MORTELLE RANDONNÉE
1983 – France
Support : Bluray
Genre : Thriller, Drame
Réalisateur : Claude Miller
Acteurs : Michel Serrault, Isabelle Adjani, Guy Marchand, Stéphane Audran, Samy Frey, Geneviève Page, Macha Méril…
Musique : Carla Bley
Durée : 121 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Aucun
Editeur : Rimini Editions
Date de sortie : 3 décembre 2024
LE PITCH
Un détective privé surnommé L’Œil, célèbre pour ses talents de limier, est engagé pour traquer une femme fatale qui séduit et élimine des hommes riches à travers l’Europe occidentale. Derrière cette mission se cache une obsession plus intime : hanté par le souvenir de sa fille Marie, disparue de sa vie depuis son enfance, il cherche désespérément à recoller les morceaux de son passé, avec pour seul indice une vieille photo de classe.
Masques et miroirs
Adulé par les uns, encore parfois boudé par d’autres qui lui reprochent de ne pas être un second Garde à vue, Mortelle Randonnée reste pourtant une œuvre majeure de la filmographie de Claude Miller. Loin de se reposer sur les ressorts classiques du polar, le film captive par sa plongée vertigineuse dans la psyché de ses protagonistes.
Le récit gravite autour de deux âmes en perdition : d’un côté, une jeune femme à l’allure délicate, mais dont le cœur dissimule une obscurité glaçante. De l’autre, un détective privé désabusé, marqué par le poids d’une vie enchaînée aux échecs. Tout semble les opposer, et pourtant, ces deux solitudes deviennent les pivots d’une étrange odyssée, où les trajectoires fracturées se croisent, s’affrontent et se transforment. Très vite, leur relation dépasse les conventions d’une simple filature : pour lui, elle évoque l’ombre de la fille perdue dans un divorce amer ; pour elle, il incarne, peut-être inconsciemment, une figure paternelle. Ce lien trouble, fait de fascination, de méfiance et d’une étrange connivence presque télépathique, insuffle au récit une charge émotionnelle à la fois magnétique et perturbante.
Michel Serrault, s’aventurant loin de son registre de prédilection – il sortait alors de l’exubérant Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ de Jean Yanne – offre une interprétation d’une profondeur saisissante. Son détective, désenchanté mais encore capable d’élans d’humanité, incarne une figure tragique d’une rare intensité. La douleur du personnage semble d’ailleurs résonner avec un drame personnel de l’acteur, conférant à son jeu une authenticité bouleversante. Face à lui, Isabelle Adjani étonne par ses métamorphoses. Loin de l’image d’ingénue qui marquait ses débuts, elle incarne ici un personnage complexe, entre veuve noire et caméléon insaisissable, chaque identité qu’elle endosse venant enrichir son interprétation. À eux deux, ils construisent une dynamique fascinante faite de tensions, d’échos et de silences lourds de sens.
La poésie de l’ombre
Claude Miller signe une mise en scène qui s’affranchit du naturalisme pour embrasser un maniérisme proche du film noir, où chaque détail semble soigneusement sculpté. Les ambiances oppressantes, les cadrages subtils et les éclairages tranchés traduisent un univers où le réalisme s’efface au profit d’une stylisation audacieuse. Ce n’est pas un monde ordinaire que Miller met en scène, mais une réalité parallèle régie par ses propres règles, où les téléviseurs diffusent en boucle des documentaires animaliers, et les filatures se font à une proximité presque absurde. Pourtant, ce choix délibérément décalé n’a rien de gratuit. Loin de chercher la vraisemblance, Miller exploite ces codes pour leur puissance expressionniste, chaque décor et chaque atmosphère reflétant l’état d’esprit de ses protagonistes, leurs obsessions, leurs blessures, leurs ambiguïtés.
Là où le film renonce à tout artifice, c’est dans l’émotion brute qu’il parvient à extraire de ses personnages. On ressent avec une intensité viscérale leurs tourments, leurs solitudes, et la complexité de cette relation paradoxale, à la fois infiniment intime et irrémédiablement distante. Miller capte cette tension avec une acuité troublante, transformant chaque regard échangé et chaque silence partagé en autant de révélations sur leur humanité. Mais la poésie qui traverse Mortelle Randonnée doit autant à la mise en scène qu’au scénario ciselé signé par Michel et Jacques Audiard. Fidèle à sa réputation de dialoguiste virtuose, Michel Audiard pare chaque réplique d’une intensité presque palpable, où quelques pointes d’un humour mordant côtoient des fulgurances profondément tragiques. Ce n’est pas un simple exercice de style, mais une véritable catharsis pour Audiard père, qui semble avoir trouvé, dans l’adaptation du roman de Marc Behm, l’opportunité d’exorciser ses propres fantômes, à l’instar de Serrault. Ainsi, il réussit le tour de force de conjuguer polar et drame intime, plongeant le spectateur dans une intrigue fluide mais d’une densité remarquable, où chaque ligne de dialogue semble pesée au milligramme.
