SALON KITTY & LOLA LA FRIVOLE
Salon Kitty, Monella – Italie, Allemagne, France – 1976, 1998
Support : Blu-ray & DVD
Genre : Drame, Érotisme
Réalisateur : Tinto Brass
Acteurs : Helmut Berger, Teresa Ann Savoy, Ingrid Thulin, John Steiner, Anna Ammirati, Patrick Mower, Mario Parodi, Susanna Martinkova, …
Musique : Fiorenzo Carpi, Pino Donaggio
Durée : 129 et 104 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français, Anglais et Italien DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Sidonis Calysta
Date de sortie : 16 janvier 2024
LE PITCH
Salon Kitty : Alors que les nazis sont au pouvoir et que la Seconde Guerre Mondiale est sur le point d’éclater, une maison close de Berlin est infiltrée par les SS afin d’espionner des hommes politiques et de haut-gradés de l’armée allemande.
Lola La frivole : En Italie, à la fin des années 50, Lola, une jeune femme extravertie, ne supporte pas que son fiancé refuse de lui faire l’amour avant leur mariage, …
Sous les jupes du IIIème Reich
Viennent donc s’ajouter à la toute jeune collection de Sidonis Calysta consacrée à Tinto Brass deux nouveaux titres situées à deux périodes différentes de la carrière du fameux érotomane milanais. Chaînon manquant entre Cabaret et Portier de nuit, Salon Kitty épingle avec férocité l’horreur et la décadence du pouvoir nazi qui corrompt tout ce qu’il touche et demeure la plus belle réussite d’un esthète et d’un anarchiste maniant la subversion avec une intelligence redoutable. Œuvre nettement plus tardive et superficielle, Monella est une joyeuse célébration du sexe sous toutes ses formes dans une Italie encore un peu coincée du fion. Dans les deux cas, Tinto Brass nous régale de son esprit frondeur.
S’inspirant d’une histoire véridique et adaptant un livre de Peter Norden, le scénario de Salon Kitty écrit par Ennio De Concini (Divorce à l’italienne) tombe à point nommé pour redonner un coup de fouet à la carrière de Tinto Brass. Apprécié par la critique et ses pairs mais quelque peu boudé par le public, le cinéaste est à la recherche d’un second souffle et d’un projet qui lui permettrait de marier ses obsessions esthétiques, thématiques et politiques. Salon Kitty lui offre un formidable tremplin et une tribune dont il n’osait même pas rêver.
La première heure du film est sans conteste la plus sulfureuse. Succession ininterrompue et audacieuse de tableaux scandaleux et grotesques, elle raconte le passage du bordel berlinois tenue par Kitty Kellerman (Ingrid Thulin, quelque part entre Liza Minelli et Dyanne Thorne) par un relooking extrême mis en œuvre par les membres les plus zélés des SS d’Adolf Hitler. Malin, le cinéaste tend un piège au public et à la critique. Dans des décors extravagants imaginés par Ken Adam (Docteur Folamour et la franchise James Bond), Tinto Brass déshabille avec une gourmandise toute « fellinienne » les plus beaux spécimens de la féminité aryenne tout en y injectant une dose d’horreur ultra-réaliste et frontale, entre la visite d’un abattoir à filer des cauchemars à L214 et un étalage façon mondo de freaks en tous genres (cul-de-jatte, nain bossu et on en passe). Plus classique d’un point de vue narratif, la seconde partie de Salon Kitty évolue vers le mélodrame tragique avant que les personnages féminins, enfin libérées des fantasmes mortifères du National-Socialisme, ne mettent en œuvre leur vengeance contre le commandant Helmut Wallenberg (Helmut Berger et son cabotinage flippant). Au travers de ce salopard de la pire espèce, Tinto Brass expose le nazisme pour ce qu’il est réellement, une idéologie fantoche au service de brutes et de sociopathes avides de pouvoir. Dans le même temps, Salon Kitty confronte le spectateur à ses propres vices et pulsions en le mettant au défi de tomber sous le charme d’une imagerie poussant dans ses ultimes retranchements tous les curseurs établis par Leni Riefenstahl et son Triomphe de la Volonté … avant de nous retourner comme une crêpe par le biais de la satire. Une formule à double tranchant dont Paul Verhoeven se souviendra en atomisant les fantasmes fascistes et virilistes du public ricain dans l’impayable Starship Troopers.
