MARKETA LAZAROVA
Marketa Lazarová – Tchécoslovaquie – 1967
Support : Bluray, DVD & Livre
Genre : Drame historique
Réalisateur : Frantisek Vlácil
Acteurs : Josef Kemr, Magda Vásáryová, Nada Hejna, Jaroslav Moucka, Frantisek Velecký, Karel Vasicek…
Musique : Zdenek Liska
Image : 2.35 16/9
Son : Tchèque LPCM 2.0
Sous-titres : Français
Durée : 166 minutes
Éditeur : Artus Films
Date de sortie : 7 novembre 2023
LE PITCH
En Bohême, au XIIIème siècle. Christianisme et paganisme s’affrontent. Des brigands, mené par Mikolas, aux ordres du Seigneur Bouc, attaquent une caravane de chevaliers allemands qu’ils tuent sans pitié, excepté le jeune prince Kristian, qu’ils ramènent à leur camp. C’est le début d’un affrontement violent avec Lazar, allié des Allemands, seigneur voisin et voleur, qui destine sa fille, la belle Marketa, au service de Dieu.
L’Ombre et la lumière
Consacré en 1998 meilleur film tchèque de tous les temps par un parterre reconnu de critiques et historiens du pays, Marketa Lazarova est certainement le grand œuvre du cinéaste Frantisek Vlacil. Une gigantesque fresque médiévale, fastueuse et complexe, sublime et mystique qui expose à chaque instant le génie pictural de l’artiste.
Autre cinéaste de la nouvelle vague des pays de l’est s’emparant dans les années 60-70 de la prise de conscience des autorités communistes du pouvoir de diffusion et de propagande du cinématographe, Frantisek Vlácil n’a pas forcément toujours choisi de creuser le même contexte contemporain et sociétal que ses collègues. Il faut dire qu’à leur différence, il n’est pas forcément passé par une école de cinéma, mais plutôt par un cursus d’histoire de l’art et d’architecture, et qu’il a appris les rudiments du 7ème art comme petite main puis assistant. Un certain décalage, qui l’entraine vers un maniérisme beaucoup plus prononcé et surtout des recherches esthétiques qui frappent durant ces premières années par leur beauté incommensurable, entre des plans aux compositions extrêmement fignolées, précises et équilibrées. Symétriques même souvent. Aidé ici par le directeur photo Bedrich Batka (Marqué par le diable, Les Petites chéries), la maniaquerie longuement étudiée sur des pages et des pages de storyboards, éclot dans un noir et blanc extrêmement contrasté ou la nature et les hommes semblent apparaitre comme des ombres sur la toile blanche du paysage neigeux. Des variations de noirs et de gris, des lignes épurées, une vision presque minérale de l’espace et du temps (les plans sont souvent très longs et exposés) qui va forcément chercher quelques influences du coté du génie de Tarkovski. Mais cette approche est surtout absolument brillante et éloquente pour aborder une période historique particulièrement trouble, presque barbare, où la normalisation du christianisme n’avait pas encore fait totalement la conquête des régions reculées de la Bohème.
Le ventre de l’Europe
Jugé inadaptable, la grande épopée familiale de Vladislav Vancura, se plie ainsi à une opposition entre deux visions de la vieille Europe. D’un coté une famille profondément païenne, encore pétrie de sorcellerie et de cultes anciens, et de l’autre une seconde plus proche des envahisseurs allemands et qui surtout à embrassé le culte du christ depuis longtemps. Deux grandes familles de voleurs, de brigands et de guerriers toujours promptes à en découdre. Au milieu, deux femmes, Alexandra, un peu sorcière et créature puissante et de l’autre Marketa, blonde angélique et timide promise au couvent. Et le film ne prendra pas partie pour l’un ou l’autre des modes de vie, pour un culte ou l’autre, mais bien pour les deux femmes, victimes éternelles des hommes, dont elles portent pourtant l’espoir et la descendance. Un portrait vaste à la puissance primitive qui capture avec force toute la sauvagerie et la magie inquiétante de l’époque choisie, galvanisée par les musiques hors du temps composée par Zdenek Liska (Katia et le crocodile, L’Incinérateur de cadavres…), véritable pointure des pays de l’est, qui croise ici les échos de cœurs féminins, chants grégorien, de musiques médiévales et d’accents plus expérimentaux, pour provoquer une forme de transe qui illustre autant qu’elle nourrit les passions et la folie destructrice des nombreux personnages.
Dans cette profusion de visages pas toujours reconnaissables, dans cette construction chaotique alternant les flashbacks et les flashforwards, dans sa temporalité floue et ses emportements furieux presque caméra à la main, Marketa Lazarova hypnotise, subjugue, mais peut se montrer tout aussi hermétique et parfois impénétrable dans ses symboliques et ses tourments opératiques. Une épopée souvent éblouissante mais qui se mérite et demande un vrai investissement du spectateur. Vous êtes prévenu.
Image
Grand classique du cinéma Tchèque, Marketa Lazarova y a profité d’une luxueuse restauration à partir d’un nouveau scan des négatifs originaux. L’ensemble a été nettoyé en profondeur, équilibré, stabilisé et réétalonnée pour aboutir au master HD proposé ici par Artus Films. Le résultat est tout simplement magnifique, extrayant enfin le film des vieilles, et rares, copies visibles par les plus curieux, pour aboutir à un diamant noir aux contrastes finement ciselés, aux argentiques subtiles, au grain organique et la profondeur admirable. Beau. Très beau.
Son
Bien entendu, on ne trouve ici qu’une version originale en tchèque (avec un peu d’allemand), disposé dans un LPCM 2.0 très sobre et frontal, mais toujours très clair, propre et équilibré. Les dialogues se mélangent ou semblent parfois étrangement distants (mais c’est volontaire) là où cependant la musique est toujours aussi puissamment martelée.
Interactivité
Artus Films a toujours mis en avant le cinéma populaire et européen et mis un point d’honneur à faire (re)découvrir aux amateurs français des grands classiques du cinéma en provenance des pays de l’est. Marketa Lazarova est ainsi présenté dans une édition particulièrement soignée avec digipack et fourreau cartonné, mais aussi un mini-livre particulièrement creusé par Christian Lucas. Une signature habituelle chez l’éditeur qui retrace dans ce dernier la carrière et la filmographie de Frantisek Valcil, de ses premiers grands succès jusqu’à sa lente chute dans les affres de l’alcool et propose aussi une analyse et une aide de visionnage bienvenue au film en présence. Le même se fend d’ailleurs aussi sur les disques Bluray et DVD d’une présentation vidéo du film, y officiant un résumé très efficace de son texte, bourré là aussi d’informations.
L’édition se conclue sur un petit documentaire de 89, tourné en partie dans l’atelier du réalisateur et évoquant ses méthodes de travail, son regard porté sur le cinéma et bien entendu le tournage de certains de ses plus grands succès dont bien entendu Marketa Lazarova. Une rencontre forcément très intéressante.
Liste des bonus
Le livre « Frantisek Vlácil : L’Esthète des contrastes » par Christian Lucas (62 pages), « La Fille de Lazare » : présentation du film par Christian Lucas (23’), « Dans la toile du temps » : documentaire avec Frantisek Vlácil (1989, 21’), Diaporama d’affiches et de photos (1’).