MATEWAN
Etats-Unis – 1987
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : John Sayles
Acteurs : Chris Cooper, Mary McDonnell, Will Oldham, David Strathairn, Ken Jenkins, Kevin Tighe, James Earl Jones…
Musique : Mason Daring
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 132 minutes
Éditeur : Intersections Films
Date de sortie : 29 février 2024
LE PITCH
1920 : Petite ville de Virginie-Occidentale, Matewan est totalement contrôlée par la société minière qui possède à la fois les terres, les logements et les commerces, et dispose de sa main d’oeuvre par la force. Les mineurs décident de faire grève contre leurs conditions de vie inhumaines, mais on leur oppose vite une milice armée qui va faire régner la terreur.
Le nouveau western
Jamais diffusé en salle en France et distribué rapidement en vidéo avant de resurgir parfois sur les chaines de câble et / ou streaming, Matewan souligne bien l’injustice dont souffre John Sayle (Lone Star, City of Hope) en France. Aucun de ses romans n’y ont été traduits et seulement la moitié de ses réalisations y ont été diffusées. Pourtant cette illustration fascinante d’une authentique tragédie du combat syndicaliste américain témoigne à nouveau d’une force de conviction et d’un talent indéniable.
Né comme beaucoup au sein de l’écurie Corman et scénariste de quelques films bis aussi réussis que Piranhas, Du Rouge pour un truand, L’Incroyable Alligator, Hurlements ou A armes égales, John Sayles aurait aisément pu poursuivre sa carrière dans le milieu du cinéma d’exploitation. Pourtant dès ses premiers travaux, on perçoit déjà une fibre engagée, un certain regard sur la réalité américaine, qui nécessitait effectivement qu’il prenne lui-même la caméra en mains et surtout qu’il s’engage vers une voie plus maitrisée du cinéma indépendant. Du film de potes (Return of the Secaucus Seven) à la science-fiction (Brother) en passant par la chronique adolescente (Hello, Baby) les genres typiquement américains sont constamment habités par une réflexion sur l’histoire et la société américaine et en particulier la notion de classes, ici aussi bien économique, géographique que raciale. En ces termes Matewan vient concrétiser ouvertement les pistes évoquées jusque-là en reconstituant le terrible drame qui marqua la ville de Matewan en Virginie-Occidentale, théâtre d’un affrontement sanglant entre grévistes mineurs et milice engagée par le fier industriel qui les exploitait. Un épisode alors presque effacé des tablettes en 1987 et que John Sayles se décide de mettre en lumière. Non pas en l’abordant sous la forme militante d’un quasi-documentaire (même si les recherches et la quête de réalisme sont conséquentes), ni en se contentant de célébrer sous une forme élégiaque le courage des petites gens, mais bien en en faisant un western.
Il était une fois dans le nord-est
LA forme la plus américaine du cinéma, celle par laquelle le pays a quasiment construit sa mythologie, dont le cinéaste reprend directement la structure classique où héros et gangsters armés se heurtent de plus en plus violemment jusqu’au gunfight final, et bien entendu les archétypes attendus. Un excellent moyen d’attirer l’œil du spectateur, de lui faire redécouvrir ce début du 20eme siècle où la poudre et la violence étaient toujours le sel de la nation, mais aussi de l’entrainer progressivement vers une contre-histoire, comme Les Portes du Paradis de Michael Cimino. De celle où le héros solitaire (Chris Cooper dans son premier rôle) venu prêcher la bonne parole du syndicalisme affirme son pacifisme jusqu’à la fin, où le shérif (David Strathairn) ne pourra s’imposant qu’en tirant dans le tas et où la population n’arrive jamais vraiment à s’extraire de sa condition et de l’emprise du « patron ». Un drame terrien passionnant, un Germinal à l’américaine (plus romantique et flamboyant donc) qui rend aussi bien hommage à ces hommes et femmes qui ont tenté de se rebeller contre l’ordre établi, contre un système esclavagiste effarant qu’il capture avec une incroyable justesse : la réalité de la nature communautariste, et ses raisons purement politique et économique (ça s’appelle une diversion), d’une classe basse ou moyenne toujours prompte à se jeter sur l’autre. Rien n’a changé de ce côté-là, ni aux USA ni en France, mais malgré son regard franc, Matewan ne manque pas de petites touches d’espoirs, en particulier lorsque hillbillies du coin, communauté noire (menée par le toujours excellent James Earl Jones) et immigrés italiens se mettent à se répondre en musique, faisant renaitre à l’image toute la beauté et les couleurs du blues.
