SAMPO, LE JOUR OU LA TERRE GELA
Sampo – Finlande, URSS – 1959
Support : Bluray & DVD
Genre : Fantastique
Réalisateur : Aleksandr Ptushko
Acteurs : Urho Somersalmi, Anna Orochko, Ivan Voronov, Andris Osins, Ada Voytsik, Eve Kivi…
Musique : Igor Morozov
Image : 2.35 16/9
Son : Finnois LPCM 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 90 minutes
Editeur : Artus Films
Date de sortie : 06 février 2024
LE PITCH
Dans un beau pays du Nord, le bûcheron Lemminkainen rencontre la belle Anniki, sœur du forgeron Ilmarinen qui connaît le secret de fabrication du Sampo, une roche magique produisant l’abondance. Non loin de là, sur l’île de Pohjola, peuplée de gnomes et de trolls, la sorcière Louhi désire augmenter sa puissance grâce au Sampo. Elle fait alors enlever Anniki afin d’attirer Ilmarinen sur ses terres.
Terres de légendes
Autre grand classique du maitre du cinéma fantastique du russe Aleksandr Ptushko (Le géant de la steppe, Le conte du Tsar Saltan…), l’énorme coproduction russo-finlandaise Sampo ne fut jamais distribuée dans les salles françaises. Dommage pour ce grand spectacle féerique et inventif qui heureusement se rattrape désormais grâce à une superbe édition signée Artus Films.
Véritable autorité du cinéma populaire en URSS, Aleksandr Ptushko a admirablement réussi à croiser les attentes idéologiques du régime avec sa propre vision enchantée des contes et légendes d’autrefois. Pas étonnant que ce soit lui qui soit choisi pour participer à une grande et ambitieuse coproduction avec la Finlande, pays situé en dehors du rideau de fer, alors que justement le régime de Khrouchtchev pousse à la détente et à une diffusion plus pacifiste (mais néanmoins bien présente) de l’idéologie communiste du pays. Une association entre la Mosfilm, compagnie d’état, et la Suomi-Filmi, plus grande firme cinématographique de Finlande, qui opte pour une adaptation luxueuse du Kalevala important et imposant poème épique rédigé au 19ème siècle par Elias Lönnrot à partir d’une multitude de contes oraux transmis depuis l’antiquité. Autant dire un monument pour la culture finlandaise, mais que le cinéaste russe ne peut que réduire, devant effectuer un large travail d’épure et de résumé dans les nombreux épisodes, personnages et évènements décrits, mais aussi sévèrement édulcorer (meurtres, violences barbares et viols incestueux disparaissent) pour tendre vers un grand spectacle familial versant plus volontiers dans la féerie que dans la fresque guerrière.
Terres de feu et de glace
Pas vraiment aux goûts de l’équipe finlandaise, et en particulier d’un réalisateur technique, Risto Orko, associé pour faciliter la collaboration entre les deux équipes, qui ont a priori mis quelques bâtons dans les roues à la vision de Ptuchko venant alourdir un tournage déjà complexe, étalé sur deux ans et devant aboutir à la fois à une version tournée en russe et une autre tournée en finlandais, mais aussi pour les deux une copie dans un éclatant Cinémascope et une autre au format 1.66 pour les salles plus modestes. Quatre prises différentes pour chaque scène ! Une lourde entreprise qui semble tout de même avoir retenu parfois les grands talents du cinéaste. Il semble en effet moins maitriser le rythme de son récit, affrontement symbolique entre le gentil et courageux Lemminkainen et la terrible sorcière Louhi, prenant en otage la fiancée de ce dernier dans l’espoir de se voir forgé l’artefact magique qui donne son nom au film. Il bataille aussi clairement avec deux interprètes romantiques centraux terriblement fades et sans présence à l’écran. Le souci sans doute étant que justement le fier Lemminkainen est un personnage de héros sans étoffe qui passe son temps à être sauvé par les autres et à subir son propre récit. Il manque ici certainement une fougue, une fibre épique, voir quelques batailles plus physiques pour faire décoller le film. Mais il ne manque certainement pas de qualités et porte indéniablement la fibre grandiose de son créateur qui impose un univers magique d’une beauté renversante en croisant des panoramas naturels somptueux avec des décors splendides usant à merveilles de toiles peintes, de multiples trucages modernes ou à l’ancienne, mais toujours artisanaux et malins, venant donner corps à un royaume animiste généreux.
