LUNETTES NOIRES
Occhiali neri – Italie, France – 2022
Support : Bluray
Genre : Thriller
Réalisateur : Dario Argento
Acteurs : Ilenia Pastorelli, Asia Argento, Andrea Gherpelli, Mario Pirrello, Maria Rosaria Russo…
Musique : Arnaud Rebotini
Image : 2.35 16/9
Son : Italien et français DTS HD Master Audio 5.1, Audiodescription
Sous-titres : Français
Durée : 92 minutes
Editeur : Extralucid Films
Date de sortie : 31 janvier 2024
LE PITCH
Une prostituée italienne, qu’un tueur en série a rendue aveugle, recueille un jeune Chinois, dont la vie a également été détruite par les actions du maniaque. Il devient son allié et son guide, dans une lutte terrifiante pour se débarrasser définitivement de l’assassin.
Les Yeux grands fermés
Annoncé comme le (énième ?) grand retour de Dario Argento, Lunettes noires et son aura de retour aux sources (un aveugle, un enfant, un tueur comme dans Le Chat à neuf queues) ne sera jamais l’explosion virtuose attendue par beaucoup. Plus modeste, plus précis, plus court même, l’essai est un petit giallo assez élégant où la poésie macabre se fait plus diffuse, et ce n’est pas plus mal.
Dix ans après l’embarrassant Dracula 3D, point d’orgue d’années 2000 particulièrement difficiles pour l’ancien Maestro italien marqué par une succession d’essais bancales voir catastrophiques (Mother of Tears, Giallo…), plus personne n’imaginait vraiment que Dario Argento reprendrait vraiment la caméra. Lui non plus : 80 ans au compteur et surtout un statut de dernier survivant de l’âge d’or du cinéma populaire italien dont on ne cesse de célébrer le statut déchu de festival en expositions évènements. Pourtant il suffit qu’Asia Argento remette la main par hasard sur un scénario abandonné en 2002 pour que l’envie revienne (forcément), même si cela doit se faire par le biais d’une production bien moins confortable qu’autrefois. Même si finalement le film ne devra sortir qu’en DTV ou via les plateformes de streaming en dehors de l’Italie. D’autant plus injuste que cela faisait effectivement bien longtemps que l’on n’avait pas senti le cinéaste aussi investi dans son dispositif. Ici on ne cherche plus les quelques séquences inspirées ou les plans bien construits, tout le film retrouve la minutie de son auteur et son atmosphère reste cohérente de bout en bout, glissant admirablement de visions d’une Rome désertique, glacée malgré la lumière crue, presque de fin du monde, vers une périphérie où la nuit omniprésente et la forêt toujours inquiétante, revêt à nouveau les apparats du conte effrayant.
Le voir pour le croire
Peu importe que le tueur soit connu presque dès les premières minutes, que les scènes de meurtres soient très rares et relativement mécaniques, l’essence de Lunettes noires repose dans cette chasse entre une prostituée devenue aveugle et devant reconquérir son espace, et un client rejeté (en l’occurrence pour son odeur) qui se transforme en tueur de femmes, en ogre circulant en van blanc, en grand méchant loup moderne. Le scénario par lui-même est parfois un peu trop simpliste et ne réussit effectivement jamais totalement à créer la symbiose voulu entre cette Diana (Ilenia Pastorelli vue dans On l’appelle Jeeg Robot), créature au physique décalé et hypersexualisé, et le petit garçon d’origine chinoise qui a perdu lui ses parents dans le même accident de voiture. L’émotion humaine n’a jamais vraiment été le fort de Dario Argento, et pourtant il construit un personnage féminin beaucoup plus fort et solide que d’habitude, diminuée par sa cécité, mais qui va tout de même réussir à faire face à un mal / mâle absolu. L’auteur réussit donc ici enfin à véritablement marier des questions purement contemporaines, et même à se sortir des limites esthétiques d’un tournage numérique, avec sa vision d’origine du giallo, son style et un cinémascope souvent très habilement utilisé, en particulier pour isoler le personnage dans le cadre.
Il retrouve surtout cette étrangeté, ce réalisme fantastique d’autrefois, admirablement accompagné par le compositeur français Arnaud Rebotini et sa dark techno qui ferait presque oublier les Goblin, et superbement inauguré par une première séquence d’éclipse. Un phénomène naturel filmé en plein cœur de la ville, mais qui résonne à l’écran surtout comme un phénomène plus primitif, annonçant autant l’obscurité qui va envahir le personnage central que l’avènement d’une force ténébreuse. Effectivement cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été aussi inspiré le Dario.
Image
Les temps changent et Dario Argento a donc été obligé de se plier ici à la modernité du tournage en numérique, bien moins couteux que l’utilisation de pellicule. Un film capturé sur Arri Alexa Mini donc, accompagné de ses limitations techniques évidentes, ici particulièrement visibles durant les scènes nocturnes avec des noirs qui s’aplatissent, des contours qui « paquettent » et l’apparition d’effets de banding. Rien à voir avec le disque lui-même qui fait de son mieux pour préserver une définition solide et des contrastes marqués, et qui surtout souligne dans toute les scènes diurnes le travail très intéressant, étrangement froid, parfois presque aveuglant, de la photographie.
Son
Les pistes DTS HD Master Audio 5.1 assurent une très belle présence aux compositions d’Arnaud Rebotini, organiquement intégrées dans la mise en scène d’Argento, avec même parfois une emphase qui rappelle les belles heures des Goblin. La spatialisation est discrète mais bien présente, avec quelques sensations urbaines à la clef, et les dialogues restent toujours clairs et équilibrés.
Interactivité
Dernier coffret (pour le moment ?) dédié àl’œuvre d’Argento pour Extralucid, avec une nouvelle fois un très beau packaging comprenant le boitier scanavo, à jaquette réversible, et un livret composé ici certes d’un long article hérité des pages de Mad Movies, mais aussi de notes de productions plus classiques.
Sur le disque lui-même on retrouve un contenu encore une fois assez généreux (et surtout bien plus que les éditions italiennes ou américaines) avec pour commencer une nouvelle rencontre avec le cinéaste qui se remémore l’annulation du premier tournage et la redécouverte du scénario par Asia Argento qui le poussa à relancer la production. Il y évoque aussi le tournage du Vortex de Gaspar Noé durant lequel il préparait déjà ce Lunettes Noires qui semble lui tenir particulièrement à cœur. On découvre aussi une interview des deux productrices italiennes qui discutent du statut de coproduction franco-italienne, de leur collaboration avec Argento et de la sortie tout de même assez compliquée du film en Italie, suivi d’un court entretien avec l’actrice principale (investie) et plus étendu avec le compositeur Arnaud Rebotini qui ne cache pas sa fascination pour le travail de Goblin et sa petite fierté d’avoir été choisi pour ce film.
Impossible une nouvelle fois de passer à coté de l’analyse du film signé par un Jean-Baptiste Thoret toujours aussi inspiré dès qu’il est question d’Argento, soulignant les liens avec ses anciens films et ses thèmes récurrents, mais s’efforçant surtout de révéler l’identité particulière du métrage, son atmosphère de conte et les qualités de sa mise en scène.
L’édition s’achève sur le making of promo et la featurette / bande annonce du même acabit.
Liste des bonus
Un livret (48 pages), Entretien inédit avec Dario Argento (14’)
Analyse du film par Jean-Baptiste Thoret (21’), Rencontre avec les productrices du film (13’), Discussion avec Ilenia Pastorelli, actrice (6’), Entretien avec Arnaud Rebotini, auteur-compositeur (11’), Making-of (5’), Promo reel (2’), Bande-annonce.