L’INCINÉRATEUR DE CADAVRES

Spalovac mrtvol– Tchécoslovaquie – 1969
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Juraj Herz
Acteurs : Rudolf Hrusinsky, Vlasta Chramostava, Milos Vognic…
Musique : Zdenek Liska
Durée : 100 minutes
Image : 1.66 16/9
Son : Tchèque DTS-HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Editeur : Potemkine Films
Date de sortie : 19 février 2025
LE PITCH
Constatant que l’Allemagne se prépare à envahir la Tchécoslovaquie et persuadé d’avoir du sang germanique, Karl Kopfrkingl, un employé modèle du four crématoire de Prague, se hâte de mettre en application la théorie raciale des nazis, en commençant par sa femme et ses enfants qu’il soupçonne d’avoir du sang juif…
En quête d’identité
Comment parler de L’incinérateur de cadavres ? Le film est l’un de ces ovnis cinématographiques, une œuvre inclassable aussi hermétique que fascinante. Un mixte entre l’horreur psychologique et la comédie noire satirique.
Fleuron de la nouvelle vague Tchécoslovaque emmenée par Milos Forman, Juarj Herz n’a pas la chance de s’expatrier et de mener la vie de son illustre collègue. Sa carrière se fait principalement dans son pays d’origine où il navigue avec brio entre les desiderata du parti et ses opinions personnelles. Inventif, sa pellicule imprime les images subversives du cinéaste tout en parlant du malaise de son pays en mal de liberté. Son Incinérateur de cadavres tourné en 1969 au lendemain du Printemps de Prague a tout du film déconcertant. L’histoire suit un employé tchèque au sein du four crématoire de Prague où il travaille. Il choisit d’y mettre en pratique l’idéologie nazie qui le fascine en commençant l’extermination par sa propre femme et son fils qu’il soupçonne d’être juifs. Cette idée anticonformiste a germé dans la tête de Ladislav Fuks, l’auteur du livre. Si Herz a jeté son dévolu sur cette histoire, c’est tout simplement parce qu’il est tombé amoureux du titre du livre. Ce juif athée se met alors en tête de l’adapter avec dans le rôle principal Rudolph Hrusinsky, acteur qu’il a admiré beaucoup avant sa déportation. Pas emballé par l’approche de son metteur en scène qui craint que l’abus de gros plans le prive de son jeu, le comédien finit par se laisser convaincre et il a bien fait. Il donne corps à son personnage en lui conférant cet air singulier laissant toute trace de sentiment de côté. Il est de tous les plans et sa présence s’impose d’elle-même.
Autopsie
Mais l’approche de Juraj Herz transcende son sujet laissant de côté sa thématique provocante pour questionner sur la folie et l’identité. Le cinéaste nous plonge dans le subconscient de son protagoniste. Sa voix of résonne dans nos têtes pendant que son regard se fait face caméra. Le cinéaste cherche à nous impliquer dans sa folie. Glaçant, le film ne cesse ne nous interpeller par le parcours de son personnage dont on ne connaît pas l’issue. On se retrouve rapidement pris en otage dans ce cauchemar éveillé. Jusqu’où va-t-il aller ? Le travail de mise en scène d’Herz est extrêmement travaillé. Ses plans de coupes voyagent d’une scène à l’autre d’une façon non linéaire. On pense forcément à David Lynch par son univers onirique, à Sergei Eisenstein pour son art du montage et Andrei Tarkovski par son sens du cadrage, deux grands formalistes des pays de l’Est. Le film doit également beaucoup à Stanislav Milota, le directeur de la photo, qui magnifie les idées de son metteur en scène à l’aide de focales et de cadrages imposant un noir et blanc des plus bienvenus. Son absence de couleur accentue le propos du film qui se métamorphose alors en poème funèbre pour cet incinérateur qui pense libérer les âmes par le feu afin de les affranchir de la vie.
Juarj Herz frappe fort pour transcender un sujet corrosif en quête spirituelle pour son personnage. Expérimental, L’incinérateur de cadavre parle d’un pays écartelé entre des libertés bridées et des privations autorisées ; une nation en mal d’identité. Un film charnière à découvrir, une expérience cinématographique à appréhender.
Image
Restauré en 2019 à partir du négatif original, L’Incinérateur de cadavres joue merveilleusement sur ses nuances de noir et de gris (le film étant tourné en noir et blanc). La luminosité joue très bien sur les contrastes avec une belle résolution fignolée dans ses piquets. Le résultat permet de ne pas laisser de côté le grain original qui aurait pu être lissé. Une copie qui donne à la pellicule un beau coup de jeune.
Son
Le film garde son 2.0 mono d’origine. Comme pour l’image le travail effectué est limpide avec un effort constant sur la clarté des dialogues. Lorsque la musique prend le dessus, elle ne déséquilibre jamais la balance audio. Le résultat se manifeste par une bonne gestion acoustique, fidèle aux standards de son époque.
Interactivité
Quoi de mieux pour mieux découvrir le cinéma de Juraj Herz, que de se plonger dans son premier court-métrage, Brutalité à recourir, proposé en bonus ici. Déjà d’une belle maîtrise, on y trouve l’univers et le style particulier de son auteur. Son essai peut faire penser au futur cinéma d’Emir Kusturica. L’interactivité s’agrémente d’un module réalisé pour l’exploitation allemande du film en DVD sur les crematoriums où le cinéaste a tourné.
Un autre focus intéressant nous permet également de nous plonger dans l’histoire politique et la nouvelle vague tchécoslovaque où le pays est passé de « la normalisation au formatage communiste » comme nous dit Christian Paigneau, spécialiste du sujet. L’édition se complète enfin par un interview du metteur en scène donnée en 2005 ainsi que sur un retour sur sa carrière, passant en revue sa jeunesse, les camps de concentration qu’il a traversé jusqu’à son parcours de cinéaste. Si les intervenants manquent de dynamisme, leurs éclairages sont les bienvenus.
Liste des bonus
« Brutalités récupérées », 1er court métrage de Juraj Herz 1965, (32’), « This Way to the Cooling Chamber » : Documentaire de Daniel Bird (22’), Interview de Juraj Herz, Stanislav Milota et Vlasta Chramostová (16’), « Histoire, politique et Nouvelle Vague tchécoslovaque » par Christian Paigneau, réalisateur de « Un contre de fées tchécoslovaques » (38’), « Juraj Herz et L’Incinérateur de cadavres » par Christian Paigneau et Garance Fromont, chercheuse et enseignante en cinéma spécialiste de la Nouvelle Vague tchécoslovaque (55’), Analyse esthétique par Garance Fromont (10’).