SEXE, MENSONGES & VIDÉO
Sex, Lies and Videotape – Etats-Unis – 1989
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Steven Soderbergh
Acteurs : Andie McDowell, James Spader, Peter Gallagher, Laura San Giacomo, Ron Vawter, Steven Brill, …
Musique : Cliff Martinez
Durée : 100 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Editeur : L’Atelier d’Images
Date de sortie : 15 février 2022
LE PITCH
De retour dans sa ville natale, Graham Dalton reprend contact avec John, un copain de fac devenu avocat. Il se lie d’amitié avec Ann, l’épouse frigide de ce dernier et lui avoue son secret : il filme au caméscope les confidences intimes de jeunes femmes consentantes…
Carton plein
23 mai 1989. S’attirant la haine éternelle d’un Spike Lee pourtant certain de rafler le grand chelem avec Do The Right Thing, le président du jury Wim Wenders attribuait la palme d’or (et un prix d’interprétation masculine) au premier long-métrage d’un jeune homme de 26 ans. Trois décennies plus tard, Sexe, Mensonges & Vidéo n’en finit toujours pas de diviser les cinéphiles : chef d’œuvre précoce ou succès accidentel ? La superbe édition HD que lui consacre ces jours-ci L’Atelier d’Images devrait sans doute nous permettre d’y voir plus clair.
De son écriture bouclée un en temps record jusqu’à sa projection triomphale, Steven Soderbergh aura vécu avec Sexe, Mensonges & Vidéo un authentique alignement de planètes. Cette expérience, le cinéaste tentera même à plusieurs reprises de la reproduire, notamment avec Schizopolis et Full Frontal, sans jamais vraiment y parvenir. Se basant sur des éléments qu’il qualifie d’autobiographiques (tout en s’empressant de préciser qu’il n’a jamais vraiment vécu l’histoire qu’il raconte et qu’il s’agit davantage d’un état d’esprit), Soderbergh n’a pas d’autres ambitions pour ce premier projet que d’en tirer une carte de visite, un essai apte à séduire des investisseurs pour de futures longs-métrages autrement plus satisfaisants à ses yeux. D’où la nature intimiste et pour ainsi dire théâtral de ce récit où quatre personnages baisent, discutent et se disputent autour d’un verre, d’un repas ou d’une caméra dans des intérieurs dépouillés. Son script en main, Soderbergh tente d’engager Elizabeth McGovern pour qui il a tout spécialement écrit le rôle d’Ann, épouse frigide qui, entre deux séances chez son psy, tente de trouver un sens à un mariage sans amour et sans passion. À cause d’un agent trop scrupuleux, la partenaire de Kevin Bacon dans La vie en plus ne lira jamais le manuscrit. Mais celui-ci circule et attire deux actrices. D’abord Laura San Giacomo qui se prend de passion pour le personnage de Cynthia, femme libre et provocatrice, sœur d’Ann et maîtresse du mari de cette dernière. Puis Andie McDowell, qui emporte le morceau (et donc le rôle d’Ann) après deux auditions spectaculaires. Quant à Peter Gallagher et James Spader, ils rejoignent la troupe sans la moindre hésitation, le premier remplaçant Tim Daly (la voix de Superman dans quantité de films d’animation DC) et le second y voyant l’opportunité de s’évader des rôles de jeunes premiers auquel son début de carrière semblait vouloir le cantonner. Le tournage se déroule sans le moindre accroc, avec une liberté artistique totale, et le produit fini attire une toute jeune société de distribution nommée Miramax. Le film fera également un bref passage au tout petit festival de Sundance mais y laissera une empreinte indélébile, faisant naître de nombreuses vocations. Enfin, la consécration cannoise aurait bien pu ne pas avoir lieu si Francis Ford Coppola n’avait pas été contraint de céder sa place à Wim Wenders au tout dernier moment et qu’un trou de programmation dans la sélection officielle n’incite Gilles Jacob à « emprunter » Sexe, Mensonge & Vidéo aux organisateurs de la Quinzaine des Réalisateurs. C’est ce qui s’appelle avoir le cul bordé de nouilles.
Desperate Housewife
Bien plus audacieux qu’on ne pourrait le croire, Sexe, Mensonge & Vidéo surprend tout d’abord par son refus de la facilité. À l’exception notable du personnage de John, mari infidèle et goujat pathétique taillé dans un seul bloc (homo americanus conardus), la complexité à la fois morale et psychologique des protagonistes incitent à de nombreux visionnages pour tenter d’en saisir toutes les nuances. Graham n’est pas seulement impuissant et voyeur, c’est aussi un homme dont la sexualité a été profondément meurtrie par une rupture, une victime du fantasme tout puissant du couple heureux, un mythomane repenti et un artiste maudit. Le manque d’appétit d’Ann pour les galipettes conjugales n’est pas seulement lié aux infidélités de son mari, à la rigidité de son milieu social ou à une sœur extravertie mais questionne avant tout l’incompréhension masculine vis-à-vis du plaisir féminin. Et dans le cas de Cynthia, sa liberté, sa spontanéité et sa féminité explosent comme une évidence que l’on nous met au défi d’accepter. En fin de compte, Soderbergh s’amuse à détricoter, non sans une amertume tenace, les mythes des relations hommes-femmes. Le machisme, le conformisme et le féminisme y apparaissent comme les pions d’un immense jeu de dupes. L’envie, le besoin et les rapports de force nous mènent au sexe et le mensonge, le déni, la frustration et l’incompréhension en sont les seules « récompenses ». Misanthrope, Steven Soderbergh ? Non, madame. Et ce serait même plutôt le contraire. L’humour, discret, est une composante majeure et souvent sous-estimée du métrage. L’épilogue, enfin, apporte un authentique sentiment d’apaisement même si on peut lui reprocher de chercher un peu trop ostensiblement à punir John pour son comportement, concession maladroite mais excusable à une morale pour le coup très hollywoodienne.
