MIKE DE LEON EN 8 FILMS
Itim Les Rites de mai, C’était un rêve, Frisson ?, Kisapmata, Batch’81, Le Paradis ne se partage pas, Héros du Tiers-Monde, Citizen Jake – Philippines – 1977 / 2018
Support : Bluray
Genre : Drame, Fantastique, Thriller, Policier, Documentaire
Réalisateur : Mike de Leon
Acteurs : Tommy Abuel, Charo Santos, Mario Montenegro, Mona Lisa, Hilda Koronel, Christopher de Leon, Laurice Guillen, Moody Diaz
Musique : Max Jocson, Jun Latonio, Lorrie Ilustre, Willy Cruz, Nonong Buencamino
Image : 1.66 et 1.85
Son : Tagalog et anglais DTS HD Master Audio 1.0, 2.0 ou 5.1
Sous-titres : Français
Durée : 889 minutes
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 21 mars 2023
LE PITCH
Mike De Leon est un enfant de la balle : son père est le producteur Manuel De Leon et sa grand-mère, Narcisa De Leon, la fondatrice de LVN Pictures, mythique studio philippin. Dès son premier long-métrage réalisé en 1976, Mike De Leon aborde des questions sociales et politiques à travers des images puissantes et parfois dérangeantes.
Portrait du cinéaste en philippin
Après les superbes coffrets dédiés à Satyajit Ray, Kinuyo Tanaka, Truffaut, Pasolini et Chabrol, Carlotta continue son exploration du patrimoine cinématographique mondiale jusqu’au Philippine… A la rencontre de Mike de Leon, fer de lance d’un cinéma local de la renaissance, entre modernité, explorations des genres et charges politiques inévitables dans une nation abimée par la dictature des Marcos.
Enfant de la balle, petit fils de Marcisa de Leon, célèbre fondatrice de la maison de production LVN, et fils du producteur phare Manuel de Leon, Mike de Leon a forcément toujours baigné dans le cinéma, ses coulisses, ses artisans, ses aspirations. Tant et si bien qu’après quelques courts métrages et la prise en main de la photographie du Manille de Lino Broka, il finira assez naturellement par passer lui-même à la réalisation de longs-métrages, s’inscrivant comme l’un des moteurs et des principaux acteurs d’une « nouvelle vague » philippine faisant renaitre un cinéma local, populaire, sur les ancêtres d’un âge d’or des studios alors totalement révolu. Populaire oui assurément car Mike de Leon ne se détourne jamais des genres à la mode et en particulier du grand mélodrame romantique si demandé par les foules à l’orée des années 80. C’était un rêve (1977) avec son casting de jeunes stars montantes locales, est donc bel et bien le récit d’une histoire d’amour entre un jeune homme encore un peu bohème et une femme mariée en quête de liberté. Sur fond de musique pop, de bons sentiments et de photographie colorée, le film s’efforce tout de même d’éviter le placide happy-end, confrontant le couple à la simple réalité économique et sociétale, mais aussi en installant un regard plutôt acéré sur la figure d’un époux de son temps : machiste et paternaliste. Autre grand succès de Mike de Leon, Le Paradis ne se partage pas s’engouffre encore plus volontier dans les codes du mélodrame, ici familial, quitte en effet à se perdre parfois dans une sur-dramatisation et une direction d’acteurs assez excessive. Sans doute l’opus le plus faible de sa carrière, aux airs de commandes.
Amour et humour
On pourrait croire que c’est aussi un peu le cas sur le curieux Kakabakaba Ba ?, démarrant comme une grosse comédie jeuniste et insouciante, quelque part entre Max Pecas et les gaudrioles chinoises de l’époque (mais sans le kung-fu), si peu à peu le cinéaste ne dépeignait dans cette course-poursuite improbable à la cassette audio d’agents secrets, un pays écrasé entre les pressions économiques du Japon et de la Chine et l’instrumentalisation du peuple par l’église catholique. La dernière demi-heure sauve allégrement toute l’entreprise en embarquant tous les personnages dans les salles secrètes d’un couvent pour un grand morceau de comédie musicale foutraque digne du Rocky Horror Picture Show. Car si Mike de Leon semble souvent varier les genres, il ne se départie jamais de sa volonté de photographier et questionner l’état de son pays et ses, nombreuses dérives.