Le feu au cul
22 ans après Salon Kitty, Lola la frivole nous confronte à un drôle de paradoxe. S’il ne se remettra sans doute jamais de l’expérience Caligula (dont le propos a été déformé et défiguré par les inserts porno et le remontage trivial voulus par Bob Guccione, mécène et producteur de ce péplum pas comme les autres mais aussi patron de « Penthouse ») et si le succès de La Clé en 1983 l’a poussé à s’engager définitivement dans la voie du cinéma érotique et à poser sa carrière sur des rails dont elle ne déviera plus, Tinto Brass demeure un anarchiste et un libertaire dans l’âme. Le réalisateur mène désormais sa bataille dans son coin, à petite échelle, filmant avec un savoir-faire inimitable des culs, des nichons et des foufounes poilues pour signifier au monde entier son refus de se conformer à un cinéma d’auteur traditionnel.
Totalement anachronique (mais, du coup, parfaitement intemporel), Lola la frivole est un film qui invite le spectateur à une folle exaltation des sens dans l’Italie rurale de la fin des années 50. Devant la caméra comme derrière, Tinto Brass joue les chefs d’orchestre malicieux d’une révolution sexuelle qui part dans tous les sens et qui s’accompagne d’un soupçon de perversité bourgeoise savoureuse. On pourra juger la chose quelque peu anodine et convenue au vu de ses enjeux narratifs (Lola arrivera-t-elle à convaincre son bellâtre aux principes d’un autre âge de la culbuter avant le mariage ?) et d’un casting quelconque et aphone que domine sans effort la superbe Anna Ammirati. Pourtant la joie de vivre et l’énergie solaire de la mise en scène, du montage et de la bande-son finissent par emporter ces quelques réserves. Dans les faits, Lola la frivole est une comédie polissonne profondément attachante et traversée de purs moments de folie comme ce pipi rageur et libérateur de l’héroïne au milieu de la route, sous une pluie battante, une nuit d’orage. Le voyeurisme éhonté et magnifique d’une telle scène n’est là que pour nous rappeler à quel point Tinto Brass se contrefout des bonnes manières et refuse de faire rentrer son érotisme bon vivant dans le rang.
Image
Sidonis Calysta a fait le bon choix en récupérant des masters ayant déjà fait leurs preuves à l’étranger. Dans le cas de Salon Kitty, on retrouve donc avec bonheur la copie intégrale et non censurée exploitée par Blue Underground aux USA. Malgré quelques fugaces accrocs de pellicules et autres tâches, le résultat est agréable et soigné avec un grain cinéma parfaitement équilibré, une définition au poil et des couleurs soigneusement restituées. Quant à Lola la frivole, il s’agit ici du très bon master disponible depuis un bail chez les anglais d’Arrow, avec là encore quelques défauts (un soupçon de moirage sur une poignée de plans et quelques scratchs) mais qui ne pèsent pas lourds sur une impression générale très satisfaisante et tout à fait aux normes de la haute-définition.
Son
Les pistes sons ont été nettoyées pour les deux films, la dynamique acoustique est solide et l’exhaustivité est de mise. Salon Kitty est en effet présenté dans ses versions italiennes, anglaises et françaises (avec un doublage réussi pour cette dernière) sans le moindre bidouillage et Lola la frivole peut se déguster sans réserve dans son mixage Dolby Stéréo d’origine. Félicitons à l’éditeur pour son travail très respectueux.
Interactivité
Seul Salon Kitty a droit à un luxueux médiabook quant Lola la frivole doit se contenter d’un boitier amaray double et de son fourreau. On peut regretter cette hiérarchisation entre les deux films et on aurait préféré avoir le choix comme avec les galettes de la collection Mario Bava, histoire de pouvoir harmoniser les éditions sur nos étagères.
Les deux films sont par ailleurs proposés avec d’excellentes présentations d’une quinzaine de minutes chacunes animées par Jean-François Rauger et où le big boss de la Cinémathèque française défend la position de Tinto Brass en tant qu’auteur de premier plan. Mais Salon Kitty se distingue une fois encore avec l’ajout de suppléments issus de l’édition US de Blue Underground. Soit deux entretiens courts mais passionnants avec Tinto Brass et Ken Adam. Très détendu, le cinéaste mêle anecdotes de tournage avec son casting, remarques piquantes sur la censure et notes d’intention sur le propos de son film. Quant au directeur artistique de renom, il ne tarit pas d’éloges sur Tinto Brass et sur un film qui lui a redonné goût à son métier après le tournage épuisant de Barry Lyndon avec Stanley Kubrick.
Liste des bonus
Salon Kitty : un livre écrit par Olivier Père, directeur cinéma ARTE France (60 pages), Présentation du film par Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque Française) , « Inside Salon Kitty » : Interview de Tinto Brass (15’), « Designing Salon Kitty » : Interview de Ken Adam, chef décorateur du film (18’), Bande-annonce internationale (4’), Bande-annonce US (1’30”).
Lola La Frivole : Présentation du film par Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque Française).