Après plus de 40 ans de réévaluations à travers de multiples ressorties vidéo et rétrospectives, le verdict est sans appel : avec Mortelle Randonnée, Claude Miller signe une œuvre incontournable, à la croisée des genres. Sublimé par une photographie où chaque plan semble sculpté comme une œuvre d’art, le film s’impose comme une exploration poignante des abysses de l’âme humaine, une promenade cinématographique d’une profondeur inépuisable. Chef-d’œuvre intemporel, Mortelle Randonnée demeure un sommet de maîtrise artistique et d’ambition narrative.
Image
Mortelle Randonnée est le seul film de la collection Claude Miller éditée par Rimini à ne pas profiter d’un disque UHD. La raison ? Le master utilisé repose sur une solide restauration 2K, déjà exploitée par TF1 Vidéo en 2016, et non sur un scan 4K. Dans un souci de cohérence, le choix d’un simple Blu-ray s’imposait donc naturellement. Le master utilisé pour cette édition Rimini est, sur bien des aspects, une véritable réussite. L’image affiche une belle précision, respectant l’éclairage et les nuances de la photographie de Pierre Lhomme, et l’étalonnage conserve la richesse des teintes d’origine. Les contrastes, notamment, sont particulièrement bien gérés, offrant une profondeur saisissante dans les scènes sombres comme dans les extérieurs plus lumineux. La restauration met en avant des détails qui soulignent l’élégance visuelle du film. Un soulagement pour un film qui joue indéniablement avec des ambiances très marquées. On remarquera que là où l’édition TF1 Vidéo, sortie il y a huit ans, proposait une texture granuleuse prononcée, l’édition Rimini propose un grain atténué, sans que la définition n’en pâtisse pour autant.
Pour ce qui est de la version courte, elle est présentée pour la première fois en haute définition, ce qui représente une véritable plus-value par rapport à l’édition de 2016 où il fallait se contenter d’une version SD. Le grain d’origine est bien présent, mais les contrastes, un peu trop appuyés, peuvent parfois nuire à la lisibilité des arrière-plans, notamment dans les scènes nocturnes. Est-ce un choix artistique délibéré pour offrir une identité propre à cette version ? Le doute subsiste.
Son
Côté son, c’est un sans-faute. Le mixage DTS-HD Master Audio Mono restitue la musique de Carla Bley avec une force impressionnante, offrant un confort acoustique impeccable, sans aucun souffle. La composition, les effets et les voix se mélangent avec une fluidité exemplaire. Encodée en DTS-HD MA 2.0 mono, la dynamique reste tout aussi remarquable, mettant en valeur la bande-son tout en conservant un équilibre parfait entre dialogues et ambiances. Les sous-titres français pour sourds et malentendants, ainsi qu’une piste en audiodescription, sont également inclus.
Interactivité
Le premier bonus de choix, c’est la version courte du film (1h36), issue de la même restauration 2K, enfin disponible en haute définition. Ce remontage, demandé par Canal+ en 1989 pour sa première diffusion télévisée (oui, on a du mal à y croire aussi !), raccourcit le film de 21 minutes. Véritable curiosité, il illustre à quel point le montage peut transformer un film. Plus nerveux, axé sur les codes du polar, il sacrifie néanmoins une partie des ambiances étranges qui faisaient tout le charme de l’original. Certaines scènes marquantes passent à la trappe créant ainsi quelques incohérences. Même si notre cœur balance clairement du côté du montage cinéma, cette version reste une alternative intrigante, d’autant que Claude Miller lui-même n’a jamais tranché entre les deux montages.
Rimini ne s’arrête pas là et enrichit l’édition avec un documentaire captivant, Sacrée Randonnée : l’épopée d’un film culte. Jacques Audiard, Pierre Lhomme et d’autres proches de Claude Miller y reviennent sur les défis de production et les choix artistiques audacieux qui ont façonné le film. À cela s’ajoute Et il entra dans la photo…, une plongée fascinante dans les coulisses du tournage, teintée par les drames personnels ayant marqué le projet.
La musique, pilier de l’atmosphère du film, bénéficie d’un éclairage tout particulier. Deux segments s’y consacrent : une intervention de Claude Miller sur sa collaboration avec Carla Bley et un portrait passionnant de la compositrice signé Olivier Desbrosses, qui explore sa contribution unique à l’œuvre.
Enfin, Frédéric Mercier livre une analyse pointue et stimulante de l’œuvre de Marc Behm. Il met en lumière les passerelles entre l’univers littéraire de l’auteur et la vision cinématographique d’Audiard. Le tout se conclut par la bande-annonce d’époque, un clin d’œil nostalgique qui vient parfaitement boucler cette édition riche et soignée.
Liste des bonus
Le film version courte (100′), Marc Behm par Frédéric Mercier, critique cinéma à Positif, « La Musique de Carla Bley » par Olivier Desbrosses, journaliste à Total Trax, Interview de Claude Miller (Archive RTBF, 6’), « Sacrée randonnée : L’Épopée d’un film culte » (32’), « Mortelle randonnée, une fascination hypnotique » (6’), Bande-annonce, « Et il entra dans la photo… » (38’), « La Musique de Carla Bley » par Claude Miller (3’).