MESSIAH OF EVIL
Etats-Unis – 1973
Support : Bluray
Genre : Horreur
Réalisateur : Willard Huyck, Gloria Katz
Acteurs : Michael Greer, Marianna Hill, Joy Bang, Anitra Ford, Royal Dano, Elisha Cook Jr. …
Musique : Phillan Bishop
Image : 2.35 16/9
Son : Anglais DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 90 minutes
Editeur : Le Chat qui fume
Date de sortie : 31 juin 2024
LE PITCH
Arletty, jeune Californienne, se rend dans la petite bourgade de Point Dune, au bord de l’océan Pacifique, après avoir reçu une lettre (aux propos étranges) de son père, Joseph Long, qu’elle n’a pas revu depuis longtemps. Lorsqu’elle arrive dans sa demeure, Arletty trouve la maison déserte. Elle s’y installe, puis part à la recherche de son père. Elle constate alors que la ville est en proie à des phénomènes bizarres, et fait la connaissance de Thom, accompagné de ses maîtresses, Laura et Toni. Peu après, en fouillant la maison, Arletty trouve le journal intime de son père. Ce qu’il y raconte est effrayant…
She can see dead people
Petit film d’exploitation tourné entre deux projets et considéré inachevé par ses auteurs (les producteurs se chargeront de « monter » une fin afin de distribuer le film deux ans plus tard), Messiah of Evil a pourtant gravi peu à peu les échelons cinéphiles pour s’installer aux coté des grands classiques modernes du cinéma d’horreur. Pas loin de certains George A Romero ou John Carpenter, pour qui la cité américaine est aussi déjà un cauchemar en soi.
Pourtant le couple auteur du métrage, Willard Huyck et Gloria Katz (elle n’est créditée qu’au scénario cependant), n’était pas vraiment de grands amateurs ou connaisseurs du cinéma d’horreur. Des scénaristes qui sont alors en train de plancher sur le second long métrage du camarade d’université George Lucas, American Graffiti, et qui collaboreront encore par la suite avec ce dernier pour Indiana Jones et le Temple maudit, la comédie Radioland Murders et bien entendu l’injustement éreinté Howard The Duck qui pour le coup métra fin à leur carrière de cinéastes. Mais en cette aube des 70’s, l’opportunité de tourner enfin leur propre film avec qui plus est une certaine carte blanche assurée par un budget plutôt réduit, restait alléchant. La gestation et le tournage du film ne sera pas sans déroute avec des financiers qui disparaissent du jour au lendemain obligeant la production à stopper alors que le film, en particulier la fin, n’est pas tout à fait achevée. D’ailleurs le scénario, aux prémisses extrêmement classiques avec cette jeune femme qui recherche son père disparu dans une curieuse petite ville balnéaire, ne manque pas d’incohérences, de chemins inaboutis et de personnages lacunaires jusqu’à sa dernière bobine laissant place, par la force des choses, à un épilogue opaque et très ouvert. Mais c’est peut-être aussi cette structure toujours éclatée, ce cheminement chaotique et cette sensation de collages de silhouettes inexpliquées (dont un curieux bonhomme albinos inquiétant se trimbalant avec des hommes hagards dans sa remorque) et d’espaces distants, qui provoquent chez le spectateur cette curieuse fascination qui étreint.
