ORGUEIL ET PASSION
The Pride & The Passion – Etats-Unis – 1957
Support : Bluray & DVD
Genre : Aventures
Réalisateur : Stanley Kramer
Acteurs : Cary Grant, Sophia Loren, Frank Sinatra, Theodore Bikel, John Wengraf, Jay Novello, …
Musique : George Antheil
Durée : 132 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais & Français DTS HD Master Audio 2.0 Mono
Sous-titres : Français
Éditeur : Sidonis Calysta
Date de sortie : 7 décembre 2023
LE PITCH
1810. Après avoir saisi un canon à longue portée, Miguel, un milicien espagnol, prévoit d’attaquer l’armée de Napoléon en abattant les murs de la ville d’Avila occupée par les français. Mais pour y parvenir, il doit compter sur l’aide du Capitaine Trumbull, un officier britannique. Alliés sur le champ de bataille, les deux hommes vont pourtant s’affronter pour gagner le cœur de la sulfureuse Juana…
En terre inconnue
D’Orgueil & Passion, son second film en tant que réalisateur, Stanley Kramer ne garde que peu de bons souvenirs. Une logistique épuisante, un scénario inachevé à réécrire au jour le jour et un casting de stars complètement aux fraises lui pourrissent la vie et ne lui permettent pas d’imprimer sur la pellicule le grand mélodrame historique dont il avait rêvé. Sans trop le vouloir (à moins que), le cinéaste sauve pourtant les meubles en recentrant son histoire sur un gigantesque canon que les héros trimballent à travers toute l’Espagne, comme la métaphore parfaite d’un tournage insensé et d’un excès de fierté masculine.
Un triangle amoureux tragique autour d’Ava Gardner, déchirée entre son amour pour un officier anglais droit dans ses bottes et son devoir envers un révolutionnaire espagnol impulsif, le tout sur fond de guerres napoléoniennes. Tel est le point de départ qui engage United Artists et le réalisateur et producteur Stanley Kramer dans l’aventure d’Orgueil & Passion, adaptation très très libre de « The Gun » un roman écrit en 1933 par l’anglais C.S. Forester (la série des Horatio Hornblower ou encore « L’Odyssée de l’African Queen »). Désireux de se frotter au cinéma à grand spectacle, Kramer prévoit de tourner en Espagne et s’assure l’appui du gouvernement de Franco pour avoir accès à des sites spectaculaires et à une importante figuration. Sur le plan technique, il opte pour le Technicolor et le format VistaVision, ancêtre de l’Imax. Confié aux bons soins des époux Edna et Edward Arnhalt (Panique dans la rue, d’Elia Kazan), le scénario doit refléter les ambitions d’un projet pensé pour dominer le box-office de l’année 1957.
Alors que la préproduction touche à sa fin et que le tournage est tout prêt de démarrer, Stanley Kramer déchante déjà. En instance de divorce, les Arnhalt n’ont quasiment pas écrit une ligne de scénario exploitable. Pire encore, Ava Gardner quitte le navire pour Le soleil se lève aussi qu’Henry King tourne aussi en Espagne et dans le reste de l’Europe. La belle brune est remplacée au pied levé par l’italienne Sophia Loren et Kramer enchaîne les prises de vue pour ne pas prendre de retard en meublant avec des scènes de foule et dans l’attente des précieuses pages de script fournies au jour le jour par un script doctor. Pas franchement à l’aise dans son uniforme d’officier de la marine britannique, Cary Grant passe le temps en faisant les yeux doux à Sophia Loren (laquelle n’est pas du tout intéressée et garde ses distances). Quant à Frank Sinatra, présent sur le plateau seulement pour surveiller et faire suivre Ava Gardner, il finit par se lasser de sa propre jalousie et insiste auprès de Stanley Kramer pour faire réduire son temps de présence à l’écran et quitter le tournage plus tôt. Bref, c’est une catastrophe et après avoir engouffré près de 4 millions de dollars dans l’affaire, le cinéaste retourne à Hollywood pour sauver ce qui peut encore l’être au montage.
