiment amoureux profond, une histoire d’amour par-delà la mort, tout en excluant néanmoins toute forme de mièvrerie. Bien au contraire, on reste chez le réalisateur ravagé de Tetsuo et Tokyo Fist. Car les rapports (sexuels) du jeune couple présenté sous forme de visions fantomatiques en flash-backs, apparaissent comme des actes qui repoussent les limites du plaisir, puisque les jeunes amants expérimentent le sexe avec étranglement. Tsukamoto flirte avec les tabous. D’un postulat ouvrant la voie à des scènes horrifiques en roue libre, il privilégie ici la subtilité. Une vraie mélancolie se dégage de Vital, venant souligner l’étendue de la palette du cinéaste japonais qui filme cette histoire marquée par le deuil de manière plus posée que ses précédentes œuvres, superbement photographiée, mais expurgée de toute agressivité filmique. A travers le portrait de ce jeune couple, Tsukamoto scrute une fois de plus la pression de la société, moins dominée par l’omniprésence pesante de la ville, et s’extirpe de l’univers urbain pour filmer surtout un retour à la nature.
Mené par sa liberté créatrice et sa sensibilité artistique, Shinya Tsukamoto ne cesse de prendre des chemins de traverse et après le bruit et la fureur de ses premiers opus, la douce mélancolie de son précédent effort, il repart dans une direction différente en 2005 avec Haze, moyen-métrage d’à peine 50 minutes, initialement destiné à rejoindre un film à sketchs sous une forme plus courte (24 minutes), qu’il confectionne et sort moins d’un an après Vital. Là encore, le cinéaste surprend en plongeant la tête la première (puisqu’il fait l’acteur principal comme souvent), dans un labyrinthe de béton où son personnage se retrouve prisonnier, entravé de ses mouvements, sans savoir comment il s’est retrouvé dans cet enfer. Et de là né un parfait cauchemar claustrophobique, dans lequel Tsukamoto additionne les angoisses et les peurs : espaces exigus, obscurité, lames et bouts de métal tranchants, morceaux de corps sanguinolents, peur de l’immersion… Pour aboutir à un concentré d’efficacité, grâce à une durée intelligemment réduite, sorte d’exercice de style expérimental et marquant, qui fait paradoxalement l’effet d’une respiration (!) au sein d’une œuvre souvent suffocante. Le réalisateur expérimente sur les concepts de la peur, de l’effroi et de l’inconnu, sans chercher à donner d’explications, en utilisant pour la première fois les possibilités d’une caméra numérique, qui lui permettent de filmer en basse lumière et de façonner cette histoire qui n’aurait pu être idéalement mise en boîte avec un équipement standard.
Après un détour par le cinéma de genre plus commercial avec le diptyque Nightmare Detective (2007-2008) et la transposition américaine de Tetsuo dans un troisième opus/remake aseptisé et très critiqué, la carrière de Shinya Tsukamoto semble emprunter des chemins aux accents mainstream. Désireux de s’ouvrir au grand public et proposer des films plus populaires, le cinéaste semble laisser entendre que le Tsukamoto des débuts est parti bien loin. C’est à la fois vrai et en même temps inexact. Car le réalisateur revient en 2011 dans un style très différent avec le drame Kotoko. C’est un cinéma qui prend une voie plus inattendue, mais pas moins habitée, toujours rageuse et surtout, grande nouveauté, baignée d’une émotion féroce. Portrait d’une femme dérangée, psychotique, inadaptée, aliénée par la société, Kotoko décrit un personnage typique du cinéma de Tsukamoto, associable, en marge, qui développe des rapports paranoïaques envers les gens, bardée de pulsions de violence physique. Subissant une maternité difficile, entravée et débordée par les difficultés d’élever un enfant dans une société qui oppresse en permanence, Kotoko entretient d’impossibles relations avec les hommes, jusqu’à la rencontre avec un romancier lunaire (Tsukamoto), un personnage lui aussi atypique, un peu gauche et en marge. La chanteuse Cocco interprète un rôle semi-autobiographique et délivre une prestation à fleur de peau véritablement stupéfiante. Car, et c’est l’une des qualités du cinéma de Tsukamato, Kotoko offre encore un magnifique personnage féminin, qui souffle un désespoir suffocant. Bâti sur une mise en scène sur le vif, immersive, au plus près du personnage, ce portrait de femme puissant, bouleversant, s’inscrit dans le film le plus émouvant mais aussi l’un des plus difficiles de son auteur, à la sensibilité exacerbée, avec ses images perturbantes et ses thèmes et idées très sensibles et délicats, durs, éprouvants. Kotoko remue sérieusement dans sa volonté de plonger dans la psyché d’un personnage malade, sans horizon ni échappatoire, vers une résolution inéluctable. Un film terrassant.
