MAIN BASSE SUR LA VILLE
Le mani sulla città – Italie – 1963
Support : BluRay & DVD
Genre : Drame
Réalisateur : Francesco Rosi
Acteurs : Rod Steiger, Salvo Randone, Guido Alberti, Marcello Cannavale, Dante Di Pinto…
Musique : Piero Piccioni
Durée : 101 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Italien et français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Editeur : Rimini Editions
Date de sortie : 7 février 2024
LE PITCH
Edoardo Nottola est un entrepreneur et membre du conseil municipal de Naples. Il s’est enrichi grâce à la spéculation immobilière et à la construction d’édifices à bas coût. A l’approche des élections municipales, il cherche à élargir le nombre de ses soutiens afin d’avoir une plus grande marge de manœuvre. Mais un immeuble vétuste s’écroule et un scandale éclate devant le nombre de morts et de blessés, tous des pauvres gens.
Ville à vendre
Plus de soixante ans après sa sortie, l’un des monuments du cinéma politique italien, Main basse sur la ville, refait surface dans une sublime édition concoctée par Rimini Editions. Présenté dans une version restaurée, le film « enquête » de Francesco Rosi demeure toujours d’actualité et n’a rien perdu de sa puissance.
Après avoir traité du problème mafieux dans Le Défi en 1958, retiré le voile sur la difficile émigration des napolitains avec Profession Magliari en 1959 ou encore reconstitué le parcours de Salvatore Giuliano en 1961, Francesco Rosi s’attaque à la spéculation immobilière pour sa quatrième réalisation. L’ancien assistant de Luchino Visconti peut à nouveau déployer ses talents d’analyse et d’observation avec ce film tiré d’un véritable fait divers, et qui fait écho au contexte d’alors marqué par le miracle économique du Boom des années 1960 qui virent les constructions immobilières se multiplier en même temps que les fortunes de leurs commanditaires aux mains plus ou moins propres…
Véritable film de gangsters… sans gangsters (!), Main basse sur la ville s’attache ainsi à démontrer les collusions entre les promoteurs immobiliers et les hommes politiques, voire même la confusion puisque le personnage central du film, Nottola idéalement incarné par Rod Steiger, cumule les fonctions de conseiller municipal et de promoteur… Dès la première séquence Rosi explicite et dénonce ainsi le « théorème » qui fera long cours dans les municipalités italiennes (et pas seulement) : un promoteur achète un lot de terre sans valeur, la ville le place dans son plan d’urbanisme, le dote des services publics nécessaires…et le promoteur peut ainsi le revendre au prix fort ! Ce stratagème sera également parfaitement mis en valeur dans l’excellent Confessions d’un commissaire… réalisé par Damiano Damiani en 1971, qui à bien des égards peut être vu comme un disciple du cinéma politique et engagé de Rosi.
Journal napolitain
Au vu des récents effondrements d’immeubles vétustes, par exemple à Marseille, ou encore de la toujours aussi amère situation napolitaine qui a vu la Camorra s’adjuger une partie de la puissance immobilière (fait dénoncé dans le livre brûlant de Roberto Saviano Gomorra en 2006), Main basse sur la ville remplit la gageure d’être encore et toujours d’actualité, malheureusement.
Entouré d’une formidable équipe dans laquelle on retrouve le propre frère de Rosi qui était architecte, son ami et scénariste napolitain Raffaelle La Capria, le compositeur Piero Piccioni qui délivre une BO sombre nous plongeant dans le film Noir, le réalisateur put également compter sur de superbes acteurs tel Steiger impressionnant en fossoyeur plus humain qu’il n’y paraît. Le grand Salvo Randone, acteur fétiche d’Elio Petri autre important réalisateur politique italien, et le local de l’étape Guido Alberti, campent à merveille des politiciens sans cesse traversés par les compromis et les compromissions… Fidèle à ses principes de réalisme, Rosi composera l’essentiel de son casting d’acteurs non-professionnels voir de simples habitants comme dans les séquences autour de l’effondrement de l’immeuble au début du film.
Né à Naples, Rosi gardera durant toute sa carrière un regard lucide sur sa ville et ses habitants. Outre Le défi, la cité de Campanie se retrouvera entre autres également dans Trois frères, Lucky Luciano ou encore Diaro napoletano (littéralement journal napolitain). Dans ce dernier film documentaire, le réalisateur tirait une sorte de bilan de Main basse sur la ville, trente an plus tard, au travers de la projection du film et du débat qui s’ensuit. L’occasion de dresser le constat implacable d’une ville en pleine dégradation où la Mafia et la corruption règnent toujours en maîtres.
Film phare de son auteur et jalon essentiel dans la constitution du cinéma politique à l’italienne, Main basse sur la ville reste toujours aussi passionnant aussi bien sur le fond que sur la forme où la maestria à la photographie du duo Pasquale De Santis-Gianni Di Venanzo fait merveille, ainsi que le sens du découpage du monteur Mario Serandrei, collaborateur fidèle de Rosi et Visconti.
Image
La version restaurée 4K présentée ici surclasse totalement la déjà très ancienne édition DVD des Éditions Montparnasse, sortie en 2008. Les cadres s’avèrent désormais parfaitement stables, les photogrammes ont été parfaitement nettoyés, et l’image apparaît dorénavant plus claire avec un arrière-plan riche en détails. Une restauration de qualité.
Son
Proposées en Mono les deux versions proposées (originale et française) assurent parfaitement. Les voix sont claires et les cuivres menaçants de Piero Piccioni inondent nos oreilles et profitent d’un mixage équilibré.
Interactivité
Rimini nous propose une magnifique édition Mediabook avec un livret de 80 pages où on retrouve les plumes du spécialiste Jean A.Gili ainsi que celles d’Hacène Belmessous et Patricia Barsanti. En plus des belles photos d’époque, l’ouvrage se révèle très riche revenant aussi bien sur la carrière de Rosi, son caractère « napolitain », le contexte de l’œuvre, la ville de Naples…
Dédiée à Michel Ciment, décédé le 13 novembre 2023, l’édition propose un bonus aussi intéressant qu’émouvant puisqu’il s’agit de l’une des dernières interviews du grand critique de Positif, qui avait d’ailleurs écrit un livre sur Rosi en 1976, Le dossier Rosi. Particulièrement alerte, il revient sur le « réalisme critique » de Rosi et différencie le film des films-dossiers de Rosi comme Salvatore Giuliano, L’Affaire Mattei ou Lucky Luciano qui ne respectaient aucune trame chronologique. Il revient aussi sur l’amour de Rosi pour les films noirs américains qui le firent découvrir Rod Steiger que Ciment compare à une « sorte de Citizen Kane » dans ce rôle de promoteur immobilier omniprésent et omnipotent.
Enfin, deux spécialistes du cinéma italien, le critique Frédéric Mercier et la professeure Paola Palma, reviennent durant quarante minutes sur le film et tous ses nombreux enjeux. Un entretien passionnant à suivre et riche en informations. En somme, une sublime édition pour un chef d’œuvre du Septième Art magnifiquement restauré !
Liste des bonus
Le livre « À propos de Main basse sur la ville » signé Jean Gili, historien du cinéma, Hacène Belmessous, écrivain et chercheur, Patricia Barsanti, présidente de la Société Cinématographique Lyre (80 pages), Conversation entre Paola Palma (maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’Université de Caen Normandie) et Frédéric Mercier (critique de cinéma pour Transfuge) (39’), Entretien avec Michel Ciment : la contre-enquête de Francesco Rosi (29’) (enregistré à Paris le 19 juin 2023).