MONDO MOVIES
Mondo Cane, Adieu Afrique (Africa Addio), La Cible dans l’œil (L’Occhio selvagggio), The Killing of America – Italie, Etats-Unis, Japon – 1962, 1966, 1967, 1981
Support : Bluray, Livre, Disque
Genre : Documentaire, Horreur, Drame
Réalisateurs : Paolo Cavara, Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi, Sheldon Renan
Acteurs : Stefano Sibaldi, Philippe Leroy, Delia Boccardo, Gabriele Tinti…
Musique : Nino Oliviero, Riz Ortolani, Gianni Marchetti, W. Michael Lewis, Mark Lindsay
Image : 1.37, 2.35 et 1.33 16/9
Son : DTS HD Master Audio 2.0 italien (Mondo Cane, Adieu Afrique, La Cible dans l’œil), Français (La Cible dans l’œil) et anglais (The Killing of America)
Sous-titres : Français
Durée : 108, 140, 98 et 90 minutes
Éditeur : Potemkine Films
Date de sortie : 3 décembre 2024
LE PITCH
Le genre Mondo a marqué les annales du cinéma des années 60 et 70. À mi-chemin entre documentaire et exploitation, on attribue son acte de naissance à la projection du film Mondo cane de Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi et Paolo Cavara au festival de Cannes en 1962, séance qui aurait causé la mort du peintre Yves Klein selon certains. Succès de scandale et succès planétaire, cet objet filmique nouveau va générer des centaines de copies dans les deux ou trois décennies à suivre, qu’elles viennent du Japon, de France, d’Allemagne ou d’Australie.
Un cinéma de bâtards
Sous-genre peu académique de la famille du documentaire, héritier des reportages sexy ritals et mélangeant allègrement réel, mise en scène, érotisme, voyeurisme et fascination morbide, le mondo n’a pas vraiment très bonne presse. Un cinéma souvent montré du doigt mais que Potemkine choisit ici non pas de célébrer mais de révéler et disséquer dans un coffret classieux réunissant quatre films symptomatiques, dont le fondateur Mondo Cane, un livre somme et quelques surprises.
Si effectivement l’industrie italienne a longtemps joué avec la moralité de ses joyeux reportages à travers le monde, illustrant les us et coutumes sexuels de ses voisins plus ou moins lointains, s’attardant consciencieusement sur une description détaillée des accouplements au sein des populations « sauvages » ou la prostitution plus moderne, avec Mondo Cane, le trio formé par Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi et Paolo Cavara a franchi un nouveau cap. En ce temps où les spectateurs ne voyaient encore le documentaire comme un genre assez policé, sage et purement informatif, ces documentaristes / aventuriers proposèrent une approche bien moins nette, n’hésitant pas à jouer la carte du spectaculaire, et du choquant en accumulant des images autant ironiques que proprement révoltantes. Annoncé par le titre prophétique « un monde de chien », le documentaire est donc le portrait sans fard et sans détour d’un monde chaotique, cruel où l’humain peine à se détacher de ses origines animales et se conforte dans la destruction du monde qui l’a vu naitre. Une lucidité étonnante et cruelle qui esquive en quelques plans la facilité du regard supérieur de l’occidental, en confrontant systématiquement ce que l’on juge encore parfois aujourd’hui comme de la sauvagerie avec quelques coutumes bien barbares tout près de chez nous (en l’occurrence quelques cultes catholiques italiens ou la faculté des touristes américains à détruire tout beauté de la culture tahitienne).
Désormais presque devenue coutumière, les quelques images de morts frontales (un taureau décapité, des cochons assommés à coup de masse, une tortue agonisante…) ne feront frémir que les plus sensibles, mais les images de cet atoll frappé par les essais atomiques où les oiseaux ne sont plus capables de se reproduire et vivent terrés sous le sol alors que les tortues meurent desséchées car ayant perdues leurs sens de l’orientation, font littéralement froid dans le dos. Sensationnaliste, profondément opportuniste, manipulateur (certaines séquences ont sans aucun doute été mis en scène et écrits), roublards, Mondo Cane reste aussi une vraie œuvre de cinéma assurant dans son mélange d’image et de commentaire acide, un authentique point de vue très solidement mis en scène, assuré par un montage rapide et pensé, ainsi qu’une photo très soignée.
