MORGIANA
Tchécoslovaquie – 1972
Support : Bluray & DVD
Genre : Fantastique
Réalisateur : Juraj Herz
Acteurs : Iva Janzurová, Josef Abrhám, Nina Divísková, Petr Cepek, Josef Somr, Jirí Kodet…
Musique : Lubos Fiser
Image : 1.37 16/9
Son : Tchèque LPCM 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 100 minutes
Éditeur : Artus Films
Date de sortie : 7 novembre 2023
LE PITCH
Se sentant défavorisée suite à l’héritage de leur père, Viktoria, tenancière d’une maison de débauche, décide d’empoisonner sa sœur, la belle et vertueuse Klara. Dans un jeu de miroirs hallucinatoires, Viktoria va se retrouver face à ses propres délires schizophréniques.
Deux soeurs
Curieux film gothique, limite psychédélique, parfois même devenu culte dans certains cercles de cinéphiles obscures, Morgania est une proposition esthétique souvent époustouflante, peinture excessive entre sorcellerie et folie de la jalousie.
Futur réalisateur des deux contes baroques tournés en simultanées que sont La Bête et la bête (dispo chez ESC) et Le Neuvième coeur (dispo chez Artus), Juraj Herz avait été internationalement remarqué pour son tétanisant L’incinérateur de cadavres, portrait d’un propriétaire d’un incinérateur s’engouffrant dans la folie nazie par pur appât du gain. L’apparition du mal et de la démence pour une notion de profit, de propriété, qui reste dans Morgiana le point de départ de cette bataille acharnée entre deux sœurs. Quelques parts un peu avant la Seconde Guerre Mondiale (sans que cela ne soit véritablement précisée), Viktoria jalouse de l’attention que portent les hommes à sa sœur et reste persuadée qu’elle a sans doute touché un héritage plus avantageux, entreprend de s’en débarrasser. Quelques gouttes de poison glissées quotidiennement dans son verre, mais qui n’ont pas forcément l’efficacité attendue puisque Klara, se met surtout à souffrir d’une soif insatiable et de visions de plus en plus délirantes. L’une est renfermée, fardée, vêtue de noir jusqu’à la perruque. La seconde est rousse, joyeuse, ouverte et vêtue de blanc. Déjà Juraj Herz embarque son adaptation assez libre du roman de Juraj Herz, vers le conte symbolique, approchant un monde relativement contemporain avec le filtre visuel et thématique des frères Grimm. La photographie de Jaroslav Kucera (Adèle n’a pas encore diné, Les Petites marguerites) est absolument splendide avec ses noirs sculptant et ses explosions de couleurs, violet et mauve surtout, faisant glisser les plans vers la peinture baroque.
Le chat noir aux yeux bleu
Le cinéaste affirme d’ailleurs constamment sa volonté de reproduire autant par les contrastes de l’image que par ses compositions extrêmement travaillées et stylisées, les souvenirs de toiles de Gustav Klimt ou l’Art nouveau de Mucha. On note aussi une utilisation excessive et outrée du zoom, de multiplications d’effets miroirs, d’angles improbables et surtout une prédominance de l’objectif fisheye. Pour signifier une vision subjective amenée par les déambulations de ce chat mystérieux qui donne justement son nom au film, mais aussi pour accompagner l’effondrement de la raison des deux sœurs, l’une emportée par le poison l’autre par la convoitise et la frustration qui la rongent. Un combat presque psychédélique (accentué par l’entêtante bande originale) entre le bien et le mal, mais aussi entre deux faces d’une même pièce, deux versant d’une même femme… interprétée par la même Iva Janzurová (on notera la petite prouesse effectuée sans aucun trucage autres que la mise en scène et le montage). Le cinéaste voulait d’ailleurs pousser cette logique jusqu’au bout en révélant dans sa première mouture que les deux sœurs n’étant en effet en définitive qu’une seule et même personne atteinte de schizophrénie… Option rejetée par les autorités cinématographique tchèque qui la jugère trop bourgeoise (?!?).
Juraj Herz semble d’ailleurs avoir souvent affirmé que Morgiana n’était pour lui qu’un exercice de style après le beaucoup plus personnel Les Lampes à pétroles (drame sur la froideur du couple), une œuvre techniquement expérimentale. D’où certainement cet évident désintérêt pour un scénario pas toujours des plus passionnants, glissant quelques trames secondaires et vagues amourettes, sans grandes convictions, qui entament fortement un rythme parfois flottant et dispersé, pas toujours palpitant. Mais l’atmosphère délirante et la beauté plastique indéniable de l’objet méritent largement le détour.
Image
Artus propose ici la toute nouvelle copie HD apparue il y a seulement quelques mois (et dispo en Angleterre chez Second Run par exemple), effectuée à partir d’un nouveau transfert en République Tchèque sans malheureusement que plus d’informations ne soient données. Le résultat est cependant bien là. Même si on peut encore noter l’apparition de quelques défauts de pellicules (petites griffures, points blancs…), le rendu est vraiment très réussi avec une définition bien poussée (seules de rares scènes nocturnes baissent leur rendement), un piqué creusé et précis, des matières bien visibles et surtout des couleurs vives et intenses. De quoi révéler effectivement toutes les richesses de la photographie.
Son
Sur la piste sonore, uniquement vo donc, on entend là aussi quelques traces des années (légères saturations, petites perditions…) mais rien de vraiment gênant ou d’envahissant, le mono restant assez ferme et clair, avec une bonne balance du coté des musiques.
Interactivité
Encore un joli digipack avec fourreau cartonné. Le visuel choisi est vraiment superbe. A l’intérieur, on retrouve les traditionnels disques DVD et Bluray avec à bord une nouvelle présentation de Christian Lucas, spécialiste du cinéma de l’est. Une intervention très utile tant ce dernier reste encore très méconnu et peu distribué par chez nous. Retour sur la carrière de Juraj Herz (et la prononciation de son nom), la prestation d’Iva Janzurová, l’esthétique et l’atmosphère du film, mais aussi quelques informations sur les difficultés de tournage et le manque de liberté artistique du coté des pays communistes à cette époque.
En plus de l’habituel diaporama, l’éditeur propose aussi un court métrage en provenance de l’IUT de Béziers. Noapte donc, variation vampirique pleine de bonnes intentions et dotée de quelques scènes plutôt couillues.
Liste des bonus
« Le Chat aux yeux bleus » : présentation du film par Christian Lucas (2023, 24’46”), Diaporama d’affiches et de photos (1’12”), « Noapte » : court métrage de l’IUT de Béziers (29’24”).