C’était déjà le cas dès son premier film, le très réussi Itim, film d’épouvante où la possession et les apparitions d’une femme disparue sont toujours moins angoissantes que les inserts quasiment documentaires sur les rites religieux entourant la semaine sainte et les secrets d’une figure paternelle manipulatrice et lâche. La demeure familiale, subtilement éclairée, n’est comme souvent chez le réalisateur pas franchement rassurante. Entre Blow Up et Ne Vous retournez pas, Itim ne manque pas d’ambition et annonce clairement pas un sentiment d’oppression constant la tension implacable qui va s’abattre sur Kisapmata et Batch’81, les deux incontournables de sa filmographie.
Monstres à domicile
Tournés dos à dos, sortis dans le désordre et présentés conjointement à Cannes en 1982, les deux films sont clairement les réponses de Mike de Leon au pouvoir dictatorial de Ferdinand Marcos. Le premier, s’inspirant d’un authentique fait divers, transpose le régime répressif au sein d’une famille où le père, ancien policier, voit d’un très mauvais œil le mariage de sa fille et son départ de la maison. Entre chantage affectifs, manipulations, violences psychologiques et assise totale sur la volonté de ceux qui les entoures, le père tyrannique (impressionnant Vic Silayan) impose sa loi et ses perversités à tous dans une atmosphère éprouvante, souvent sordide, et mortifère. Une radiographie avec loupe grossissante auquel répond directement Batch ’81 qui se tourne plutôt vers les mécaniques d’endoctrinement du fascisme. Ici en l’occurrence au sein d’une fraternité d’étudiants dont les rites de bizutages mêlent discipline militaire, humiliations diverses, valorisation de la virilité, chantages, tortures et exclusions des plus faibles. Implacable là aussi, le film n’hésite pas à souligner l’absurdité crasse du système lorsque la petite bande rejoue une scène mythique du Cabaret de Bob Fosse pour la fête annuelle sans percevoir l’ironie de l’omniprésence des drapeaux Nazi. Souvent terrifiants et glaçants, en tout cas particulièrement puissants dans cette sensation constance de suffocation, Kisapmata et Batch’81 témoignent cruellement de l’état du pays, mais aussi de la propension de ses habitants à se plier allègrement à ses pires déviances.
Le dernier domicile
Et presque 20 ans plus tard, le combat continu malheureusement pour Mike de Leon qui malgré la fuite de Ferdinand Marcos en 1986 et le retour, proclamé, à une république démocratique, a assisté directement au retour progressif de sa nation dans les bras du populisme et de la répression. A la fin des années 2010 sous la coupe de Rodrigo Duterte aux méthodes policière qui rappellent de bons souvenir, et finalement en 2022 avec l’arrivée au pouvoir de Ferdinand Marcos Jr à la présidence ! Tournés respectivement en 1999 et 2018, loin de ses années fastes, Héros du tiers monde et Citizen Jake avec leurs dispositifs méta-analytiques (le cinéaste se met en scène dans le premier, le second laisse apparaitre les cameras et multiplie les témoignage face caméra) font état justement de cette notion préoccupante de l’héritage des années de plombs et de la culture omniprésente de la corruption aux philippines. Si le premier, passionnant, part sur les traces d’un héros national, José Rizal, militant révolutionnaire récupéré par l’état et l’église, et que le second mêle maladroitement récit policier journalistique et confrontation familiale sur fond d’élection politique, ils dépeignent encore et toujours un pays malade, les pieds dans la boue et qui ne réussit jamais vraiment à s’en extirper.
Engagé politiquement mais aussi engagé dans son art, participant activement à la restauration et la préservation du patrimoine cinématographique national, Mike de Leon méritait bien qu’un distributeur / éditeur français se penche enfin véritablement sur son œuvre. Si les connaisseurs regretteront l’absence du téléfilm Bilanggo sa dilim (2022) et surtout de Croisements (1984), portrait d’une nonne devenue malgré elle symbole de la révolution, ce coffret « Portrait d’un cinéaste philippin » proposant en sus les courts métrages survivants du bonhomme, n’est pas loin de l’intégrale. Un évènement cinéphile dans tous les cas.