Enfin, dernier filme en date de Tsukamoto, Killing change à nouveau complètement de braquet puisque le cinéaste revient au film en costumes, qu’il avait déjà expérimenté avec Kiruko the Goblin. Il investit le genre du chambara, tout y injectant ses obsessions sur la violence, la pulsion de mort. Tsukamoto y incarne un Ronin qui constitue une équipe de samouraïs errants et débarque dans un village menacé par un groupe de bandits. Sur une trame classique, Killing révèle surtout des personnages rongés par le doute. D’un côté, un jeune fermier désirant s’émanciper en allant se battre, de l’autre, un jeune samouraï tiraillé entre son désir d’embrasser une vie de guerrier et son amour pour une jeune fermière. Le cinéaste déploie un récit de vengeance, dans lequel la spirale de la violence entraîne la violence, thème qu’il travaille à nouveau. Les doutes du jeune samouraï sur son pouvoir de tuer sont liés encore une fois à à une forme de pression et d’aliénation, ici de la Voie du Samouraï. Tuer comme raison d’être, comme motif de vie : « Le premier meurtre est le plus difficile. Si tu n’en es pas capable, ton épée ne te sert à rien » lui confie le personnage ambigu de Tsukamoto. On retrouve des scènes où les personnages associent pulsions sexuelles et pulsions de mort, avec ces épées plus phalliques que jamais. Sur le plan esthétique, Killing prouve que le style Tsukamoto se coule dans tous les genres. Le cinéaste délaisse ses cadres urbains pour investir complètement le milieu naturel. Et ça lui va bien. Ses compositions de plans et son utilisation de la lumière y atteignent des sommets. Une hybridation parfaite de deux univers dans un geste expérimental grandiose et beau qui s’achève sur une question : est-ce que la violence a été circonscrite ou au contraire a-t-elle gagné en s’éveillant chez l’un des protagonistes ? On penche pour la seconde hypothèse. Killing est, pour le moment, le dernier film en date de Shinya Tsukamoto.
Cinéaste majeur, essentiel, qui a su dès ses premières réalisations capter la courbe d’évolution de la société, filmer l’aliénation, la déshumanisation et la mutation des corps de manière visionnaire. Une œuvre pleine, un tout d’une cohérence affirmée. Indispensable.
Image
Sur les dix films proposés dans cet imposant coffret, le travail de restauration de l’image est incontestable et bienvenu, à des niveaux divers, notamment pour les films les plus anciens. Si l’on excepte Les Aventures de Denchu Kozo, œuvre de jeunesse au rendu visuel par définition assez heurté, mais présenté dans une copie largement visionnable, l’émerveillement provient de Testuo, dont l’esthétique en noir et blanc granuleux déjà remarquable à son époque acquiert ici une seconde vie. Dans ce film comme dans les suivants, Tsukamoto établit des parti-pris visuels tranchés qui n’auraient pu rêver meilleur retranscription grâce aux nouveaux masters restaurés présents ici. Un travail sur l’image pas si simple puisqu’il a nécessairement fallu trouver un juste équilibre entre l’image ripolinée et l’aspect brut voulu par le cinéaste dans pas mal de ses œuvres. Lumières et contrastes y sont saisissants, les teintes chaudes ou froides récurrentes de son cinéma s’y déploient avec une belle autorité. Mentions spéciales à Tokyo Fist, Bullet Ballet, A Snake of June, ainsi que les plus récents et numériques Kotoko et Killing qui resplendissent d’une image somptueuse. Un boulot remarquable.
Son
Élément primordial du cinéma de Shinya Tsukamoto, la bande-son et notamment la musique de son fidèle compère Chū Ishikawa, vont clairement vous en mettre plein les oreilles. Proposées uniquement en japonais DTS-HD Master Audio, les pistes varient entre le 1.0, 2.0 & 5.1 suivant les films, mais avec le point commun de délivrer une puissance assez admirable. Comme l’encourage fortement le réalisateur, notamment pour ses premières œuvres, c’est avec le volume poussé à fond qu’il faut s’imprégner de Tetsuo and co. Et la qualité du rendu sonore des disques ici proposés le permet amplement, pour pouvoir profiter au mieux des raclements métalliques et autres inventions sonores expérimentés par Chū Ishikawa. Un spectacle auditif au moins aussi fort que l’approche visuelle.
Interactivité
La plupart des films disposent de leur petite poignée de suppléments. La grande satisfaction de ce coffret est qu’il donne avant tout la parole à Tsukamoto lui-même, au sein de d’une dizaine d’entretiens assez courts répartis sur les différents disques. L’ensemble forme une somme assez conséquente d’anecdotes de tournages, d’analyses par le réalisateur de ses thèmes récurrents, et autres approches d’un cinéma résolument personnel et punk, même si on n’échappe pas finalement à une certaine forme de répétitions. S’ajoutent à cela quatre présentations par l’inestimable Jean-pierre Dionnet, reprises des précédentes éditions DVD Asian Classics. Cinq making-of permettent de se plonger sur les tournages de Tetsuo 2, A Snake of June, Vital et Haze. Enfin, pour compléter l’approche autour de Tsukamoto, deux modules d’analyse de son œuvre sont proposées : « Une agression des sens » par Jasper Sharp, spécialiste du cinéma japonais et un second plus fourni « Le Grand provocateur du cinéma japonais ». Outre les bandes-annonces originales de chaque film, on trouve également dans ce copieux coffret un livret de 80 pages rédigé par Julien Sévéon, journaliste spécialisé cinéma asiatique, notamment chez Mad Movies.
Liste des bonus
4 présentations des films par Jean-Pierre Dionnet (Tetsuo, Tetsuo 2 : Body Hammer, Tokyo Fist, Bullet Ballet) ; “Une Agression des sens”, analyse du style Tsukamoto par Jasper Sharp, spécialiste du cinéma japonais (16’) ; 10 entretiens/making-of sur le tournage des films (Testuo 2, A Snake of June, Vital, Haze) ; « Le Grand provocateur du cinéma japonais : Shinya Tsukamoto (48’) ; 10 bandes-annonces originales. Un livret inédit de 80 pages rédigé par Julien Sévéon, journaliste français et spécialiste des cinématographies d’Extrême-Orient et du cinéma populaire, et illustré de photos de plateau exclusives.