NOUS SOMMES TOUS DES VOLEURS
Thieves Like Us – États-Unis – 1974
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Robert Altman
Acteurs : Keith Carradine, Shelley Duvall, John Shuck, Bert Remsen, Louise Fletcher, Ann Latham, …
Musique : Divers
Durée : 123 minutes
Image : 1.85 16/9ème
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Éditeur : L’Atelier d’images
Date de sortie : 8 novembre 2022
LE PITCH
Dans le Mississippi des années 1930, T-Dub, Chicamaw et le jeune Bowie Bowers s’échappent de prison et reprennent leurs activités de braqueurs de banques. En tentant d’échapper aux forces de l’ordre après un accident de la route, Bowie se réfugie chez un garagiste et ancien complice du gang. Là, il va tomber amoureux de Keechie, jeune femme discrète et solitaire, …
à contre courant
Quand Robert Altman, le réalisateur anticonformiste de M*A*S*H* et du Privé, s’attaque à la Grande Dépression, au sud profond et aux braqueurs de banques, il ne faut pas s’attendre à un passage en revue des clichés du genre. Chronique sociale d’une authenticité pas loin d’être vertigineuse mais aussi romance tragique et douloureuse, Nous sommes tous des voleurs laisse sa caméra vagabonder sur les routes du Mississippi des tristes années 30 avant de resserrer son étau autour du joli couple formé par Keith Carradine et Shelley Duvall.
S’il est loin de rendre son auteur, Edward Anderson, riche et célèbre, le roman noir « Thieves Like Us » intéresse pourtant très vite Hollywood, dès sa publication en 1937. Nicholas Ray est le premier à en livrer une adaptation – on ne peut plus libre – avec Les amants de la nuit (They Live By Night, en VO), son premier film tourné en 1947 et sorti sur les écrans seulement deux ans plus tard du fait du rachat de la RKO par le millionnaire Howard Hughes. Un grand film mais aussi un échec retentissant. Son romantisme, porté par le couple glamour Farley Granger / Cathy O’ Donnell, reste cependant aux antipodes de l’histoire imaginé par Anderson, portrait lucide et réaliste d’une Amérique au fond du gouffre. En clair, « Thieves Like Us », ressemble davantage aux « Raisins de la colère » de John Steinbeck, où la révolte et la misère se mêlent à une certaine forme de poésie rurale et naturaliste qu’à l’odyssée sanglante et quasi-mythologique de Bonnie & Clyde. Fidèle aux intentions d’Anderson, Robert Altman prend donc logiquement ses distances avec la violence et le nihilisme du film d’Arthur Penn. Ainsi l’évasion qui est supposée ouvrir son film est escamotée par une ellipse et le premier braquage se déroule entièrement hors-champ, Altman préférant s’attarder sur le personnage de Bowie, désigné pour conduire. La monotonie, le banal, les discussions sans autre but que de tuer le temps sont ici au centre de toutes les attentions et la mise en scène n’en est que plus immersive. Le soin apporté aux détails, à la construction d’une bande-son exclusivement intra-diégétique et rythmée par les émissions de radio de l’époque et à un casting poussé à l’improvisation pour plus de spontanéité nous plongent dans un tableau hyper-réaliste d’une époque où la pauvreté conduisait inéluctablement au crime.
True romance
Pour une bonne moitié, Nous sommes tous des voleurs suit le quotidien de trois pieds nickelés, braqueurs de banques plus ou moins endurcis mais aux profils très différents. T-Dub (Bert Remsen, un habitué de la « troupe » à Robert Altman, vu dans John McCabe et Brewster McCloud) est l’aîné de la bande, une grande gueule attirée par les jeunes filles en général et la fille de sa belle-sœur en particulier. Chicamaw (John Schuck, un autre fidèle du cinéaste depuis M*A*S*H*) est un sociopathe, un tueur et un alcoolique, de la mauvaise graine dont le regard semble se perdre dans la tristesse, la méfiance et la rancœur. Enfin, Bowie (Keith Carradine, dans son premier grand rôle) incarne une jeunesse malchanceuse, jeté bien trop tôt dans l’enfer carcéral. Le trio braque des banques, rêve d’un avenir meilleur sans être dupe pour autant et rase les murs pour échapper à la police. Le film semble se laisser porter, sans intrigue à proprement parler, jusqu’à ce qu’un accident de voiture en pleine nuit et une fusillade aussi brève que dévastatrice ne jette un Bowie bien mal en point dans les bras de Keechie Mobley, incarné par une Shelley Duvall profondément touchante et à mille lieux de la Wendy Torrance en hyperventilation constante que lui fera jouer un Stanley Kubrick un brin sadique dans Shining. Ces deux-là avaient déjà échangé quelques mots dans une poignée de scènes mais leur idylle naissante donne au film son centre de gravité et une nouvelle trajectoire, forcément tragique. Enceinte de Bowie, Keechie assiste à sa mort dans un ralenti cauchemardesque : le jeune homme est abattu (hors-champ, il fallait s’y attendre) par une armée de policiers et son corps sans vie et ensanglanté, enroulé dans la couverture dans laquelle les deux amants avaient connu leur première nuit d’amour, est déposé dans la boue. Condamnée à survivre, l’inconsolable Keechie s’évanouit dans la foule d’une gare. Le roman d’Edward Anderson narrait sa mort aux côtés de Bowie et sous une pluie de balles, Robert Altman la laisse vivre mais ne lui réserve pas forcément un sort plus enviable.
Image
Une copie à première vue très perfectible, « dans son jus » pourrait-on dire, avec un grain très accentué, des points blancs et de discrets accidents de pellicule. Mais la définition, la profondeur de champ, la compression et les couleurs s’imposent dans la durée avec un velouté très agréable.
Son
Oubliez la version française, bien doublée mais sans relief, et savourez une stéréo sans chichis où les dialogues se mélangent à des atmosphères champêtres et à un fond sonore fait d’émissions de radio, le tout découpé avec clarté et propreté. On frise néanmoins la saturation lors du climax avec des coups de feu et des cris mixés un poil trop haut.
Interactivité
Fin connaisseur de la période faste du cinéma de Robert Altman, soit une dizaine d’années allant de M*A*S*H* à l’échec douloureux de son adaptation déconcertante de Popeye, Olivier Père dissèque le style, les intentions et la carrière du cinéaste pour y inclure Nous sommes tous des voleurs, un film ambitieux, fidèle à ses sources littéraires mais pas forcément taillé pour devenir un succès populaire. L’exposé est érudit et exhaustif même si par moments bien trop scolaire.
Liste des bonus
« Robert Altman ou l’art de la déconstruction » : entretien avec Olivier Père (45 minutes) / Bandes-annonces.