ONIBABA & KURONEKO
鬼婆, 薮の中の黒猫 – Japon – 1964, 1968
Support : Bluray
Genre : Drame, Fantastique
Réalisateur : Kaneto Shindo
Acteurs : Kei Satô, Nobuko Otowa, Jitsuko Yoshimura, Kichiemon Rokkô Toura, Kiwako Taichi…
Musique : Hikaru Hayashi
Image : 2.39 16/9
Son : Japonais DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 103 et 99 minutes
Editeur : Potemkine Films
Date de sortie : 05 mars 2024
LE PITCH
Onibaba : Au XIVe siècle, la guerre entre les samouraïs ruine le pays. Une femme et sa belle-fille subsistent difficilement en vendant les armes des soldats qu’elles ont tués. Apprenant un jour que sa bru a une liaison avec une déserteur, la belle-mère se déguise en démon pour la terrifier.
Kuroneko : Gintoki, un samouraï engagé dans l’armée, découvre les corps de sa mère et de son épouse violées et assassinées. Il rencontre deux femmes qui leur ressemblent étrangement. Il s’avère bientôt que ces deux créatures sont les fantômes des défuntes qui cherchent à se venger…
Les diaboliques
Après une ressortie en salle il y a quelques mois, Potemkine propose désormais deux des plus importants films du cinéaste Kaneto Shindo (L’ile nue) dans un même écrin. Onibaba et Kuroneko, deux contes cruels et plus ou moins fantastiques, où la bestialité féminine est autant une malédiction qu’une superbe arme de vengeance.
Scénariste incroyablement productif et reconnu qui traversa les époques, entre le grand cinéma classique de Naruse ou Mizoguchi et la libéralisation de la nouvelle vague (Kawashima, Masumura…), Kaneto Shindo aura aussi été un réalisateur qui œuvra pendant pas moins de six décennies. Pourtant en France, seul L’ile nue semble avoir réellement marqué les esprits, ou en tout cas été reconnu, avec son approche dépouillée du quotidien d’une famille de paysan. Un milieu plus que modeste, voir misérable qu’il aborde avec plus de crudité encore dans le fascinant Onibaba, où là cependant le réalisme se laisse envahir par une atmosphère beaucoup plus opaque et sulfureuse, faisant doucement glisser le film vers le fantastique voire l’horreur. Le décor y est réduit à un seul espace, champs de roseaux aux frontières floues où viennent parfois se battre ou se perdre quelques samuraïs perdus dans une guerre sans nom. Une femme et sa bru y ont d’ailleurs trouvé comme seul moyen de survie d’assassiner ces soldats perdus afin de revendre leur bien contre un peu de nourriture. L’arrivée d’un homme, amis du fils mort au combat, va forcément faire exploser ce fragile équilibre et surtout libérer des désirs et pulsions dévorantes refoulées jusque-là. Le sexe comme acte libérateur, comme réappropriation du corps et de l’âme, et la frustration comme objet de destruction qui finira même par pousser la mère par se faire passer pour un démon terrifiant par pur jalousie et peur de la solitude. Le vent qui agite sensuellement les pousses de bambou, les courses effrénées de la jeune femme pour rejoindre son amant, leurs étreintes passionnées, la chair exposée dans un noir et blanc suave et ces noirs lourds et pénétrants, tour à tour protecteurs ou envahissants, offrent à Onibaba une charge érotique impressionnante et destructrice. Une œuvre puissante, hypnotique où se joue déjà le destin du féminin, oublié à la marge dans un monde conçu et dirigé par les hommes, emprunts de désirs guerriers et de conquête.
