Ancien dépressif qui tenta même de mettre fin à ses jours en se jetant du haut des bureaux de son entreprise d’assurance, La Mutuelle vie, mais empêché ironiquement par les lettre en néons du mot Vie qui trônait fièrement sur la face du bâtiment, Alain devient le premier patient du docteur Valois (Alain Dutronc). Un traitement expérimental qui doit lui permettre de ne plus voir que les points positifs de sa vie, profiter de chaque instant sans plus se poser de question. Le voilà « flashé », devenant de plus en plus détaché, arborant un sourire comblé aussi désarmant qu’agaçant et un libre arbitre totalement au fraise. Le pur et fier produit de la société moderne, entièrement dévoué à son travail, où il devient le nouveau modèle à suivre, increvable et impitoyable, aimant sobrement sa femme avec qui il fait l’amour dans un heureux devoir, et consommant inlassablement et avec entrain toutes les images de la réussite que lui renvoit la télévision et plus généralement la publicité. Alain Jessua n’est pas décidé à rendre les armes et brocarde encore et toujours cette vision insupportable et idéalisée de la société occidentale uniquement portée par le libéralisme et le mythe de la réussite matérialiste. Heureux en tout instant, mais de plus en plus inquiétant dans la disparation de toute forme de critique personnelle ou de notion morale, Alain, comme les autres flashés qui apparaîtront peu à peu, s’approche carrément d’une forme de dangerosité inhumaine.

Les nouveaux monstres

Une forme de monstruosité finalement, souriant comme dans une pub Émaille Diamant et arborant la même coiffure que le héros du spot Martini, vivant dans une maison ultra-moderne mais impersonnelle, cohabitant avec une épouse qui ne le reconnaît plus. Entre séquences délirantes où le héros s’extasie avec deux copains de lobotomie devant les jingles des réclames de l’époque, d’autres plus noirs où il pousse sa belle-mère jusqu’à la mort dans une séance gym tonic impitoyable, et une invasion de masse de zombie heureux et lisses dignes des gamins du Village des damnés, Paradis pour tous n’est pas forcément là pour faire dans la nuance ou la subtilité, mais plutôt pour pousser sa logique jusqu’à la lie et le grotesque volontairement ridicule. Partition outrée donc, démonstration qui prend parfois la forme d’une succession de sketchs plus ou moins convaincants, Paradis pour tous milite encore et toujours contre la déshumanisation contemporaine et fulmine contre une quête du plaisir facile, aveugle et la standardisation docile des populations. Un cinéma toujours en marge pour Alain Jessua, cinéaste passionnant et unique, parfois un peu faible dans sa mise en scène, mais toujours habité par son propos. Une forme de rage, qui a forcément du séduire Patrick Dewaere toujours attiré par les proposition originales et les personnages étranges et déconcertants.

Au milieu ce mélange de critique sociale et de récit d’anticipation, mêlé à une grande dose de comédie acide, l’acteur réaffirme ses talents d’acteurs aux contours comiques, arborant tour à tour un air bêtement satisfait et un regard froid bien plus flippant, jubilant dans les passages les plus improbables et décalés. Ce sera là son ultime apparition à l’écran, qu’il ne verra d’ailleurs pas. Il se suicidera pendant les premiers jours du tournage de Edith et Marcel de Claude Lelouch.