Horreur à Point Dune
Un véritable film cauchemar, sans réelles frontières, sans cheminement classique, sans logique autre que la sienne qui rejoint forcément la famille du fameux Carnival of Souls de Herk Harvey, en particulier dans cette illustration troublante d’une héroïne féminine constamment au bord de l’hystérie, mais aussi par son contenu politique sous-jacent le film séminal de George A. Romero, La Nuit des morts vivants. Ici aussi les morts semblent envahir peu à peu l’espace et surtout remplacer des vivants aux comportement déjà mécaniques et décérébrés. La communauté, si chère à la culture américaine, laisse place à une présence menaçante, envahissante et claustrophobe qui transforme des lieux froids et contemporains comme un centre commercial (annonçant dès lors le Zombie de Romero) ou un cinéma (la lente prédation quelque part entre Les Oiseaux et L’Antre de la folie), où l’individualisme censé se fait littéralement dévorer. Précurseur certainement, jusque dans sa mythologie lovecraftienne d’arrière-plan, Messiah of Evil marque tout autant par l’utilisation brillante de la suggestion laissant toujours la pure violence et les effets sanglants hors champs (permettant alors de faire oublier les très faibles moyens) et la construction visuelle inspirée appuyant toujours sur le contraste entre les lignes fortes de la modernité galopante, les ténèbres de puissances païennes persistant dans l’ordre naturel (la séquence de « culte » sur la plage) avec comme point de rassemblement et d’achoppement la demeure du père. Une vaste propriété aux façades presque entièrement recouvertes de peintures aux perspectives faussées et aux silhouettes anonymes à la fois lointaines et toujours prête à sauter sur les vivants.
Avec son utilisation inspirée des noirs et des filtres de couleurs, ses plans précis et visionnaires, son atmosphère onirique plongée dans des musiques électroniques limite conceptuelles et bien flippantes et son cadre de film d’exploitation totalement transfiguré par son surréalisme, Messiah of Evil, est véritablement un jalon incontournable du cinéma d’horreur.
Image
A l’heure actuelle, les négatifs de Messiah of Evil sont considérés comme définitivement perdus. La restauration en présence, produite par Radiance aux USA, a donc été effectuée à partir de la meilleure source connue : une copie 35 mm préservée par la Academy Film Archive. Scannée en 4K, sérieusement nettoyée, stabilisée au mieux, réétalonnée et raffermie, l’image n’a bien entendu jamais été aussi riche et précise. La définition est un petit miracle pour ceux qui avaient avait déjà découvert le film sur d’anciens supports, et la colorimétrie largement plus poussée et contrastée (quitte effectivement à s’emballer un peu sur les magentas et les orange parfois) souligne sa proximité avec une certaine école italienne. La copie est bien entendu marquée par des fluctuations de grain et de clarté, des transitions (fondus, collages…) qui trébuchent, et des matières très présentes, mais le rendu organique et vibrant est vraiment une bonne surprise.
Son
Très sobre et respectant la frontalité centrale du mixage d’origine le DTS HD Master Audio 2.0 de la version anglaise montre là aussi un travail de restauration appréciable avec quelques restes de perditions (légères saturation et crissements) mais toujours très discrets et un bon placement des sources.
Interactivité
Présenté dans un boitier Bluray classique avec petit fourreau cartonné, Messiah of Evil par Le Chat qui fume reprend, à raison, les excellents suppléments de l’édition américaine dont cette très étrange interview de Willard Huyck, le réalisateur, entièrement sur fond noir avec sous-titres français apparaissant au centre. Le monsieur reste donc mystérieux, mais retrace très sincèrement les coulisses de la fabrication du film, du scénario au tournage en passant bien entendu par les desiderata financiers.
Il en est aussi naturellement question dans le long documentaire de près d’une heure « Un cauchemar américain », compilant les interventions de quelques critiques et spécialistes, qui racontent autant l’éclosion de ce nouvel Hollywood, l’importance de George Lucas dans les prémisses du film, le tournage contrarié que proposent des pistes de lectures, que construisent des liens avec les mouvements cinématographiques de l’époque et des analyses toujours très intéressantes.
D’ailleurs le programme s’achève par une analyse plus directe, « Le gothique américain et l’hystérie féminine » qui part des origines du gothiques anglo-saxon pour aborder le traitement de la condition féminine dans le cinéma américain des années 70.
Liste des bonus
Interview du réalisateur Willard Huyck (37’), Ce que la lune de sang apporte : Messiah of Evil, un cauchemar américain (57’), Le gothique américain et l’hystérie féminine (22’).