Parfois taxé, injustement, d’être un meilleur auteur et directeur d’acteurs que réalisateur, John Sayles prouve le contraire avec Matewan, s’appuyant fermement sur la superbe photographie d’Haskell Wexler (Dans la chaleur de la nuit, Retour, Colors…) pour imprégner son image, ses décors et leurs lumières d’un noir charbon hantant jour et nuit les ouvriers, pour instiguer un véritable souffle à son épopée « modeste » jusqu’à un gunfight volontairement chaotique aussi réaliste que significatif. Un film magnifique et important.
Image
Intersections propose en France la même copie que l’honorable maison Criterion. Une superbe restauration effectuée à partir d’un scan 4K des négatifs 35mm avec un réétalonnage conçu avec l’aval de John Sayles. Certains défenseurs du temple ont émis quelques plaintes aux USA quant à l’accentuation de certaines teintes (jaunes et verts), mais au-delà d’une légitimité historique, il faut reconnaitre que la photographie exposée sur le bluray est tout simplement magnifique. A côté de cela en dehors que quelques rares plans plus doux dans le rendu (manifestement dus à la captation d’origine), la définition est extrêmement solide avec un piqué pointu, des reliefs bien creusés, des cadres immaculés et surtout un mariage élégant entre le grain de pellicule et les argentiques pour aboutir à un tableau des plus cinématographiques. Pour ceux qui n’avaient pas revu le film depuis sa première diffusion VHS, ça peut clairement faire un choc.
Son
La piste mono originale est proposée dans un DTS HD Master Audio 2.0 on ne peut plus clair et équilibré. Aucune perdition de notable. Inédit en salles chez nous, la version française proposée ici correspond à celle produite pour la première sortie vidéo. Un peu sèche et un peu brut, mais assez sobre et efficace.
Interactivité
Intersections propose à nouveau un film rare, ou en tout cas bien trop méconnu chez nous, avec Matewan toujours présenté sous la forme d’un simple boitier scanavo (avec fourreau cartonné disponible uniquement sur le site de l’éditeur) mais au visuel extrêmement élégant et doté d’un livret à petite pagination certes mais avec un texte critique très intéressant de Damien Bonelli et des photos de production des lieux de tournages.
L’éditeur offre ensuite un contenu particulièrement riche et complet en reprenant tout d’abord le passionnant commentaire audio réunissant le réalisateur et le chef opérateur Haskell Wexler, puis en disposant un programme exclusif à l’édition avec deux analyses vidéos très complètes signées Murielle Joudet puis Nathan Reneaud qui évoquent chacun leur tour l’approche politique particulièrement rare du métrage, son décalage avec le reste du cinéma américain, ses dispositifs narratifs et sa mise en scène, avec toujours un effort pour le resitué dans le reste de la filmographie tout aussi méconnue de John Sayles.
Lui et son épouse Maggie Renzi, productrice du film et actrice dans un petit rôle, se fendent d’une petite introduction au film, avant de répondre chacun de leur côté, avec sincérité et simplicité, à de longues interviews autour de leurs souvenirs du film. Dans les deux cas c’est passionnant, revenant autant sur leurs parcours atypiques au sein de l’industrie américaine, que sur leurs intérêts constant pour les questions de classe et les combats syndicaux, que leurs découvertes de la réelle communauté de mineurs présente lors du tournage, le travail avec les acteurs, le tournage des séquences nocturnes, la séquence finale et sa référence italienne… jusqu’à sa première présentation à la presse US. Comme on dit dans ces cas-là : on s’assoit et on écoute.
Liste des bonus
Un livret contenant un essai de Damien Bonelli sur le film (22 pages), Commentaire audio de John Sayles & Haskell Wexler (VOST), Entretien avec John Sayles (63’, VOST), Entretien avec Maggie Renzi (26’, VOST), « Le Cinéma de John Sayles », par Murielle Joudet (24’), « Matewan et la contre-histoire », par Nathan Reneaud (23’), Bande-annonce.