Persepolis c’est donc en premier lieu une petite série de quatre albums qui dès leurs sorties ont fait grand bruit, autant par leur humour féroce, leur célébration de la vie, que par le témoignage direct et sans affèterie de la réalité iranienne tel que vécue par sa population depuis quelques décennies. L’adaptation en film d’animation (certains y avaient vu bêtement un soap live) n’était étonnement pas une évidence pour sa créatrice, mais pourtant, aidée par le collègue Vincent Paronnaud, elle réussit à élever son histoire encore plus haut, lui apportant par le recentrage du récit sur les épisodes familiaux et par la force du mouvement et d’une mise en scène qui va piocher dans les grands classiques en noirs et blancs (de l’impressionnisme à au film noir hollywoodien) a une plus grande universalité encore. Car Persepolis est certes dans sa trame un récit autobiographique, retraçant avec franchise et tendresse le quotidien de la vrai Marjane, petite fille, ado puis jeune adulte, entre premiers amours, galères et vie de famille, mais c’est aussi une réflexion profonde et intelligente sur l’état d’une société marquée et hantée par les tragédies historiques. De celles qui font s’effondrer les rêves de démocraties et jettent les populations dans les bras du totalitarisme, ici religieux.

Petites et grandes révolutions

Si la gamine, et bien entendu l’adolescente rebelle, ne manquent pas de colère, de rage et de désespoir face aux injustices innombrables auxquelles elles sont confrontées, la réalisatrice adulte apporte une forme de sagesse, apaisée ou du moins résignée. Une force de caractère héritée de cette fabuleuse grand-mère, entre gros mots et grandes leçons, célébrant la résistance, la dignité, et une poétique toute féminine lorsqu’elle explique mettre des fleurs de jasmin dans son soutien-gorge pour sentir bon toute la journée. Comme un symbole d’une liberté iranienne dissimulée contre le cœur mais dont les parfums restent tenaces. Tranche de vie et tranche d’Histoire se mêlent ainsi constamment, alternant les petites scénettes pleines de la drôlerie de ce petit bout de femme qui n’a décidément pas sa langue dans sa poche et la pertinence d’être souvent incroyablement juste dans ses remarques acerbes (Mafalda sort de ce corps !), et les grands moments d’émotions tout en finesse évoquant les nombreux disparus, partis sous les coups des bombes, emprisonnés par le régime du Shah ou exécutés par la police des mœurs. Et Persepolis peut être tout autant brutal et glaçant lorsqu’il capture un monde devenu fou et dont les femmes sont inévitablement les premières victimes d’une violence liberticide. « Les femmes comme toi, je les baise contre les murs et je les jette aux ordures » crache au visage un soldat de pacotille à la maman de Marjane devant sa fille médusée. Il serait trop simple bien entendu de se dire que cela n’arrive qu’en Iran, et le film passe le message avec force et talent.