Effet pitbull
Des qualités et un certain sens du spectacle populaire (pour ne pas dire populiste) qui par son succès retentissant va donner naissance à une suite directe, le très anecdotiques Mondo Cane 2, mais aussi à de nombreuses copies s’engouffrant de plus en plus dans un voyeurisme frontal, malsain et un discours idéologique douteux. A l’image d’ailleurs de Gualtiero Jacopettu et Franco Prosperi en personne qui quatre ans plus tard délivrent un Adieu Afrique certes beaucoup plus ambitieux et risqué par sa plongée totale dans un continent en plein tourments des lendemains de la décolonisation, mais aussi nettement plus embarrassant et scandaleux. Célébrant les bienfaits de la civilisation occidentale et l’ordre établi par la population blanche, tout en hésitant dans son dessin des autochtones entre imagerie « y a bon banania » et violence systémique d’un peuple retournant à la bestialité, Adieux Afrique est pétri d’une nostalgie évangéliste et d’un racisme d’un autre âge. Entre quelques scénettes dignes d’un Tintin au Congo, les scènes de guerres civiles, de massacres et de charniers s’amoncellent, moins pour analyser ou dénoncer les violences que pour les mettre en exergue avec une attraction morbide tout simplement détestable. La ligne rouge est d’ailleurs allègrement franchie lorsque suivant une troupe de mercenaires barbouzeurs (mélange d’anciens légionnaires, de repris de justice et sans doute d’un ou deux nazis qui passaient par là), les journalistes capturent frontalement l’exécution d’un rebelle Simba. Une image choquante et « gratuite » en l’état qui fera à raison la mauvaise réputation du film et sera souvent évoquée par la suite par d’autres cinéastes.
L’image comme une vengeance
C’est le cas ironiquement de Paolo Cavara, leur ancien collaborateur, qui après un moins connu I malamondo tourné à nouveau vers les pratiques sexuels les plus curieuses du monde, se lance dans la fiction avec La Cible dans l’œil. Le troisième film du coffret qui n’est certes pas un mondo à proprement parler mais qui fait le portrait acide d’un metteur en scène prêt à tout pour obtenir les images les plus frappantes possibles, les plus crues, les plus violentes et définitives, quitte à détourner la réalité, payer pour obtenir une scène de matraquages de toxicomanes, orchestrer le portrait minable d’un vieux maharadja tombé dans la plus grandes pauvreté ou faire tout son possible pour convaincre des bonzes de s’inhumer devant la caméra. Odieux, misogyne, opportuniste, brutal, le personnage est autant nourri par la misanthropie de Paolo Cavara (il porte le même prénom) que par ses souvenirs de tournages avec les anciens collaborateurs de Mondo Cane : Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi. Un drame psychologique en forme de dénonciation des dérives d’un genre, d’un métier, et de méthodes qui viennent directement évoquer des prises de vues effectuées par les deux autres, affirmant constamment la fausseté et l’immoralité du résultat obtenu, non pas motivé par une quête quelconque de vérité mais bien par l’appât du gain et une idéologie indéfendable. Même si le dispositif est ici beaucoup plus classique, on n’est jamais très loin dans le propos du fameux Cannibal Holocaust de Deodato, lui aussi poussant la logique du mondo jusqu’à sa forme terminale.
Exportation de l’image de mort
Rejeton plus tardif mais pas inintéressant, The Killing of America représente ici tout un versant du mondo qui dévia de plus en plus vers la simple accumulation d’images de mort. Une branche particulièrement lucrative aux USA, en particulier via les fameux Face à la mort, jouant malgré des trucages souvent assez visibles et quelques astuces de montage ou de cadrage, la carte du snuff movie. Imaginé par un certain Sheldon Renan (scénariste de Lambada Le film…. on ne se moque pas), mais aussi par Leonard Shrader, frère et collaborateur de Paul sur Yakuza ou Mishima, The Killing of America s’efforce de manier les attentes des habitués avec un discours plus engagé sur la montée de la violence en Amérique, les limites du système judiciaire et les dangers de la vente d’armes. Louable, mais en croisant tout cela avec des évocations historiques (du meurtre de Kennedy à celui de Lennon), des accumulations de faits divers contés avec une voix sentencieuse et des grands portraits de serial killer célèbres (Ed Kemper, Ted Bundy, Manson…), le film a vite tendance à tout mélanger et à tomber dans les clichés et les raccourcis sensationnalistes. Croisant images d’archives, scènes capturées par ou pour la télévision et extraits d’autres reportages, le documentaire ne ménage pas ses efforts pour délivrer régulièrement d’authentiques images de mise à mort en direct (criminels abattus par la police, gérant d’une échoppe victime d’un braqueur…) et les défilés de cadavres à la morgue. Ambiguë donc, douteux souvent, The Killing of America est peut-être surtout devenu célèbre pour avoir permis à beaucoup de découvrir pour la première fois l’intégralité du fameux film d’Abraham Zapruder capturant en 8mm l’attentat perpétré contre JFK. Une archive frontale mais toujours floue, mouvante, imprécise et bourrée d’incertitudes, dont l’horreur réelle sera toujours mille fois plus puissante que n’importe quel mondo.
Quatre films en marges, reflets variés d’un genre en mutations mais hésitant toujours entre les lisières du film à dossier ou de l’exploitation pure des pires pulsions de spectateurs, qui certes restent pour l’essentiel mal aimables et sujets à débats, mais qui n’en sont pas moins les témoins d’une branche lucrative et fructueuse d’un certains cinéma. Le coffret, son livre et ses suppléments sont aussi là pour perpétuer le débat.
