Mai 2017, le directeur du FBI est démis de ses fonctions par le Président Trump alors que des rumeurs de plus en plus prégnantes d’une implication des services secrets russes dans les élections américaines font l’actualité. Quelques semaines plus tard, Reality Winner est interceptée devant chez elle alors qu’elle rentre du yoga, ses courses dans la voiture. Elle est ancienne militaire et travaille toujours comme linguiste pour la NSA. Entre elle et les représentants du bureau fédéral une étrange bataille s’installe, puisque si elle sait très bien pourquoi ils sont venus et eux ont déjà de nombreuses preuves en réserve, aucun n’évoque réellement le sujet en question. Un pachyderme au centre du dispositif que tout le monde évite volontairement d’évoquer, la conversation démarrant sur quelques sujets badins (les animaux, le voisinage…) toujours avec ce ton polis, ce sourire joyeux et ce curieux enthousiasme pour tout et pour rien.  Une absence de naturel qui n’est pas à imputer à un scénariste naturaliste maladroit mais bien à la retranscription verbatim du véritable interrogatoire enregistré alors par un simple dictaphone et publié ensuite de manière tout à fait officielle.

Révélations

Un hyper-réalisme frisant justement progressivement à l’irréel, voir justement à cette inquiétante étrangeté lynchienne, en particulier lorsque l’entrevue se poursuit dans une annexe inutilisée de la maison, totalement vide et à la luminosité froide, où les sujets se font de plus en plus précis et oppressants. Un huis-clos qui se referme graduellement sur Reality Winner (son vrai nom et pourtant déjà un symbole), fille ordinaire, un peu fantaisiste pour sa fascination pour le crossfit, ses dessus de lit Pikachu et sa mitraillette rose, métaphore malgré elle de l’américain moyen, patriotique convaincue mais perdue face à une puissance étatique de plus en plus absurde et destructrice. Des rapports de force déséquilibrés et improbables admirablement mis en scène par Tina Satter qui avait déjà exploré le même dispositif pour une version théâtrale intitulée « Is This A Room ». Son talent est ici de ne justement jamais tomber dans la simple reconstitution ou dans l’exercice du théâtre filmé, mais bien de proposer une réalité cinématographique parallèle où l’ordinaire perd toute tangibilité et transforme une simple américaine en lanceuse d’alerte convaincue et nécessaire.

On pardonnera quelques petites tentatives de stylisation d’une mise en scène qui n’en avait guère besoin (les apparitions de fichiers audios, les photos de la vraie Reality, les « disparitions » physique illustrant les passages stabilotée de noir dans le dossier officiel…) n’entachant pas une tension omniprésente et une performance considérable de l’actrice Sydney Sweeney (Euphoria, The White Lotus) fascinante révélation de cette expérience symptomatique d’une réalité politique et sociétale américaine qui s’enfonce progressivement dans l’irréel.