PETER IBBETSON
Etats-Unis – 1935
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Henry Hathaway
Acteurs : Gary Cooper, Ann Harding, John Halliday, Ida Lupino…
Musique : Ernst Tosh
Durée : 85 minutes
Image : 1.33 16/9
Son : Anglais LPCM 2.0 mono
Sous-titres : Français
Editeur : BQHL Editions
Date de sortie : 06 octobre 2021
LE PITCH
Arraché à son amie Mimsy alors il n’avait que huit ans, Peter Ibbetson ne vit que dans l’espoir incertain de la retrouver. Désormais architecte à Londres, il reçoit pour mission de rénover les écuries du duc de Towers, dont l’épouse l’attire irrésistiblement. Au moment où il découvre que la duchesse et Mimsy sont une seule et même femme, il tue son mari armé dans un geste de légitime défense. Condamné à la prison à perpétuité, Peter Ibbetson n’en continue pas moins à vivre sa passion éperdue, relié à celle qu’il aime tant par la pensée et le rêve…
Jusqu’à ce que la mort nous sépare
Venues un peu de nulle part, il existe des œuvres qui émergent, qui émeuvent sans que l’on s’y attende. Peter Ibbetson, fait partie de ces miracles cinématographiques comme on en voit peu par décennie. Un film unique, un bijou immortel qu’il est grand temps de redécouvrir. Chose faite sur support HD aujourd’hui.
Cinéaste bien trop souvent sous-estimé, Henry Hathaway n’est pas le réalisateur à la solde des studios que son image a laissé contrairement à tant d’autres. Débutant comme accessoiriste, il a gravi seul les échelons jusqu’à celui de réalisateur. Même s’il est plus connu pour ses westerns et films de guerre avec John Wayne et Gary Cooper, il a su toucher aux polars et autres genres avec plus ou moins de brio. En ce début des années 30, il est surtout connu pour ses nombreuses adaptations de Western de Zane Grey. Mais cette année 1935 sera le tournant d’une carrière qui ne cessera de surprendre au gré des décennies. Sa rencontre avec Gary Cooper allait faire la joie des aficionados de films d’aventures avec la sortie du film Les trois lanciers du Bengale qui venait de triompher sur les écrans. C’est tout naturellement que l’acteur alors en pleine ascension réussit à l’imposer sur le tournage de ce Peter Ibbetson ; drame romantique et gothique, premier livre de George L. Du Maurier (grand-père de Daphné Du Maurier dont Hitchcock adapta Rebecca, autre drame gothique). Après leur succès commun, Cooper et Hathaway misent gros pour leur carrière en changeant radicalement de registre au risque de perdre leur public. Mais que serait la vie sans pari.
Duo gagnant
Dès le début de son film, le réalisateur aime nous surprendre. Il s’attarde sur l’enfance et l’amitié de ses protagonistes. En quelques mouvements de caméra, Henry Hathaway arrive à nous replonger dans cette connivence de l’âge doré jusqu’au drame de la séparation. Une intro en or et d’importance sans aucune mièvrerie. Hathaway dirige parfaitement ses jeunes acteurs. Il s’était déjà essayé à l’exercice avec Shirley Temple peu de temps auparavant dans le film C’est pour toujours (c’est d’ailleurs sur ce tournage qu’il fit la connaissance de son acteur principal). Le temps passe et l’acte deux se met en place. Apparait un Cooper, tout jeune, la trentaine et déjà charismatique donnant vie au rôle-titre. Comme nombre d’adulte revivant dans le passé il revient sur les lieux ouatés et idéalisés de son enfance. Architecte de métier, le destin l’envoie réparer les écuries d’une vielle demeure. Et quand le destin s’en mêle, il ne peut que l’envoyer sur son amourette d’enfance qui a bien grandie. Bien entendu, ils ne tarderont pas à se reconnaitre, au grand désarroi du mari de la belle, les mariages de raisonne peuvent combler des sentiments laissés en friche. Ann Harding et John Halliday forme ce couple conscient de leur limite amoureuse tout en nuance et en retenue. Une scène de diner fait culminer cette tension latente. Par une mise en scène incisive, un sens du cadrage et un découpage au cordeau frôlant la perfection, Hathaway, en une scène fait basculer l’atmosphère de son film. Celui-ci depuis quelques séquences déjà se tournait imperceptiblement vers l’imagerie gothique. Cet amour contrarié et platonique ne pourra que finir dans le drame via le décès du châtelain provoquant l’enfermement à perpétuité de
Peter Ibbetson pour crime passionnel.
Il aurait été facile pour le cinéaste de s’attarder sur l’action et sur le procès qui en suivit ; celui-ci l’évite avec intelligence et maestria par un flashback en surimpression sur son personnage en détention comme vivant un cauchemar éveillé. Justement le sujet vers quoi son film s’engage. Jouant sur la frontière entre le rêve et la réalité, le fantastique s’en mêle, les repères du spectateur s’en trouvent bouleversés. Hathaway ne prend pas parti pour un genre ou pour un autre mais les embrasse tous les deux avec la même intensité. Il adapte sa mise en scène, la rend vivante. Les tourtereaux passeront des décennies à se rejoindre dans cet entre-deux mondes. L’amour étant plus fort que la raison, la faucheuse elle-même, le temps venu, ne pourra rien y faire donnant raison. L’auteur s’accapare les écrits sacrés « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? ». Rien ne peut séparer les êtres aimés.
Le pari du film est gagné. C’est une franche réussite. Même si le public le boude à sa sortie, une leçon de cinéma nous est offerte. Jamais niais, toujours au cordeau, pas une minute n’est de trop ; il n’y a rien à rajouter, rien à retirer. L’un des plus grands films poétiques du cinéma n’attend que vos yeux ébahis pour la redécouverte.
Image
Malgré son âge certain, le master de Peter Ibbetson est plus que probant. Nettoyé, restauré, les contrastes tiennent la route même si quelques griffures apparaissent de ci de là, mais la copie rend bien justice à la belle composition photographique du vétéran Charles Lang.
Son
Uniquement proposé dans sa version originale, la piste sonore a été honnêtement nettoyée. Les bruitages et autres effets naturels s’incorporent magnifiquement sur la pellicule sans qu’un souffle ne vienne parasiter les dialogues.
Interactivité
Imbriqué dans son fourreau, l’éditeur BQHL chouchoute son édition en y incorporant un livret reprenant la carrière du film écrit par Marc Toullec. Mais ce n’est pas tout car la section bonus est plutôt sympathique. Grand défenseur d’Hathaway (et il a bien raison) Bertrand Tavernier revient en compagnie de Noél Simsolo sur la place du film dans la carrière du réalisateur. Un autre module se consacre quant à lui au roman dont le film est tiré. Enfin Maxime Leroy, maitre de conférences en littérature britannique du XIXeme siècle nous montre sa passion en replaçant le livre dans son contexte en appuyant sur les différences entre la fiction et le film.
Liste des bonus
Peter Ibbetson, Histoire d’un rêve (25’), Présentation du film par Bertrand Tavernier et Noel Simsolo (25’), Presentation du film par Maxime Leroy (58’), livret de 20 pages par Marc Toullec.