MARQUIS
Belgique, France – 1989
Support : Bluray
Genre : Comédie, Animation
Réalisateur : Henri Xhonneux
Acteurs : François Marthouret, Valérie King, Isabelle Canet-Wolfe, Michel Robin, Philippe Bizot, Bien de Moor, Gabrielle van Damme, Olivier Dechaveau, …
Musique : Reinhardt Wagner
Image : 1.66 16/9
Son : Français LPCM 2.0
Sous-titres : Français et anglais.
Durée : 83 minutes
Editeur : Caméflex
Date de sortie : 10 décembre 2024
LE PITCH
En 1789, Marquis, un chien notoirement rétif, est incarcéré à la prison de la Bastille pour un léger blasphème. Son unique compagnon est Colin, son propre sexe, avec qui il tient de longues conversations. Grâce à son imagination débordante, Marquis s’évade dans des récits sulfureux qu’il couche sur le papier. Cependant, l’idée d’une évasion concrète prend forme lorsque ses voisins de cellule, Pigonou et Lupino, commencent à planifier leur fuite pour rejoindre le mouvement révolutionnaire à l’extérieur des murs de la Bastille.
L’art obscène
1989 années du bicentenaire de la révolution ! Année aussi de la sortie sur les écrans d’une véritable anomalie du cinéma français, Marquis, révision en animation et marionnettes, des élucubrations du célèbre De Sade incarcéré dans une Bastille pas encore libérée. Un esprit révolutionnaire célébré comme il se doit par l’esprit frondeur et surréaliste des créateurs de l’émission culte Téléchat.
Soit donc Henri Xhonneux, réalisateur ayant débuté du coté du porno franchouille sous le pseudo Joseph W. Rental, et Roland Topor illustrateur génialement allumé et dessinateur de La Planète sauvage pour Laloux ou auteur du Locataire adapté par Polanski, qui en trois saisons de pastilles de 5 minutes de 1983 à 1986 ont généreusement ouvert le jeune public francophone à l’absurde le plus total. Un véritable succès d’audimat, mais aussi critique, qui tout comme leur modèle des Studio Henson (Muppet Show, Sesame Street…) donne des envies de longs métrages. Mais exit les mondes enfantins et la comédie familiale, le film se tourne vers l’œuvre sulfureuse du Marquis de Sade, et entend conter une vision très particulière du temps passé par ce dernier dans sa cellule de la prison royale. Particulière forcément par la technique choisie, prolongement des expérimentations de Téléchat, donnant corps non plus à de classiques marionnettes animées par en dessous mais par un mélange de comédiens et de masques animés reprenant les dessins anthropomorphiques de Topor. Une fable animalière presque traditionnelles à la Jean de la Fontaine, mais avec une approche résolument adulte, où ces créatures mi-humain mi-chien, chameau, porc, coq, rat ou vache, renvoient moins à des stéréotypes classiques car une véritable réflexion, proche des textes de Sade justement, sur l’animalité profonde de l’homme.
L’art et l’obscène
Presque des monstres en sommes, tous nobles, bourgeois, prêtres, gendarmes ou geôliers essentiellement animés par leurs perversions, les besoins de pouvoir et de contrôles ou leur avidité, et qui contrastent par leur agitation avec le calme serein, voir le spleen d’un Marquis en contre-pied total avec l’image, faussée, véhiculée depuis des siècles. Celui qui laisse en point final au film la phrase « Ce n’est pas ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres » retrouve effectivement ici de sa nuance, de sa poésie même (révélé par des illustrations de ses écrits / rêveries en stop-motion) où les élucubrations les plus grotesques recouvrent leur statut de fantasmes et de réflexions plus profondes sur les notions de désirs et de liberté. Logique dès lors qu’en guise de voix intérieur, ce Marquis débatte régulièrement avec son propre pénis, fièrement dressé et affichant un charmant visage poupin où le gland se transforme en second (ou premier ?) cerveaux, répondant au nom de Colin. Un vit qui répond visuellement à cette éternelle question de l’opposition entre le corps et l’esprit, la raison et la lubricité et qui ajoute sa part d’étrangeté à une œuvre qui n’en manque pas. Peu importe que le scénario face un peu du surplace avec cette évasion de quelques révolutionnaires en goguette et cette affaire de descendance royale gênante, ou que la mise en scène soit forcément piégée quelque peu par les contingences techniques, les visions totalement baroques qui l’habitent (ce boucher obligé de vendre sa propre jambe, cette orgie décadentes aux sur-masques de gibiers plumés…) lui donne un pouvoir de fascination certains.
