QUEIMADA
France, Italie – 1969
Support : Bluray & DVD
Genre : Drame, historique
Réalisateur : Gillo Pontecorvo
Acteurs : Marlon Brando, Evaristo Marquez, Renato Salvatori, Dana Ghia, Valeria Ferran Wanani, Giampiero Albertini…
Musique : Ennio Morricone
Durée : 129 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Italien, anglais, français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Editeur : Rimini Editions
Date de sortie : 22 septembre 2021
LE PITCH
Au 19ème siècle, Sir Wiliam Walker débarque à Queimada, une île portugaise des Antilles. Officiellement, il est là pour son plaisir. En réalité, il a été envoyé par le gouvernement britannique pour une mission secrète : fomenter une révolte des esclaves qui avantagera les anglais.
Néo-colonialisme : Mode d’emploi
Trois années après la sortie de l’explosif La bataille d’Alger, Gillo Pontecorvo récidivait en 1969 avec la sortie d’un nouveau pamphlet anti-impérialiste. Porté par un grand Marlon Brando très impliqué, ce Queimada reste, plus de 50 ans après sa sortie, toujours aussi actuel et malaisant.
Membre du Parti Communiste et résistant durant la Seconde Guerre Mondiale, Gilo Pontecorvo développa durant sa carrière de cinéaste son engagement politique. Cela explique d’ailleurs sans doute sa maigre filmographie composée entre autres de Kapo (qui traite des camps de concentration), La bataille d’Alger (sur la Guerre d’Algérie, longtemps censuré en France et qui ressort en Blu-Ray chez Studio Canal), Ogro (sur le mouvement ETA au Pays Basque) et ce Queimada qui demeure son projet le plus ambitieux, le plus couteux et qui précipita sa fin de carrière. Malgré sa réelle qualité et l’énorme interprétation de Marlon Brando (alors en retrait d’Hollywood pour mener ses engagements politiques notamment concernant les indiens d’Amérique), Queimada sera un échec public et ne sortira aux Etats-Unis que dix ans plus tard et dans une version raccourcie de 20 minutes. Une censure tout à fait compréhensible, car s’il n’est nullement fait allusion à L’Once Sam dans le film, c’est bien la politique extérieure américaine, antérieure et contemporaine (Guerre du Viêt-Nam, interventionnisme en Amérique Latine…) à l’œuvre, qui est visée ici. Ainsi, le personnage principal, présenté comme un britannique, est la reprise d’un aventurier américain ayant bien existé au 19ème siècle, William Walker, « coupable » entre autres d’avoir envahi (avec l’accord officieux de son pays) des pays d’Amérique Latine pour faciliter l’implantation des grandes entreprises américaines. Parmi ses faits d’armes, il parvint également à devenir Président du Nicaragua (!?) et à y réimplanter l’esclavage pourtant aboli depuis des décennies…
Un Parfum de western Zapata
Et ce dès le générique psychédélique où des taches de sang inondent l’écran avec la complicité de la magnifique musique de Morricone ! Ce courant politisé nous donnera quelques joyaux comme El chuncho de Damiani (sortie Blu-Ray en novembre chez Carlotta), Il mercenario de Corbucci, Tepepa de Petroni… Ces films mettaient, à l’instar du film de Pontecorvo, en place une sorte de duo/duel entre l’autochtone révolutionnaire et un étranger présent pour des raisons troubles. Il est intéressant de constater que le scénariste de ces westerns, Franco Solinas, est également à l’écriture ici. Lui qui travaillera sur quasi tous les projets de Pontecorvo, œuvra aussi pour Losey (Mr Klein…), Costa-Gavras (Etat de siège) ou encore Rosi (Salvatore Giuliano). Il apporte ici une verve politique ainsi qu’une description réaliste des mouvements révolutionnaires, de leurs causes et conséquences. Enfin, cette fable amère (il s’agit d’une île fictive) qu’est Queimada, au-delà de sa vocation politique, n’en reste pas moins un témoignage proche du documentaire. Difficile de ne pas voir dans cette histoire une représentation d’événements passés et présents où les puissances « impériales », sous couvert de « démocratisation » ou de « libération des peuples », colonisent économiquement de facto des pays…
Néanmoins, on pourra regretter que Renato Salvatori, qui joue le chef des métis, soit maquillé ou que les autochtones soient montrés dans le film comme une masse uniforme, silencieuse, passive…ce qui permet toutefois à Pontecorvo, en se focalisant sur Walker, de dresser un portrait au vitriol d’élites rongées par l’appât du gain et un sentiment de supériorité… pouvant rapidement se retourner contre eux.