On y chante avec les oiseaux comme dans un Disney, on y implore des personnifications de la route et des arbres, on y croise des vents enfermés dans une grotte par de lourdes chaines, on y traverse les terres maléfiques des gnomes et autres trolls grimaçants et on y laboure même avec un cheval magique d’un rouge éclatant une terre où semble pousser des milliers de serpents ! Et même si les Finlandais peinent à y retrouver leur Kalevala, Ptushko reste un véritable enchanteur.
Image
Artus films nous propose ici la dernière restauration en date du film. Un travail très impressionnant en 4K effectué à partir du matériel original Cinemascope 35mm qui sublime littéralement la riche photographie du film. Les paysages sont amples et magnifiques, dotés à nouveau d’une profondeur très naturelle, tandis que les cadres, solidement nettoyés, impressionnent par la richesse des textures, la précision des détails et la présence organique et élégante du grain d’origine. La définition est de très haute tenue et la colorimétrie, avec ses rouges et bleus éclatants, s’offre une seconde jeunesse.
Son
Si le film fut à l’époque mixé en stéréo 4 pistes pour accompagner au mieux dans certaines salles le Cinemascope large de l’image et que le disque US propose bien une piste DTS HD Master Audio 5.1 pour en retranscrire toute la dimension, l’édition française doit se contenter malheureusement d’un mono en 2.0 bien plus sobre. Le son est clair, ferme, équilibré et bien centré.
Interactivité
Après Vij, Le Conte du Tsar Saltan et Le Géant des steppes, Artus continue son exploration de l’œuvre de Ptouchko avec un nouveau superbe Mediabook consacré à Sampo. Et ce dernier contient à nouveau un livret richement fourni et documenté confié cette fois-ci à Matthieu Rehde (L’écran fantastique) qui retrace avec précision et passion la naissance de la Finlande et l’émergence de ses grandes légendes, embraye sur la vie de l’auteur Elias Lönnrot, retranscrit les grandes lignes du Kalevala avant de conter les coulisses de fabrication du film jusqu’à sa sortie évènement en Russie.
Presque tout y a déjà été dit, et pourtant l’édition se montre tout aussi généreuse du coté des bonus vidéos avec en ouverture une longue présentation en forme d’entretien entre Christian Lucas et Stéphane Derderian qui reviennent sur la gestation de l’œuvre, ses multiples versions et surtout les récurrences et figures incontournables du cinéma de Poutchko. Le programme se poursuit avec un making of d’époque (déjà très promotionnel), richement restauré lui aussi, qui montre quelques images du tournage en Finlande et dans les studios de Mosfilm, avant de donner la parole à la spécialiste du cinéma finnois, Mia Ohman, pour trois segments qui approchent tour à tour l’influence et les coproductions avec le cinéma russe, ainsi qu’une collaboration pas toujours très aisée entre les deux pays et les deux « réalisateurs » attachés au projet, pour une version du Kalevala finalement très éloignée de son âme originelle.
Enfin c’est au tour du russe Nikolaï Mayorov de revenir sur les quatre versions connues du film (avec leurs changements de langues et de formats) puis d’expliciter quelques-unes des techniques utilisées pour donner corps aux superbes effets spéciaux et astuces visuelles du spectacle.
Liste des bonus
Le livre « Du Kalevala à Sampo : Récit d’une production épique » par Matthieu Rehde (96 pages, collé au boîtier), « Causerie au coin du Sampo » : Présentation par Christian Lucas et Stéphane Derdérian (51’), Making of (9’), Entretiens avec l’historienne du cinéma Mia Öhman (36’), Entretiens avec l’historien du cinéma Nikolaï Mayorov (44’), Diaporama d’affiches et photos (2’).