Image
Première mondiale pour ces nouvelles copies des films de Mike de Leon, toutes dûment et solidement restaurées aux philippines par la propre fondation du réalisateur. Travail plutôt aisé pour les deux derniers Héros du Tiers-Monde et Citizen Jake qui affichent assez naturellement des masters 4K pointus et limpides. Choses un peu plus ardues pour les six autres qui, comme beaucoup de productions locales, n’avaient pas connu des conditions d’archivage optimales. Comme l’expliquent les cartons informatifs disposés avant le lancement des films, ces derniers étaient souvent marqués par le fameux Vinegar Syndrome (sorte de tache d’huiles qui décolore la pellicule), de nombreuses griffures, taches et autres rides profondes des années. A partir de nouveaux scans des négatifs et l’insertion d’autres sources positives 35 mm pour les segments trop abimés, les techniciens ont réussi à littéralement sauver les films et leur redonner une belle plastique. Les couleurs sont ravivés, le piqué bien marqué, les cadres incroyablement propres, avec certes quelques zones un peu floues parfois ou un grain moins stable, mais l’ensemble reste assez remarquable.
Son
Et les bandes sonores n’étaient bien entendu pas beaucoup plus fringantes et là aussi la restauration est d’autant plus appréciable. Forcément quelques petites perditions (légers chuintements ou saturations) se font encore entendre parfois sur les productions les plus datées, mais cela reste tout de même assez discret avec des DTS HD Master Audio mono ou stéréo bien nets et plutôt équilibrés, et un DTS HD Master Audio 5.1 évidements assez fluides et relativement dynamique pour l’ultime Citizen Jake.
Interactivité
Nouveau coffret portrait pour Carlotta avec un modèle à fourreau cartonné bien épais et solide et digipack sobre à l’intérieur. Rien à redire de ce côté-là, ni d’ailleurs en ce qui concerne l’épais livret rédigé par le critique Charles Tesson (Les Cahiers du cinéma, La 7ème Obsession) qui retrace un petit historique bienvenu du cinéma philippin avant de s’attarder comme il se doit sur la carrière et les thématiques fortes du cinéma de De Leon, sans oublier de se plier à l’exercice de présentation de chaque film.
Répartis sur cinq Bluray, les films sont aussi accompagnés de nombreux suppléments qui viennent étoffer encore cette sensation constante de découverte totale d’un cinéaste et d’un cinéma. Trois making of maison complètent ainsi les visionnages de Itim, C’était un rêve et Kakabakaba Ka Ba ? avec à chaque fois un ton et des approches assez décalées, tandis que les courts métrages pamphlétaires Signos (1983), Kangkungan (2019) et Never Again (2022) attestent d’une conscience politique toujours aussi bouillonnante. Réalisé au sein du film collectif Southern Winds sorti en 1992, Aliwan Paradise est pour le coup l’un des essais les plus réussi de son auteur, entre esthétique documentaire et farce tragique, transformant la simple évocation des nouveaux divertissements à la mode, le film montre la fascination de la population pour la pauvreté et le malheur des autres.
Enfin, le coffret contient ni plus ni moins qu’un long métrage complet en supplément : Portrait de l’artiste en Philippin, produit en 1965 par Manuel de Leon, père de, au sein des grands studios de l’époque. Un grand mélodrame en noir et blanc signé Lamberto V. Avellana qui va par ses ambitions esthétique et thématiques, sa manière d’aborder l’identité du pays sous couvert d’une œuvre grand public, marquer durablement tout une génération d’artistes dont Mike De Leon. Après un prix du Meilleur coffret 2022 attribué par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma pour son travail sur Kinuyo Tanaka, Carlotta Films a ici toutes les armes pour faire un doublé en 2023.
Liste des bonus
Un livret rédigé par Charles Tesson (80 pages), Long métrage : « Portrait de l’artiste en Philippin » de Lamberto V. Avellana, produit par Manuel De Leon (« A Portrait of the Artist as Filipino », 1965, 1.37, N&B, 111’), « Signos » de Mike De Leon (1983, Couleurs et N&B, 38’), « Aliwan Paradise » (segment du film collectif « Southern Winds », 1992, Couleurs, 29’), « Kangkungan » (2019, Couleurs et N&B, 5’), « Never Again » (2022, Couleurs et N&B, 2’), Making of de Itim (20’), C’était un rêve (23’) et Kakabakaba ka ba? (14’).