R.A.S.
France, Italie, Tunisie – 1973
Support : Bluray
Genre : Drame, Guerre
Réalisateur : Yves Boisset
Acteurs : Jacques Spiesser, Jacques Villeret, Jacques Weber, Claude Brosset, Jean-François Balmer, Michel Peyrelon…
Musique : François de Roubaix
Image : 1.66 16/9
Son : Français Dolby Audio 2.0 mono
Sous-titres : Aucun
Durée : 117 minutes
Éditeur : Tamasa Diffusion
Date de sortie : 04 juin 2024
LE PITCH
Trois amis rejoignent la troupe des mobilisés pour la guerre d’Algérie. Les événements poussent l’un d’eux à vouloir déserter puis à tuer. Il finit par comprendre l’absurdité du massacre qu’il a perpétré.
« Tu seras un homme, mon fils »
Toujours prompt à mettre le doigt là où ça fait mal, Yves Boisset balançait sur les écrans français une vision sans concession de cette Guerre d’Algérie, que l’on ne pouvait encore officiellement appeler « guerre », accompagnant une jeunesse sacrifiée embrigadée pour casser du « bic » de l’autre côté de la méditerranée. C’était le bon temps des colonies comme dirait l’autre.
Si certains cinéastes abordent leur film par le biais des personnages, Yves Boisset le fait par le biais de ces sujets. Des thèmes forts, engagés, voir tabous, qui ne caressent pas grand monde dans le sens du poil, mais qui en tout cas, aujourd’hui encore paraissent essentiels. Le combat d’Yves Boisset ? Contrecarrer la bêtise crasse, le racisme beauf, le nationalisme aveugle et enrayer la grande machine qui n’a de cesse de briser les individus. S’il avoue avoir été plutôt protégé durant son service sur le front algérien, il n’en garde pas moins un souvenir cuisant, et témoigne de nombreuses rencontres avec de jeunes soldats traumatisés par le front et le système militaire français. Il aborde ainsi R.A.S. comme toujours avec une frontalité totale, mais aussi un souci de réalisme, de véracité, extrêmement poussé alors même (nous ne sommes qu’en 1973, 10 ans à peine après la fin officielle du conflit) que cette guerre, et surtout les exactions françaises, sont encore et toujours dissimulées sous une chape de plomb des plus opaques. Enrôlement forcés, humiliations, privations, déshumanisations, massacres d’innocents, tortures… Le film de Boisset, affichant avec ironie les initiales du « Rien à signaler » enfonce les portes unes à unes, même les inviolables, comme un film dossier particulièrement fort et réaliste.
Mort les enfants
Du visage sacrifié d’une jeunesse française à une culture militaire bornée et cruelle à l’absence presque constante de « véritable ennemis », c’est sans aucun doute la meilleure fiction traitant de la guerre d’Algérie, mais aussi une vision nette des conflits à venir, comme l’atteste une certaine ressemblance dans cette notion constante d’attente et d’ennui avec le languissant Jarhead. Ici d’ailleurs l’ennemi n’est que rarement ces fameux fellagas censés être partout mais qu’on ne croise presque jamais, mais surtout la bonne vieille idéologie viriliste et raciste qui liquéfie le cerveau à coups d’exercices interminables, de privations et d’injustices constantes. Et ce portait tragique d’une guerre sans fondement, n’est que mieux réussie grâce à la mise en scène sobre de son auteur, restant toujours au plus près de sa joyeuse troupe de bidasses récalcitrants, frôlant le documentaire avant d’imposer des plans larges de paysages minéraux, secs et écrasants, théâtre d’une tragédie historique et humaine. On ne rappelle d’ailleurs jamais assez, au-delà de l’efficacité indéniable de la mise en scène de Boisset, venu de la série B et fans de l’exploitation américaine, son instinct pointu pour choisir ses acteurs et les diriger avec une intensité renversante. Ici de « jeunes gueules » du cinéma hexagonal qui s’appelaient Jacques Chailleux (Les Valseuses) en lâche ordinaire, Roland Blanche terrible en soldaillon toujours prêts à dégoupiller, Jacques Weber puissant en militant communiste fort en gueule, Jean-François Balmer à la noblesse écrasé par les bottes, le déjà touchant et fragile Jacques Villeret et bien entendu Jacques Spiesser (Stavisky, La Gifle…) reflet autant physique que psychologique du cinéaste face à l’horreur triste qui l’entoure.
Encore et toujours un sacré morceau, film témoin dur et déchirant, œuvre violemment politique qui fit alors bondir les comités de censure, l’armée française et l’extrême droite, R.A.S. ouvrit surtout une parole qui restait jusque-là presque interdite. Le film suivant de Boisset fut ni plus ni moins que l’incontournable (mais aujourd’hui introuvable) Dupont Lajoie preuve que Boisset était loin d’en avoir fini avec la vieille France, rance et puante.
Image
Dix ans après le précédent DVD déjà édité par Tamasa, R.A.S. s’offre enfin une sortie Bluray. Un master HD qui est cependant issu de la même source que la galette précitée. Heureusement, celle-ci avait été plutôt soigné avec un nettoyage éprouvé des cadres, une stabilisation bien solide et surtout une rehausse considérable des couleurs ocres et chaudes. Tous ces efforts sont encore plus appréciables en Bluray grâce à la définition plus poussée et surtout un support plus apte à gérer le grain très marqué de l’image. Cela n’empêche pas certains segments, dans les arrières plans et les plans larges écrasés par le lourd ciel bleu, de vriller parfois vers un bruit et des artefacts plus numériques.
Son
C’est simplement la stéréo d’origine qui est proposée, identique à la piste de l’ancien DVD, avec un rendu bien clair et ferme, sans vraiment de disparité ou d’effets dissonants.
Interactivité
Cette nouvelle édition reprend tout logiquement le long segment réservé à R.A.S. dans la longue interview d’Yves Boisset intitulée « L’envie d’en découdre » qui le reliait aux éditions DVD de Allons z’enfant et Le Prix du danger. Comme toujours le cinéaste est un excellent client de ce type de monologues rétrospectifs, revenant généreusement sur ses souvenirs de productions et de tournages, évoquant sans détour les nombreux aléas d’un projet pas vraiment bien vu par l’armée française et même algérienne alors en pleine période de conscription contre le Maroc. Travail avec les acteurs, véracité des faits, décors tunisiens, soucis avec la censure et réception initiale, Boisset n’hésite jamais à délivrer quelques anecdotes croustillantes même si on sait que le monsieur a une belle tendance à l’exagération.
Ajout inédit de 2024, la partie supplément est complété par une rencontre récente avec l’immense acteur Jacques Weber, qui offre son propre regard sur l’un de ses premiers tournages majeurs, revenant bien entendu sur sa forte amitié avec le regretté Jacques Villeret, la cohésion entre la jeune troupe, l’antimilitarisme généralisé de l’époque et sa vision du cinéma nécessaire d’Yves Boisset. A eux deux tout est dit ou presque.
Liste des bonus
« Yves Boisset, l’envie d’en découdre : R.A.S. » (43’), « R.A.S. » raconté par Jacques Weber (31’).