MEMENTO
États-Unis – 2000
Support : Blu-ray
Genre : Thriller
Réalisateur : Christopher Nolan
Acteurs : Guy Pearce, Carrie-Ann Moss, Joe Pantoliano, Mark Boone Junior, Stephen Tobolowsky, Jorja Fox, Harriet Sansom Harris, …
Musique : David Julyan
Durée : 113 minutes
Image : 2.35 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Editeur : Metropolitan
Date de sortie : 22 juillet 2023
LE PITCH
Souffrant d’une perte de la mémoire immédiate qui l’oblige à garder des traces de tout ce qu’il fait au moyen de notes, de photos et de tatouages sur son corps, Leonard Shelby mène l’enquête pour retrouver l’assassin de sa femme …
Souvenirs, souvenirs
Premier tour de force narratif et sensoriel de Christopher Nolan, Memento est de retour en haute-définition dans le sillage de la sortie ciné d’Oppenheimer. Et le temps ne semble décidément pas avoir de prise sur ce néo-noir à rebours teinté d’absurde et de tragique où un Guy Pearce-poisson rouge s’enfonce malgré lui dans une spirale kafkaïenne de meurtres, de mensonges et de souvenirs douteux.
Admiré ou moqué, célébré ou surestimé, Christopher Nolan pourra, quoi qu’il en soit, toujours compter sur Memento, sa carte maîtresse, son joker (!). Car il est indéniable que le second long-métrage du réalisateur de The Dark Knight et d’Inception surprend comme au premier jour par sa maîtrise, sa richesse thématique, son apport au genre du film noir et son interactivité avec le public, contraint de s’investir émotionnellement ET intellectuellement ou de rejeter l’expérience en bloc.
Adaptant une nouvelle de son frère Jonathan (laquelle était encore un work in progress au moment de l’écriture du scénario), Christopher Nolan nous raconte l’étrange histoire d’un homme oubliant systématiquement tout ce qui lui arrivé, tout ce qu’il a dit et les personnes qu’il a rencontré au bout d’une quinzaine de minutes. Un reset permanent qui le force à documenter de toutes les façons possibles et imaginables ses moindres faits et gestes et qui constitue un handicap de taille dans sa quête de vengeance. Car ce pauvre Leonard Shelby cherche désespérément l’homme responsable du viol et du meurtre de sa femme (mais aussi de son amnésie partielle) pour lui faire payer son crime sans autre forme de procès. Et c’est sans doute la plus belle idée de Memento, celle de transformer le trauma originel du héros en une blessure si violente qu’elle en affecte la narration jusque dans sa chronologie. Dans les scènes en couleurs, le film se déroule à l’envers, chaque nouvelle scène précédant en réalité la scène que l’on vient de voir et jusqu’à une révélation qui est en réalité un point de départ et le nœud d’une boucle … qui n’en est pas vraiment une. Dans les scènes en noir et blanc, Nolan opte en parallèle pour un flashback linéaire (vous suivez toujours ?) où se mettent en place les conditions nécessaires à la compréhension d’un climax tout aussi tortueux car il est possible d’y voir un début, un milieu et une fin. Et c’est encore là que l’on pourra saluer l’intelligence et le savoir-faire du réalisateur et le talent de la monteuse Dody Dorn d’être parvenus à livrer en moins de dix minutes toutes les clés pour comprendre et résoudre ce puzzle intimidant, un exploit que ni Inception, ni Tenet (les plus proches cousins de Memento) ne parviendront à accomplir, écrasant les spectateurs sous des tonnes de dialogues explicatifs perçus à tort ou à raison comme un mélange de virtuosité et de prétention un peu vaine.