Les félines
Dans Kuroneko (connu un temps par chez nous sous le titre générique Les Vampires) tourné quatre ans plus tard, il est encore question d’une mère (toujours jouée par la formidable Nobuko Otawa) et sa bru, attendant le retour d’un jeune enrôlé de force pour la guerre. Attaquée par une horde de soldats en haillons, elles seront violées, assassinées et leurs demeures incendiée. Mais en accord avec certaines croyances japonaises, dans une séquence qui sera reprise presque tel quel dans le Batman Return de Tim Burton bien des années plus tard, des chats vont les ramener à la vie, en faisant des esprits vengeurs, des femmes-chats égorgeant leurs bourreaux après les avoirs attirés aux cœurs de la forêt de bambou. Beaucoup plus ouvertement fantastique, annonçant par ses envolées fantomatiques et des combats aériens stylisés les futurs Histoires de fantômes chinois, Kuroneko travaille une photographie tout aussi minutieuse, mais volontairement plus classique, plus ancrée dans le genre « yokai », jamais très loin du maitre Mizoguchi. Cependant, cette élégance, régulièrement brisée par les attaques sauvages brutales, voir sanglante, n’ira jamais jusqu’au gothique, préférant dévier vers un récit plus tragique, lors des retrouvailles avec le fils et époux de retour du champ de bataille, commandité pour éliminer celles qui assassinent les guerriers du royaume. La passion est toujours là, plus sage à l’écran, certainement plus romantique, mais toujours gâchée par la réalité cruelle, ici encore celle d’un monde en guerre, régi par et pour les hommes et ou la condition féminine n’a pas loisir de s’exprimer.
Deux œuvres admirables et fortes, portraits éclatants de femmes bafouées et bataillant pour se réaffirmer dans leur entièreté dont les thèmes et leurs illustrations sont d’une admirable modernité, et dont la mise en image, charnelle et baroque pour l’une, gracieuse et mélancolique pour l’autre, affirment bien la vitalité du cinéma de Kaneto Shindo.
Image
Voici deux très belles copies restaurées déjà croisées chez Eureka en Angleterre ou Criterion au USA, et qui rendent pleinement hommage à la minutie considérable de la photographie des deux films. Kuroneko est celui qui s’installe le plus fermement avec des contrastes délicats, un grain harmonieux et une profondeur ciselée. Plus emporté par les noirs, très sombres, et les ruptures, Onibaba reste d’excellente qualité mais avec tout de même un piqué moins creusé et quelques zones opaques plus difficiles. Dans les deux cas cependant les cadres sont tout à fait propres, assurant un grain d’origine délicat, mais effectivement parfois marqué par quelques rares variations de densités.
Son
Les pistes japonaises mono d’origine sont plus que convaincantes avec une restitution stabilisée et équilibrée. Là encore de légers sifflements sur certains dialogues peuvent apparaitre discrètement mais rien de vraiment gênant. Voix, musique et atmosphères naturaliste se marient avec beaucoup de finesse et de justesse.
Interactivité
Édition double donc pour Onibaba et Kuroneko proposés dans le même digipack cartonné au design des plus épurés. Sur les deux disques on retrouve une petite analyse du film, ou plutôt d’une séquence représentative, signée par Stéphane du Mesnildot, qui souligne les mythes fantastiques qui les habitent et leurs incarnations à l’image.
Onibaba est de plus complété par un long portrait, extrêmement riche, du réalisateur par Clément Rauger (Les Cahiers du cinéma) qui retrace quasiment toute sa carrière, de ses débuts comme petit technicien à assistant de Mizoguchi ou scénariste star en passant bien entendu par ses thèmes de prédilections et ses plus belles réussites.
Disposé sur le disque de Kuroneko, le portrait réservé pour le coup à sa dernière épouse, la grande actrice Nobuko Otawa, là par Pascal-Alex Vincent (réalisateur de Satoshi Kon L’illusionniste) est tout aussi riche en détails et informations.
Liste des bonus
Onibaba : « Le Masque de la démone », une analyse de Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma japonais (6’), Portrait de Kaneto Shindo par Clément Rauger, critique et programmateur (36’), Bande-annonce.
Kuroneko : « La Malédiction des femmes-chat », une analyse de Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma japonais (7’), Portrait de Nobuko Otawa par Pascal-Alex Vincent, cinéaste et spécialiste du cinéma japonais (18’), Bande-annonce.