Le canon de la discorde
Foirée dans les grandes largeurs, la composante humaine et romantique d’Orgueil & Passion souffre de dialogues sans la moindre espèce d’intérêt, d’un trio prestigieux mais qui en fait assurément le moins possible (la palme à Sinatra, absolument ridicule en peòn fier comme un paon) et d’une absence totale de seconds rôles dignes de ce nom, ce qui aurait pu ramener un soupçon d’équilibre. Faute de passion, Stanley Kramer se rabat donc sur l’orgueil, à savoir le grand spectacle et ce foutu canon totalement disproportionné que des centaines de miliciens, de paysans et de soldats vont devoir transporter sur plus de mille kilomètres, à l’insu de l’armée de Bonaparte. Déjà évident en soi, le symbole phallique que représente cette pièce d’artillerie tout à fait improbable explose dans de longues et spectaculaires séquences où Kramer filme avec une avalanche de détails et un fétichisme savoureux la logistique nécessaire pour le faire gravir ou descendre une montagne ou encore traverser un fleuve. En d’autres termes, le réalisateur de La Chaîne et d’Un monde fou, fou, fou consacre toute son énergie et son budget à filmer le transport pharaonique d’une quéquette en acier géante à travers la nature aride de la nation la plus fière et virile d’Europe, dans le seul but d’aller percer un trou dans une muraille et alors que deux gugusses tentent de gagner l’amour d’une starlette aux formes affolantes. Et la métaphore de prendre des proportions bibliques lorsqu’il s’agit de dissimuler la « bête » dans une cathédrale malgré les protestations d’un prêtre outré, soit la meilleure scène du film. Célèbre pour être attentif au message véhiculé par ses œuvres, Kramer nous livre donc ici SA vision de la guerre : le plus grand concours de bites qui soient. Et ce n’est pas tout, puisqu’il est parfaitement envisageable de comparer l’odyssée nonsensique de cet attribut explosif au tournage du film en lui-même, entreprise hollywoodienne menée au fond du ravin par l’ego d’une poignée de mâles ambitieux, jaloux ou amoureux.
Toute l’ironie qui fait d’Orgueil & Passion un objet encore aujourd’hui si singulier n’aura pas échappé à un certain Mike Walker, un dramaturge anglais au service de la BBC et dont la pièce radiophonique The Gun Goes To Hollywood (diffusée en 2011) imagine les coulisses du film de Stanley Kramer au travers du regard désabusé d’Earl Fenton, scénariste de l’ombre venu à la rescousse du cinéaste. Des plus grands échecs naissent parfois les plus belles histoires. Ou tout du moins, les plus drôles.
Image
VistaVision oblige, la définition et le grain font un peu oublier un master globalement terne, vieillissant et probablement recadré. Le confort de visionnage n’est pas remis en cause et le bluray proposé par Sidonis reste dans une bonne moyenne. Mais une restauration, même légère, eut été la bienvenue.
Son
La version originale est propre, claire et avec une dynamique respectable. La version française fait un peu moins bien avec des dialogues qui résonnent et une piste musicale qui sature un peu. Classique, sans éclat.
Interactivité
Un portrait relativement exhaustif mais plus tout jeune de Cary Grant fait office de remplissage au sein d’une poignée de bonus pas inintéressants. Patrick Brion parvient à résumer l’aventure du film en un gros quart d’heure très informatif même si le vénérable érudit est de plus en plus difficile à comprendre. Un court sujet d’époque sur le tournage du film propose quelques images du tournage en Espagne, le tout dans une bonne ambiance de façade. Ce qui, pour un film des années 50, ne se refuse évidemment pas.
Liste des bonus
Présentation de Patrick Brion, Portrait de Cary Grant, Reportage sur le tournage, Bande-annonce.