MEURTRES DANS LA 110EME RUE
Across 110th Street – Etats-Unis – 1972
Support : Bluray & DVD
Genre : Policier
Réalisateur : Barry Shear
Acteurs : Anthony Quinn, Yaphet Kotto, Anthony Franciosa, Antonio Fargas, Paul Benjamin,…
Musique : J.J. Johnson, Bobby Womack
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 101 minutes
Éditeur : Rimini Editions
Date de sortie : 16 janvier 2023
LE PITCH
Harlem, années 70. De jeunes délinquants noirs déguisés en policiers font irruption dans un tripot contrôlé par la Mafia, abattent plusieurs hommes et s’emparent d’une grosse somme d’argent. Le parrain local ordonne à son gendre de retrouver au plus vite les braqueurs et de rétablir la frontière qui s’éparent les gangs noirs et les mafieux. Deux policiers, un blanc et un noir, mènent l’enquête.
Look around you, just look around you
Immortalisé par le tube composé par la légende de la soul Bobby Womack, repris, samplé à tout va et servant à nouveau d’ouverture au Jackie Brown de Quentin Tarantino, Across 110th Street le film est clairement moins connu que sa partition. Une injustice pour un polar intense et sombre qui déjouait habilement les petits pièges de la blacksploitation.
Sorti sur les écrans alors que le genre était justement en pleine effervescence, embarquant dans son sillage quelques gros studios avides de conquérir ce nouveau public en pleine émancipation, Across 110th Street en affiche ostensiblement les apparats. La musique tout d’abord avec son générique historique mais aussi une bande originale bien groovy signée par le J.J. Johnson de Shaft et Dynamite Jones, le cadre évocateur de Harlem, l’observation du monde criminel local et même quelques effusions colorisées et pimpées ici surtout symbolisées par le mac haut en couleur incarné par Antonio Fargas, futur Huggy les bons tuyaux de Starsky & Hutch. D’ailleurs, ce personnage n’est jamais célébré comme un classique de la blackploitation l’aurait fait et sa cool attitude, sa démesure et son harem de jolies filles lui seront brutalement crédités par une mafia revancharde. La violence est tout à tour sourde et ouvertement sadique, jamais mise en valeur ou rendu spectaculaire, orientation assez logique pour un film qui ne va jamais cesser de se décliner en atmosphères particulièrement sombres et en dégradés de gris.
You don’t know what you’ll do until you’re put under pressure
Si le studio garde un œil du coté des cartons blackploitation, le très solide téléaste Barry Shear (dont c’est là l’une des seules sorties cinéma avec Les troupes de la colère et Le Shérif ne pardonne pas) lui préfère emboiter le pas à une esthétique plus sèche, plus rude, et un portrait beaucoup plus amer de la vie de la rue et du quotidien policier faisant directement écho au French Connection de William Friedkin ou au Les Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer. Tourné en pleine cœur des fameux quartiers new-yorkais le film en capture admirablement l’aridité et la pauvreté confondante, microcosme abandonné au milieu duquel s’ébattent une petite galerie de personnages, raisonnablement patibulaires, dont personne n’émerge véritablement avec les honneurs. Il y a bien naturellement les deux flics de l’affaire, impeccablement incarnés par Anthony Quinn et Yaphet Kotto, dont l’antagonisme vieux / jeune (ici plutôt ambitieux), blanc / noir, renvoit inévitablement à celui de Dans la chaleur de la nuit, mais où la confrontation générationnelle et idéologique échoue dans un dialogue de sourds qui ne peut en effet que mal finir. En parallèle, le petit monde mafieux n’est pas beaucoup mieux loti avec là aussi une opposition irréversible entre les italo-américain et les afro-américains ne s’alliant que temporairement, pour mieux se pourrir dans le dos. Un Harlem en ruine, où de braves types sont obligés de s’improviser braqueurs pour tenter de s’en sortir (ne faisant qu’aggraver le chaos général) et où les derniers policiers, généralement corrompus, semblent au bout du rouleaux, presque devenus des cibles volontaires. Un constat d’échec total des grands élans de la décennie précédente.
Il suffisait finalement de bien écouter les paroles de la chanson de Bobby Womack pour mesurer l’étendu du nihilisme de ce Across 110th Street, polar crasseux et âpre qui se place aisément parmi les plus marquants des 70’s.
Image
Pas forcément des plus fraiches, la seule copie HD existante du film a fait sa première apparition aux USA en 2014. Inutile de préciser qu’il n’est pas vraiment question ici de restauration mais bien de remasterisation à partir d’une source vidéo déjà bien connue (oui celle du DVD). Si les cadres semblent toujours très propres et les couleurs plutôt tenues et naturelles, la définition est toujours un peu lourde, bataillant avec une photographie sombre et grisâtre, un grain passant de neigeux à floconneux et des blancs flottants et un peu piqués. Tout ça semble un peu terne et trouble, mais le piqué s’accroche et l’esthétique du film est maintenue.
Son
Pas de grandes prouesses non plus du côté des pistes sonores mono disposées en DTS HD Master Audio 2.0 avec un doublage efficace mais quelque peu plaqué et une version originale beaucoup plus énergique mais à l’amplitude retenue.
Interactivité
Traité aux USA comme un fond de catalogue MGM, Across 110th Street n’a effectivement pas connu les honneurs d’une nouvelle copie éclatante, ni la production de véritables bonus (documentaires sur les coulisses ou la musique par exemple…).
Comme souvent Rimini s’efforce de rattraper les manques, proposant le film avec un joli fourreau cartonné et trois disques : le bluray, le DVD et un second DVD entièrement consacré aux suppléments. Des items inédits et confectionnés maison qui permettent en premier lieu de retrouver Jean-Baptiste Thoret pour un retour sur la vague et les origines de la blacksploitation et surtout une analyse très complète du film en question. De son appartenance au pur polar des 70’s, ses thématiques sociétales, sa noirceur, son esthétique brute… Le propos est comme toujours passionnant et éclairant. Il est en partie complété par l’intervention de Samuel Blumenfeld qui s’intéresse un peu plus pour sa part à la peinture du New York de l’époque et son réalisme presque documentaire. Enfin le programme s’achève par une rencontre avec Olivier Cachin portant sur la musique du film, la chanson titre et l’impact qu’elle a eu sur le monde de la soul, puis sur la culture rap des années 80/90. Un programme assez complet donc.
Liste des bonus
« Le Nihilisme de Barry Shear » par Jean-Baptiste Thoret, réalisateur et historien du cinéma (32’), « La Blaxploitation » par Jean-Baptiste Thoret (18’), « L’Enfer de New York » par Samuel Blumenfeld, journaliste cinéma au Monde (32′), « Signé Bobby Womack » par Olivier Cachin, spécialiste des musiques urbaines (18’), Bande-annonce (3′).