Contraint à l’épure par un budget minuscule, Steven Soderbergh glisse toutefois quelques effets de styles bienvenus comme ce travelling compensé pour appuyer un orgasme et la science du cadre est évidente. Suggérée sans être abordée frontalement, la sexualité atteint ici une forme d’abstraction incroyablement séduisante. Et le réalisateur peut aussi compter sur le talent de ses interprètes, tous renversants de justesse, de son monteur et du compositeur Cliff Martinez, lequel apporte au travers de ses compositions synthétiques une atmosphère cotonneuse qui navigue, au besoin, entre l’inconfort et le chaleureux.
Devenu malgré lui un classique (et un modèle) du cinéma indépendant américain, Sexe, Mensonges & Vidéo est à l’image de son cinéaste, brillant mais indécis, chaînon manquant entre le film d’auteur replié sur lui-même et l’œuvre populaire à même de séduire et d’aiguiser les sens du spectateur. Steven Soderbergh se posait déjà la question de savoir quel cinéaste il souhaitait devenir, une question à laquelle il n’a toujours pas apporté de réponse définitive. Et ce n’est sans doute pas plus mal.
Image
Passé le regret de ne pas avoir pu poser nos délicates mirettes sur la copie UHD (ce sera pour une autre fois), on ne peut que s’incliner devant la qualité de cette restauration qui enterre sans se retourner l’antique DVD paru chez MGM en 2006. Blu-ray oblige, on gagne bien évidemment en définition et en profondeur de champ mais on ne saurait négliger le travail sur la propreté de la pellicule et sur les contrastes, plus doux qu’auparavant. L’essentiel du facteur « waouh » est pourtant à chercher du côté du grain, des couleurs et tout spécialement des teintes carnées, leur naturel presque palpable apportant un surcroît de sensualité lorsque la caméra s’approche de ses acteurs, captant les rougissements d’Andie McDowell ou la sueur sur le corps de Laura San Giacomo.
Son
La piste française conserve les basses rondes des nappes synthétiques de Cliff Martinez mais le doublage a tendance à trop s’imposer au détriment des ambiances. Direction la version originale pour une restitution optimale de l’expérience sonore voulue par Steven Soderbergh, feutrée, presque étouffante, mais riche de nombreux détails acoustiques comme cette boucle d’oreille passant sous un aspirateur.
Interactivité
Où l’on retrouve une portion significative de la très belle interactivité de l’édition Criterion de 2018, agrémentée de segments inédits spécialement produits pour l’occasion. Le meilleur des deux mondes, en somme. La partie franco-française est assurée par l’excellent Philippe Rouyer, plume émérite du journal Positif, lequel revient sur le film, sa production, son triomphe cannois et sa postérité, avant de concentrer ses efforts sur une analyse de séquence plus qu’exhaustive et qui devrait convaincre une bonne fois pour toute les détracteurs de Steven Soderbergh que le bonhomme est bien loin de son image de cinéaste poseur et arty. Le cinéaste revient d’ailleurs sur l’expérience du tournage au cours de deux entretiens, l’un récent, face caméra, dans un exercice consistant à répondre aux questions des fans de son film, et le second plus ancien, dans les rues de Washington, à quelques jours du tournage de son mésestimé Kafka. On retrouve également l’ingénieur du son et le compositeur Larry Blake et Cliff Martinez, lesquels partagent avec humour et enthousiasme leurs souvenirs sur une production à petit budget où leur liberté fut néanmoins totale. Autres souvenirs, ceux de Laura San Giacomo, Peter Gallagher et Andie McDowell où le plus marquant reste l’amertume à peine masquée de l’interprète de John, bridé dans sa carrière par l’image de salopard d’un personnage qui lui aura collé à la peau plus que de raison. Un court segment revient enfin sur les célébrations des 20 ans du film à Sundance. Une scène coupée et commentée par le réalisateur offrait davantage de présence au personnage de psychothérapeute joué par Ron Vawter. Mais le supplément le plus captivant demeure le commentaire audio enregistré en 1998 où Steven Soderbergh entame une discussion passionnée avec un autre cinéaste, Neil Labute. Bardé de références et de remarques pointues sur la notion même de cinéma indépendant, le ton est à la fois drôle et studieux.
Liste des bonus
« Un vent de liberté », présentation du film par Philippe Rouyer (24 minutes) / Analyse de séquence par Philippe Rouyer (13 minutes) / « A propos du film » par Steven Soderbergh (6 minutes) / Les coulisses du tournage par Andie McDowell, Laura San Giacomo et Peter Gallagher (27 minutes) / Entretien avec l’ingénieur du son Larry Blake et le compositeur Cliff Martinez (18 minutes) / Commentaire audio de Steven Soderbergh et Neil Labute (VOSTF) / Les 20 ans du film au Festival de Sundance (3 minutes) / Scène coupée avec commentaire audio optionnel de Steven Soderbergh (3 minutes) / « A propos du film » par Steven Soderbergh, en 1990 (8 minutes) / Bandes-annonces.