La tête à l’envers
Dernière pierre à l’édifice post-moderniste (et très critiquée) du néo-noir entamé dans les années 90 par toute une génération de cinéastes biberonné au roman de gare et au film noir des années 30 et 40, Memento en parachève la déconstruction – dans tous les sens du terme – par un retour à ses fondamentaux. Ce que ne laissait pas forcément augurer son statut de rubik’s cube filmique. Contrairement à Quentin Tarantino, à John Dahl, aux Wachowski, à Steven Soderbergh et à quelques autres, Christopher Nolan ne se montre en réalité ni subversif, ni cynique, ni ironique et ne cède en aucun cas à une violence « cool » ou ludique. Le cinéaste ne prend aucune distance avec ses archétypes hérités de la littérature de Dashiell Hammett ou de Raymond Chandler ou du cinéma de John Huston et d’Howard Hawks et embrasse pleinement la charge émotionnelle qui les accompagne. Répondent donc à l’appel une voix-off, un héros désabusé, fatigué et mélancolique comprenant trop tard qu’il n’est qu’un pion dans le jeu mené par son entourage, un flic véreux dont l’aide s’avère à double tranchant (formidable Joe Pantoliano, échappé de Bound et Matrix), des malfrats patibulaires et même une femme fatale, incarnée par une Carrie-Ann Moss parvenant par son simple regard à donner du poids et de la crédibilité au personnage de Natalie qui, comme la quasi-totalité des personnages féminins imaginés par Christopher Nolan, souffre sur le papier d’une écriture distante et incomplète qui trahit la fascination mais aussi la peur et l’incompréhension de l’auteur vis-à-vis de ses héroïnes.
La puissance du drame se révèle in fine dans une autre très belle idée. Leonard Shelby a beau prendre des notes et compiler les informations pour s’aider dans son enquête, il ne peut jamais garder la moindre trace du contexte ou de son état d’esprit du moment. Une malédiction qui, à son insu, le pousse à interpréter les faits de travers et à se perdre petit à petit. Comme une copie d’une copie, son passé, son unique repère, se dégrade irrémédiablement, faisant de lui le pigeon idéal et lui volant la catharsis tant attendue de sa vengeance puisqu’il l’a déjà vécue sans le savoir. Suggéré tout du long puis remis en évidence dans les dernières minutes, le principe parvient à rendre l’ensemble aussi vertigineux que profondément émouvant. Un tour de magie purement cinématographique après lequel Christopher Nolan semble néanmoins condamné à courir de film en film pour ne le reproduire que par fragments.
Image
La très légère instabilité des contours et le piqué en retrait du générique de début laisse très vite la place à un master très fidèle à la photographie si particulière de Wally Pfister, fidèle collaborateur de Nolan et maillon essentiel de son identité formelle. Soit une lumière laiteuse et naturaliste privilégiant les bleus, les gris et des blancs aveuglants. Un transfert délicat au grain très approprié.
Son
Oubliez l’horrible version française et son doublage à la ramasse et faîtes place à la version originale aux ambiances discrètes mais solide et dont la spatialisation des dialogues se révèle aussi efficace que troublante.
Interactivité
Réédité à de nombreuses reprises en DVD puis en blu-ray, Memento se présente aujourd’hui avec une nouvelle interactivité héritée des efforts précédents mais qui ne se risque pas à cumuler tout le matériel existant. On se passera donc (sans trop de regrets) du chapitrage « repensé » qui remettait le film dans le bon ordre et de certaines interviews ou sujets vus ailleurs pour se tourner vers plus de cohésion et moins de superflu. Le commentaire audio du réalisateur se révèle très informatif malgré une tendance un peu paresseuse à se borner à décrire ce qui se passe à l’image. Visant l’exhaustivité, Nolan a d’ailleurs enregistré deux versions supplémentaires de son commentaire du quart d’heure final, lesquels nous sont livrés ici. Attention, il ne s’agit en aucun cas de « fins alternatives » comme le descriptif sur la jaquette et dans les menus le laissent croire. Un bonus picture in picture permet de visionner le film en parallèle du scénario, mettant en valeur la construction maniaque de la narration et le travail du casting pour donner de la vie et de l’authenticité à une écriture qui aurait pu se perdre dans ses effets de manche. Deux suppléments passionnants produits à Sundance à l’époque de la sortie du film proposent une analyse de sa structure narrative avec une emphase toute particulière sur son ouverture en forme de mode d’emploi et de note d’intention ainsi qu’un entretien avec le réalisateur, humble et souriant. Le même Nolan se soumet à nouveau à l’exercice de la masterclass devant un public conquis d’avance mais dix ans plus tard (en pleine promotion d’Inception) et face aux questions toutes plus pertinentes les unes que les autres de Guillermo Del Toro, décidément très à l’aise dans cet exercice.
Liste des bonus
Commentaire audio du film par Christopher Nolan (VOSTF), 2 versions alternatives du commentaire audio de la fin du film, Visionnage du script en parallèle du film (picture in picture), Interview de Christopher Nolan par Guillermo del Toro pour le 10ème anniversaire du film, Interview de Christopher Nolan lors de la sortie du film, Autopsie du film, Bande-annonce.