Même s’il a été le cœur de l’âge d’or d’Hollywood avec des œuvres comme New-York Miami ou Mr. Smith au Sénat, Capra a clairement perdu sa place confortable après l’échec commercial inexplicable de La Vie est belle. Obligé de se tourner vers des productions plus restreintes, bien moins libres, de plus en plus rares, il finit même par se plier aux contraintes du petit écrans avec une petite série de téléfilms animés et se livrer à des remakes de ses propres films. C’est le cas ici avec une relecture de la screwball comedy Lady for a Day où le metteur en scène doit accepter les désidératas de l’acteur Glenn Ford (qui impose entre autre sa conquête de l’époque la jolie Hope Lange) et crée des tensions constante avec l’immense Bette Davis, déjà peu facile à la base et alors elle aussi en perte de vitesse. Mais ce petites prises de bec ne sont jamais perceptibles à l’écran, là où par contre les trente ans d’écart avec le film original sautent aux yeux. Capra n’a certainement plus l’énergie ni la fermeté d’autrefois, et sa science pointue du rythme et de la comédie classique s’efface nettement vers une langueur nouvelle, amenant d’ailleurs cette nouvelle version à afficher une durée plus étendue d’une quarantaine de minutes.

La belle et les clochards

Cette énième relecture du conte de Cendrillon où un sympathique Gangster fait tout pour faire passer sa clocharde porte-bonheur pour une riche milliardaire, donne en effet plus d’importance au personnage d’Apple Annie, touchante acariâtre, et à un regard tendre et mélancolique sur le temps qui passe et qui abime. Comme souvent Bette Davis prend tout l’espace, personnalisation d’une vieillesse délaissée, preuve une nouvelle fois de l’amour du réalisateur pour les oubliés et les petites gens, et écho d’un auteur conscient d’être au déclin. Dès lors même les notes les plus enchantées, le happy-end improbables où même les véritables notables de la ville finissent par se prêter au jeu, reste constamment marqué par accent amer, désabusée, loin des lumières pleines d’espoir d’autrefois. De là à dire que Milliardaire pour un jour en deviendrait alors presque supérieur au plus classique Grande Dame d’un jour, il n’y a qu’un pas que l’on franchit aisément, définitivement conquis par une troupe de seconds rôles, apportant le plus souvent tout l’humour décalé du film, simplement irrésistibles et merveilleux de bout en bout. Petites crapules, vieux gangsters, sans-abris hauts en couleurs, arnaqueurs professionnels, représentant gentiment stéréotypés de la noblesse européenne, jolie fiancée tout en candeur… Capra est loin d’avoir totalement perdu la main, et permet en outre ici aux débutants Ann-Magret et Peter Falk de s’offrir un remarquable premier tout de piste.