PAUVRES CRÉATURES
Poor Things – Irlande, Royaume-Uni, Etats-Unis – 2023
Support : Bluray
Genre : Fantastique
Réalisateur : Yorgos Lanthimos
Acteurs : Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Christopher Abbott, Jerrod Carmichael
Musique : Jerskin Fendrix
Image : 1.66 16/9
Son : DTS HD Master Audio 5.1 anglais, DTS 5.1 castillan, Dolby Audio 5.1 français, allemand…
Sous-titres : Français, castillan, allemand, espagnol…
Durée : 141 minutes
Editeur : 20th Century Studios
Date de sortie : 22 mai 2024
LE PITCH
Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.
And God created woman…
Lion d’or à la Mostra de Venise, célébré aux Golden Globes, aux BAFTA et bien entendu aux oscars où Emma Stone a obtenu, et c’est largement mérité, le prix d’interprétation féminine, Pauvres créatures était bien entendu un film dont personne ne voulait, une adaptation du roman de Alasdair Gray que tout le monde déconseillait au réalisateur Yorgos Lanthimos. « Tout le monde » est très souvent de mauvais conseil.
De Canine au plus récent La Favorite, déjà produit chez Searchlight Pictures, Yorgos Lanthimos est un cinéaste qui tranche et qui très souvent divise. Il faut dire que son cinéma n’est effectivement jamais fait pour caresser le spectateur, et le petit monde de la production, dans le sens du poil. Il aime les atmosphères perturbantes, les personnages ambiguës et à la morale hors cadres, les rythmes lancinants et les univers déstabilisants, jamais très loin de métaphores théâtrales ou de dystopies absurdes. Certainement son plus gros budget à ce jour et son entreprise la plus ambitieuse, Pauvres créatures n’est pas là pour marquer un revirement dans son approche. Bien au contraire. En tendant légèrement la main à un public légèrement plus large par la présence de l’une des stars hollywoodiennes du moment (Emma Stone, aussi coproductrice et qui donne, littéralement, tout), en déployant un monde d’effets spéciaux luxueux entre numériques et techniques à l’ancienne particulièrement réussi et en s’approchant d’un mythe fermement incrusté dans la mémoire collectif, il ne fait que se dégotter un nouveau terrain d’expérimentation. Plus vaste, plus malléable finalement, mais certainement pas si différent. Ce mythe, c’est bien entendu celui du Prométhée moderne, écrit par Mary Shelley en 1818 et désormais toujours accompagné de sa cohorte d’images, de surimpressions laissées par les milliers d’adaptations plus ou moins fidèles de Frankenstein.
La fiancée des Frankenstein
Avec son noir et blanc tranché, son défilé de monstres improbables (le cochon-chien, la chèvre à tête d’oie…), sa renaissance grâce à la fée électricité et son laboratoire fantasque, les premières minutes évoquent forcément les chefs d’œuvres de James Whale pour la Universal, sauf que le scientifique (Willem Dafoe… Willem Dafoe) a lui-même la tête d’un monstre rapiécé et que sa créature, Bella n’est encore la fiancée de personne, femme enfant dont il a greffé le cerveau de la progéniture dans le crane de la mère suicidé. Un postulat bien déviant, et outrancier, mais qui ouvre la voie à une relecture totale de la trajectoire tragique du soi-disant monstre, faisant d’elle la figure d’un recommencement et surtout d’une renaissance, libérée des entraves des codes de la société, de la morale et de la conscience de que tout un chacun attend des femmes. De film gothique à fable à la Voltaire, Pauvres créatures se révèle rapidement une explosion de lumières, de couleurs, de sensations alors que Bella découvre autant le monde, ses plaisirs, ses tristes réalités, ses bonheurs et ses cruautés, qu’elle se réapproprie son corps, expérimentant farouchement sa sexualité avec ses mains, avec son amant Duncan (Mark Ruffalo) qui se croyait si libre et même dans une maison close où à aucun moment elle ne se pose en victime de quoi que ce soit.
Indomptable, Bella séduit autant par sa candeur naturelle que par sa faculté à apprendre de tout, à tirer ses propres conclusions, et devenir sa propre armes, éduquées et consciente, pour être à même de changer le monde et se débarrasser du patriarcat et de ses mâles/bêtes. Une œuvre absolument féministe, mais dont la puissance de manifeste est tout autant embarqué par l’interprétation passionnée d’Emma Stone, saisissante dans sa capacité à montrer les évolutions de son personnage, que par la liberté totale du cinéaste Yorgos Lanthimos. Passant allègrement du théâtre enluminé, du conte de fée, à la crudité de baises phénoménales, ou capable de mélanger une maitrise totale de sa mise en scène (pleine de zooms, de déformations et de compositions à tomber) avec des ruptures de ton abruptes, de la comédie enfantine à la dernière bobine aux lisières de l’angoisse, toujours baignée dans un irrésistible humour aussi féroce que corrosif.
Une nouvelle et superbe créature de cinéma, une évocation brillante de la femme réinventée, et Pauvres créatures est une sacrée réussite qui secoue et amuse comme peuvent le faire les grands films.
Image
Yorgos Lanthimos n’a pas hésité à faire appel à une pellicule 35mm Ektachrome modifié spécialement pour accompagner au mieux ses nombreux changements de focales et ses recherches esthétiques, parfois opposées entre un noir et blanc proche de sensations contrastés des grands films des années 20 et 30 et des sections aux couleurs flamboyantes, déluge de détails et de variations de teintes. Le Buray édité par 20th Century Studios l’accompagne avec une rare ferveur, rendant à merveille la moindre intention, soulignant le moindre détails, l’opulence des décors et de la photographie. Même le grain, vibrant et organique de la pellicule, est restitué avec le même sérieux sans jamais tenter de le diminuer. Mais où est l’édition 4K ?!
Son
La piste original DTS HD Master Audio 5.1 (là encore, qu’aurait pu donner un Dolby Atmos…) est tout aussi généreuse, glissant avec fluidité sur les nombreux changements d’ambiances et de décors pour offrir des atmosphères toujours très incarnées, dynamiques, enveloppantes, parsemées de nombreux détails d’arrière-plans, sans jamais perdre les voix et les effets plus réguliers en cours de route.
Avec son petit Dolby Digital 5.1, le doublage français pas vraiment dans la course, semble quelque-peu à la traine.
Interactivité
On aurait aimé une édition 4K. On aurait aussi apprécié une édition plus riche (non, on ne parle pas d’un steelbook ou d’un collector à 60 euros). Il faudra cependant se contenter d’un boitier simple avec fourreau cartonné, de trois courtes scènes coupées (la première est intéressante, les deux autres très anecdotiques) et d’un making of de moins de trente minutes. Un peu court certainement pour accompagner totalement le long métrage, mais heureusement plutôt bien construit avec quelques interviews accrocheuses, quelques images de tournages attendues, et quelques propos plus techniques et artistiques que la moyenne. Un peu trop sage certainement pour un film comme Pauvres créatures.
Liste des bonus
« Une beauté innée : Le Making of de Pauvres créatures » (21’), 3 scènes coupées (4’).