Image
Les quatre long métrage, tous relativement rares, sont présentés à chaque fois dans leurs meilleures copies connues. Des restaurations qui peuvent s’avérer assez impressionnantes sur un film comme Mondo Cane, profitant d’un nettoyage éloquent des négatifs et d’un réétalonnage qui impose une colorimétrie chaude et éclatante, très Technicolor. Un peu plus brute mais tout aussi soigné, Adieu Afrique croise plus naturellement que jamais ses sources documentaires, délimitant une définition précise et solide. Restauration 2K pour La Cible dans l’œil aux contours plus classiquement cinématographiques. Il affiche encore quelques petites imperfections et un grain très présent mais assure un rendu plus qu’appréciable. Le cas plus difficile est The Killing of America composé uniquement de mélanges de documentaire inédit et de nombreuses images d’archives de sources diverses (du film de Zapruder aux premières vidéos de surveillance) disponibles dans des conditions très variées. Le travail effectué par Severin Films à partir d’un nouveau scan 2 K des négatifs fait de son mieux pour homogénéiser le tout et le délivrer dans les meilleures conditions possibles.
Son
DTS HD Master Audio 2.0 pour tout le monde avec forcément des stéréos qui tirent fortement vers le très sobre mono. Là aussi un effort conséquent a été fourni afin d’assurer un bon confort d’écoute et en particulier un riche rendu des musiques « exotiques » de Riz Ortolani sur Mondo Cane. Les autres se montrent eux aussi assez stables, clairs, même si forcément l’aspect pris sur le vif peu entrainer quelques variations de volume et de clarté. Seul La Cible dans l’œil propose une version française doublée, d’époque, pas désagréable de surcroit.
Interactivité
Une sortie évènement aussi luxueuse que sacrément surprenante pour un genre plus souvent décrié que loué. L’objet contient ni plus ni moins qu’une réédition corrigée et augmentée de l’ouvrage français référence « Mondo Movies, reflets dans un œil mort » signé Sébastien Gayraud et Maxime Lachaud. Une analyse historique, thématique, stylistique et proche de l’exhaustivité d’un genre souvent réduit à ses clichés. Un bel ouvrage richement illustré accompagné coté goodies par deux reproductions d’affiches et un disque 45tour reprenant les thèmes principaux de Mondo Cane.
De leurs côtés, les quatre films sont joliment rangés chacun dans leur digipack deux volets et sont tous accompagnés de présentations inédites enregistrées par Sébastien Gayraud. Celui-ci retrace les grandes lignes du genre, et éclaire le plus souvent chacun des quatre métrages en s’attardant sur une ou deux séquences symptomatiques.
Dans le lot se sont tout de même Mondo Cane et Adieu Afrique qui sont le mieux accompagnés avec la reprise pour chaque des excellents documentaires produits par Daniel Gouyette pour la sortir du coffret DVD Mondo Cane chez le regretté Neo Publishing : « Cette liberté de chien » et « Mal d’Afrique ». Des making of rétrospectifs assez complets, avec les témoignages de Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi qui reviennent sur la production et les tournages très particuliers de ces films (deux morts, un blessé grave… ça passe), s’étonnant des multiples polémiques qu’ils ont pu soulever, et aggravant parfois légèrement leur cas par leur vision idéalisée du « bon vieux temps ». Du côté des inédits, le disque de Mondo Cane invite aussi à découvrir une partie de la collection d’objets cinéphiles (affiches, LP, Videos…) détenue par un Maxime Lachaud toujours prompte à délivrer les petites anecdotes.
Pour Adieu Afrique il fallait forcément la présence d’un petit appareil revenant mettre en lumière le propos dérangeants et passéistes (pour le dire gentiment) de l’objet. C’est chose faite avec l’analyse du film enregistrée par Mathieu Kleyebe Abonnenc qui en souligne toute l’imagerie colonialiste. Il en est aussi finalement un peu question dans la rencontre d’archive avec les frères Castiglioni, réalisateurs des Mondo Africa Ama, Magia Nuda ou Addio ultimo uomo, certes très portés sur l’érotisme tribal et l’exotisme mystique, mais nettement plus bienveillants envers les vraies cultures africaines.
Liste des bonus
Un vinyle 45 tours, Le livre « Mondo Movies, reflets dans un œil mort » de Sébastien Gayraud et Maxime Lachaud (392 pages), 2 affiches 90 x 41,5 cm, Présentations et analyse de séquence par Sébastien Gayraud sur les 4 films (2024, 50’), « Le Salon des horreurs » : Visite guidée dans l’univers Mondo par Maxime Lachaud (2024, 20’), « Cette liberté de chien » : Documentaire de Daniel Gouyette (2007, 95’), « Le Cercle des assassins : la sombre histoire de la décolonisation et d’Adieu Afrique » par Mathieu Kleyebe Abonnenc (2023, 50’), « Mal d’Afrique » : documentaire de Daniel Gouyette (2007, 40’), « L’Afrique des rites » : Entretien avec les frères Castiglioni, réalisateurs Mondo (2009, 20’).