Marquis reste aussi certainement l’une des « adaptations » les plus réussies de l’univers littéraire du Marquis de Sade, mélangeant allusions biographiques (son œuvre dépossédée autant que son image) et citations directes de ses textes, tout en donnant généreusement corps à la fameuse dualité féminine : Justine la naïve et amoureuse victime des horreurs du monde et Juliette, s’armant de son corps et de sa volonté pour faire sa place, prenant le visage ici d’une maitresse S&M chevaline à la mission insurrectionnelle. Les connaisseurs apprécieront.
Image
On l’aura attendu longtemps cette édition du Marquis, 20 ans après un DVD introuvable. Et cela valait le coup puisque cette toute nouvelle restauration réalisée par la Cinémathèque Royale de Belgique est de toute beauté. Un travail effectué à partir d’un nouveau scan 2K des négatifs et mélangeant nettoyage chimique et numérique pour des cadres d’une propreté imparable, d’une grande stabilité, tout en préservant comme il se doit le grain organique de la pellicule. Une image vibrante, naturelle et admirablement définie qui retrouve des couleurs intenses et des contrastes bien dessinés. Difficile de reprocher quoi que ce soit à cette copie Bluray.
Son
Un peu plus sobre, la piste sonore française est disposée ici dans une stéréo PCM nette et claire mais sans grandes effusions. Les musiques profitent d’une belle présence mais les dialogues oscillent entre l’efficacité frontale et parfois quelques échanges un peu plus étouffés. Un état de fait manifestement dû à la captation et au mixage d’origine.
Interactivité
Fier de présenter un podcast cinéma régulier, Caméflex se lance désormais dans le périple ardu, mais passionnant, de l’édition. Premier titre d’une collection que l’on espère florissante, Marquis démontre immédiatement d’une envie de (très) bien faire avec un petite mediabook soignée=, à l’illustration inédite et parfaitement dans le ton et bien entendu un livret plutôt complet piqué au centre. Celui-ci en plus de profiter de quelques croquis de Topor et autres images du film et de ses coulisses, propose une longue et passionnante note d’intention du duo Xhonneux / Topor, suivi d’une interview croisée supplémentaire, qui retrace parfaitement les origines du film, ses transformations, ses nombreuses particularités techniques autant que ses intentions artistiques et son hommage à l’œuvre de Sade.
Beaucoup y est déjà évoqué, et pourtant l’édition contient pas moins de deux Bluray avec certes sur le premier la copie du film mais aussi déjà quelques suppléments confectionnés exclusivement par Caméflex avec un retour sur les années Téléchat en compagnie du producteur Eric van Beuren, accompagné ensuite avec la grande productrice Claudie Ossard (Delicatessen, 37°2 le matin…) et l’acteur / animateur Philippe Bizot et quelques interviews d’archives, pour retracer l’aventure du film. On retrouve les trois mêmes intervenants sur un commentaire audio qui forcément n’évite pas les redites, mais permet à chacun d’avoir sa préférence quant à la transmission des informations et anecdotes. Un petit segment de quelques minutes vient, lui, expliciter les procédés utilisés pour la restauration du film.
Le programme se poursuit tout aussi généreusement donc sur le second disque propose de retrouver le documentaire « Sous les masques, les visages » tourné dans les coulisses du tournage et permettant surtout d’observer la mise en place des scènes et le fonctionnement des masques et des marionnettes. Suivent un remontage des éléments retrouvés d’un ancien sujet télévisé autour de Roland Topor, ses illustrations, son travail à Hara Kiri ou sa pièce de théâtre, mais aussi ses collaborations avec Henri Xhonneux, Téléchat et Marquis, structuré autour d’une longue et passionnante interview des deux compères. Restent un court métrage documentaire tourné par Xhonneux autour de la relation père-fils des Topor, un étonnant sujet d’une émission britannique sur le revival de Sade en Europe au tournant des années 80/90 en partie grâce au film Marquis et une analyse du film signée Stéphanie Gênant. Une professeur de littérature et spécialiste de l’œuvre de Sade qui revient sur les parallèles entre le film et la vie de l’auteur, la mise en image de ses écrits et de sa réflexion sur la nature humaine. Une intervention particulièrement pertinente.
Une édition plus que complète donc, mais malheureusement limitée à seulement 1000 exemplaires et rapidement épuisée. L’éditeur a d’ores et déjà prévue une séance de rattrapage pour le 5 février avec une réédition en boitier standard.
Liste des bonus
Commentaire audio de Eric Van Beuren, Claudie Ossard et Philippe Bizot, L’origine de Téléchat (7’), La création de Marquis (15’), La restauration de Marquis (5’), Marquis et Sade (19’), « Sous les masques, les visages » : making of (2004, 32’), Le Marquis de Topor (42’), The Late Show: De Sade (18’), Topor Père et Fils (26’), Bonus caché.