LITTLE ODESSA
États-Unis – 1994
Support : Bluray
Genre : Thriller, Drame
Réalisateur : James Gray
Acteurs : Tim Roth, Edward Furlong, Paul Guilfoyle, Vanessa Redgrave, Moira Kelly
Musique : Dana Sano
Image : 2.35 16/9
Son : DTS HD Master Audio 5.1 Anglais et Français
Sous-titres : Français
Durée : 98 minutes
Éditeur : Metropolitan
Date de sortie : 3 janvier 2023
LE PITCH
Tueur à gages, Joshua Shapira accepte une mission qui le ramène à Little Odessa, le quartier de son enfance. Des retrouvailles douloureuses : son père refuse de parler à ce fils assassin, et sa mère est en train de mourir d’une tumeur. Reuben, son jeune frère qui rêve de quitter le quartier, le revoit en cachette. Bientôt, la rumeur de son départ se répand…
Seconde génération
Consacré par un Lion d’argent à la Mostra de Venise et un prix de la critique à Deauville, Little Odessa était pourtant le premier long métrage de James Gray futur auteur de The Yards, La Nuit nous appartient ou The Lost City of Z. Une reconnaissance cependant on ne peut plus logique tant ses talents de cinéaste y étaient déjà d’une évidence frappante.
Les points d’équilibre d’un film naissent parfois des plus grands hasards. Ainsi aussi étonnant que cela puisse paraitre Little Odessa ne devait pas se tourner au départ sous la neige, mais à la suite de plusieurs reports du tournage et confronté à un hivers particulièrement rude frappant New York, le jeune James Gray du alors s’adapter, se rendant rapidement compte ce que ces instances météorologiques apportaient à son film. La neige n’y est pas seulement un élément du décor, mais bien une omniprésence recouvrant les arrière-plans, effaçant les lignes, les bâtiments, les rues, transformant littéralement la géographie newyorkaise, plus « russe » que jamais, tout en étouffant naturellement ses sons et ses émotions. Une blancheur froide qui glace et étouffe, contrastant cruellement avec les intérieurs sombres mais tout aussi feutrées, qui servent de cadre au portrait d’une famille de descendant d’immigré juifs russes (écho aux racines du cinéaste), écrasée par le destin et la douleur. Le premier fils banni pour être devenu un tueur pour la mafia locale ; la mère torturée par une tumeur au cerveau qui ne lui laisse que peu de temps encore ; le père rude, intransigeant et aigri qui s’octroie le poids de l’injustice divine et enfin le plus jeune, Reuben, adolescent paumé, le regard presque vide qui espère encore un retour à l’État de grâce.
La chute de la maison Russie
Un cocon éventré, qui ne tient plus qu’à un fil, qui donne à Little Odessa des airs de tragédie grec, de grand drame shakespearien sur fond de description documentée et ultra réaliste des réseaux criminels du quartier. S’inscrivant par cela, et l’utilisation de clairs-obscures sculptant, dans la vague neo noir des années 90, James Gray en refuse cependant tous les excès de violence (ici toujours froide et brusque), toute stylisation excessivement visible (il préfère la forme figée héritée de la photo ou de la peinture), toute accumulation de références cinéphiliques, préférant amener par une certaine économie, une langueur et une propension étonnante à la contemplation à une certaine école européenne, et en particulier à la douloureuse esthétique d’Antonio Visconti. Le réalisateur ne bâcle certainement pas les passages les plus « polar » du film, offrant un final incroyablement tendu, orchestrant les exécutions sommaires perpétrée par Joshua comme des jaillissements expressionnistes, mais le cœur du film est bien évidement dans ses silences, dans ses regards les plus grave, dans cette fatigue hypnotisante qui semble constamment meurtrir et détruire la famille Shapira. Une œuvre épurée, sourde, totalement sublimée par les interprétations intériorisées de Tim Roth, Edward Furlong ou Vanessa Redgrave, qui s’offrent au passage le dernier, et presque plus beau plan du film. Une chute de montage retrouvée et recollée, un instant volé hors du temps où ces trois fantômes font renaitre une tendresse que l’on aurait pu croire impossible au sein de ce balai funèbre et inexorable.
Si James Gray, plus avisé et expérimenté, ne cessera de peaufiner ses effets, sa forme et son propos dans ses œuvres à venir, il nait ici en tant que cinéaste de la plus belle manière qui soit : avec intensité, élégance et sincérité.
Image
Englué dans des histoires de droits, Little Odessa est un film qui est finalement resté rare. Pourtant Metropolitan espérait l’éditer en Bluray depuis de nombreuses années, peinant à trouver un master convainquant et suffisant. Seul Master HD existant donc, et fournit par New Line, celui-ci est à priori hérité d’un nouveau scan d’un interpositif, obligeant alors les restaurateurs à composer avec les sous-titres anglais incrustés sur l’images, les effets de transition difficilement retouchables et un grain plus présent qu’il ne le devrait. Cela ne les a pas bien entendu empêché de nettoyer considérablement les cadres, d’en évacuer les habituelles scories du temps et autres taches disgracieuses Exclusivité mondiale (et aucune annonce n’est là pour l’instant pour changer cet état de fait), le Bluray en présence n’est donc pas parfait et laisse affleurer tout du long une définition trop douce, des arrières plans sombres floconnant ou des lumières trop vite saturées, mais reste très appréciables dans sa restitution, enfin, d’une colorisation équilibrée et naturelle, et d’un piqué qui dans les nombreux gros plans reprend ses droits. Un très bel effort.
Son
Le film est proposé aussi bien en anglais qu’en français en DTS HD Master Audio 5.1. Quelques travaux sur les ambiances, de rares effets d’atmosphères sur les arrières et de légères dynamiques latérales dans les dialogues, l’expérience de dénature par la rudesse du film et lui donner même un petit surplus de subjectivité bienvenue. Comme souvent on notera une restitution beaucoup plus convaincante en anglais, avec des voix atténuées mais toujours perceptibles, là où le doublage a tendance à donner un peu trop d’importance aux voix.
Interactivité
Sortie inespérée donc pour un film encore invisible en HD en dehors de notre pays, présenté sous la forme d’un digipack cartonné sobre et élégant contenant sur les volets intérieur un texte de présentation très réussi, entre analyses et enthousiasme, signé Nicolas Rioult. C’est le même qui s’est d’ailleurs chargé de l’interview inédite du réalisateur glissée sur le disque. Une rencontre avec un James Gray qui regarde son premier film presque comme une erreur de jeunesse, s’agaçant de certains tics et de certaines postures de son homologue de 25 ans. Beaucoup d’humilité et de tendresse dans le propos, il se remémore sa rencontre avec les acteurs, le rapport à la peinture, l’importance d’un montage qui selon lui aurait sauvé le film, l’arrivée de la neige et ses souvenirs des premières projections et de la réception en festival. On y découvre aussi sa fascination pour Fire Walks With Me de David Lynch (qui lui donna envie de collaborer avec l’actrice Moira Kelly) et son amitié avec Claude Chabrol. Simple, toujours intéressant et donc forcément un poil trop court.
Liste des bonus
Interview exclusive de James Gray (27′)