ORFEU NEGRO
France, Brésil, Italie – 1959
Support : Bluray
Genre : Comédie musicale, drame
Réalisateur : Marcel Camus
Acteurs : Marpessa Dawn, Breno Mello, Lourde de Oliveira, Léa Garcia…
Musique : Antönio Carlos Jobim, Luiz Bonfá
Durée : 108 minutes
Image : 1.37 16/9
Son : Portugais et français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Editeur : Potemkine Films
Date de sortie : 19 octobre 2021
LE PITCH
Pour échapper à un homme qui veut la tuer, une jeune fille de la campagne, Eurydice, se réfugie à Rio, la veille du carnaval. Elle y rencontre Orphée, conducteur de tramway adulé par le peuple pour ses talents de danseur et guitariste. Mais la nouvelle venue s’attire les foudres de Mira, la fiancée d’Orphée…
Carnaval tragique
Orfeu Negro est une véritable expérience visuelle et sonore durant laquelle on se surprend à taper du pied et à hocher de la tête sourire aux lèvres ! Palme d’or au Festival de Cannes et Oscar du meilleur film étranger, ce film de Marcel Camus qui révéla la musique brésilienne au monde entier est à redécouvrir absolument, dans une belle version 4K.
Au premier abord, adapter le Mythe d’Orphée dans le Brésil des années 1950, en plein carnaval, peut sembler un choix bien singulier. Mais à y regarder de plus près, Orphée, selon la légende, était un poète-musicien, volontiers séducteur, qui œuvrait lors de fêtes dionysiaques. C’est d’ailleurs un Brésilien, Vinicius de Moraes, qui eut l’idée de cette transposition une nuit de carnaval en 1942. Considéré comme un des fondateurs de la bossa-nova, il en tira une pièce de théâtre musicale qui fut jouée à Rio bien plus tard en 1956.
Également diplomate, le dramaturge rencontra le producteur Sacha Gordine à Paris, et le projet d’en faire un film se mit en place. Marcel Camus, qui venait de réaliser Mort en fraude, film se déroulant en Indochine et censuré pour son anticolonialisme, accepta volontiers. En effet, le mythe d’Orphée avait alors un certain retentissement en France suite aux films de Cocteau ou aux poèmes d’Apollinaire, et lui-même pratiquait l’orphisme, religion obscure s’il en est.
Véritable succès mondial, Orfeu Negro remporta les plus belles récompenses (Oscar, Palme d’or, Golden globe) de par sa qualité intrinsèque, mais également de par le contexte d’alors marqué par la lutte des Droits civiques aux USA, ou à la décolonisation et notamment la Guerre d’Algérie. Camus prit ainsi le parti de faire tourner principalement des acteurs noirs, la plupart amateurs, dans son film, ce qui donna un aspect politique certain à l’œuvre et contribua sans doute à son succès.
Samba !
L’une des raisons du triomphe cannois (le film gagna devant Les 400 coups de Truffaut ou Hiroshima, mon amour de Resnais) réside aussi dans la musicalité du film. D’ailleurs, le film fut diffusé sur la croisette en VO… sans sous-titres ! Il faut dire que Camus a ici le privilège d’être entouré de trois des pères fondateurs de la bossa nova : Vinicius de Moraes au scénario, ainsi qu’Antônio Carlos Jobim et Luiz Bonfá à la B.O.
Le spectateur se retrouve ainsi embarqué dans un film où la musique ne cessera pratiquement jamais. Tantôt discrète et mélancolique lors de balades à la guitare permettant de réveiller le soleil (!), tantôt fracassante et percussive lors de la déambulation du carnaval. La macumba, genre hérité des esclaves africains, s’invite aussi à la danse lors d’une scène de transe aussi surprenant que véridique, cette pratique ayant encore lieu de nos jours, dans le but de rentrer en contact avec les esprits des personnes disparues… Il est intéressant de constater que le genre bossa, qu’on ne nommait pas encore ainsi à l’époque, était justement en pleine construction et que le film lui fit une publicité providentielle. D’ailleurs, les chansons du film devinrent des standards de la bossa, mais également du jazz et de la chanson populaire. En atteste par exemple une version française de La chanson d’Orphée, dès 1959, d’une certaine Dalida !
En somme, à l’image du magnifique couple formé par Breno Mello, alors footballeur au Fluminense, et Marpessa Dawn, actrice américaine ayant vécu en France, cet Orfeu Negro est un film à part, mystique, beau et tragique, solaire et sombre.
Image
On en prend plein les yeux ! La source 4K affiche une clarté impeccable, une belle définition et laisse la part belle aux couleurs. Le décor naturel, la baie de Rio, est magnifié par la photo de Jean Bourgoin, qui travailla notamment avec Renoir ou Becker. Les images d’archive du film, présentes dans les bonus, permettent de comparer et de constater sur la nouvelle version l’absence du grain d’époque et des tons plus contrastés.
Son
Pour un film si musical, une version stéréo aurait été parfaite. Mais ne boudons pas notre plaisir, tant le Master Mono retranscrit parfaitement l’ambiance et les chansons. Les dialogues sont parfaitement clairs sur les deux versions. Inutile de préciser que c’est la VOST qui nous semble la plus appropriée, la douceur et la mélodie de la langue portugaise allant à merveille au film.
Interactivité
Ce joli combo Blu-Ray-Dvd est assorti de bonus intéressants qui éclairent le film, à l’image de l’intervention de Anaïs Fléchet. Celle-ci replace Orfeu Negro dans son contexte musical (début de la reconnaissance internationale de la samba avec notamment la présence de Cartola, ami de Camus, un des fondateurs des écoles de samba) et politique. Le film ne plut pas en effet à tout le monde au Brésil, « on ne comprenait pas pourquoi les étrangers venaient filmer les favelas, les noirs, la pauvreté alors que le Brésil se modernisait. »
Estelle-Sarah Bulle, auteure d’un livre « imaginaire du film », rappelle l’optimisme dans lequel régnait le Brésil à l’époque avec l’élection du président Kubitschek, grand réformateur, la victoire du Brésil à la coupe du monde 1958… Les Brésiliens étaient donc enthousiastes de l’arrivée de ce film français. On apprend aussi que Lourdes de Oliveira (Mira dans le film) deviendra la femme de Marcel Camus et que Lisa Garcia (Seraphine) deviendra une habituée des « telenovelas » !
Enfin, clou du programme, le superbe documentaire présenté ici est l’occasion de revenir sur le film, ses décors et scènes tout en auscultant le Rio de 2005. On y voit des images d’époque, Breno Mello retourner sur les lieux du « réveil du soleil » ou chanter en compagnie de Marcos Sacramento. D’ailleurs les musiciens sont nombreux : Gilberto Gil qui souligne que le film de Camus « rappelle ce que la culture noire a apporté à la société et à la culture brésilienne », Roberto Menescal reprenant le thème Frevo, Seu Jorge (surnommé l’Orphée moderne) qui évoque le « problème social » que sont les favelas… Un hymne au Brésil, à sa musique et ses acteurs, un indispensable pour les amoureux de ce pays !
Liste des bonus
« A la recherche d’Orfeu Negro », documentaire sur la genèse du film, écrit et réalisé par René Letzgus et Bernard Tournois (2005, 86’, VOST), Entretien avec Estelle-Sarah Bulle, auteure du livre « Les étoiles les plus filantes » (16’), Entretien avec Anaïs Fléchet, maître de conférences en Histoire contemporaine, spécialiste des relations culturelles entre la France et le Brésil (33’).