Image
Comparé aux anciennes éditions DVD, cette version Blu-Ray permet d’avoir des images plus claires, des couleurs plus contrastées tout en conservant le grain propre aux réalisations d’alors. La vision du générique d’ouverture tendance psychédélique, très coloré avec inserts d’images du film, ravivera des souvenirs aux amateurs de western italien ! On pourra toutefois constater différentes teintes tout au long de ce film principalement tourné en extérieur, ce qui s’explique en partie par les différents lieux de tournage, en Colombie puis dans les montagnes marocaines. Maïs malgré ces améliorations comme une bonne définition, l’image reste assez terne, renforçant le côté documentaire du film.
Son
Rien à redire sur la qualité des versions Mono. La difficulté ici est de choisir laquelle, Carlotta nous proposant la version courte, disponible en anglais et en français, et la version longue en italien. Même s’il peut paraître dommage d’entendre Brando parler en italien, c’est bien cette version, plus cohérente…et révolutionnaire, que nous vous conseillons.
Interactivité
Rimini nous a concocté une bien belle édition avec notamment un livret de 24 pages. Parmi les bonus vidéo, c’est un plaisir de découvrir Pontecorvo s’exprimer en français et évoquer son désintéressement en affirmant n’avoir pas besoin de faire beaucoup de films pour s’en sortir financièrement et qu’il juge juste de toucher un salaire proche de celui d’un professeur. Il évoque également un projet de films sur les Indiens avec Brando, qui ne se fera malheureusement pas.
L’interview du monteur Mario Morra est riche en anecdotes. On apprend ainsi que Brando et Pontecorvo eurent une dispute impressionnante à la suite d’une scène qui fut retournée à « 46 reprises » selon lui ! D’ailleurs pour se prémunir des attaques de ses comédiens, Pontecorvo avait toujours sur lui une… matraque ! Il nous rappelle aussi que le cinéaste faisait beaucoup, trop, de prises : le final de La bataille d’Alger ne comptait pas moins de 10 bobines de 300 mètres avant le montage ! Enfin, il reçut des offres alléchantes de producteurs comme Dino De Laurentiis, mais préférait consacrer ses réalisations aux oubliés et aux opprimés. Comme l’acteur Evaristo Marquez qui était berger, et fut repéré sur le lieu de tournage à Carthagène en Colombie. Comme salaire, celui-ci aurait demandé « trois millions et des vaches » !
Enfin, le scénariste Giorgio Arlorio évoque les difficultés du film, les Américains, en tant que coproducteurs, souhaitant faire capoter le film suite à la divulgation du scénario. Brando aurait alors signifié qu’il était prêt à réduire son salaire de moitié. Il est à noter qu’il était alors proche de Warren Beatty et de Harry Belafonte, très impliqués politiquement et qui selon les dires de Arlorio, étaient ses « conseillers politiques ». Les deux auraient postulé pour jouer dans le film, mais Pontecorvo a refusé, tout comme pour Sidney Poitier qu’aurait dû tenir le rôle finalement dévolu à Evaristo Marquez.
Liste des bonus
Version courte (110’), La révolution du capitalisme, entretien avec Giorgio Arlorio. (38’), « Gilo et moi », interview de Mario Morra, monteur (25’), Interview de Gillo Pontecorvo, Archives RTBF (5’)