L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE
The Man Who Shot Liberty Valance – États-Unis – 1962
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Western
Réalisateur : John Ford
Acteurs : John Wayne, James Stewart, Vera Miles, Lee Marvin, Edmond O’ Brien, Andy Devine, …
Musique : Cyril J. Mockridge
Durée : 123 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais Dolby True HD 5.1, Dolby Digital 5.1 et 2.0 Mono, Français, Allemand, Italien 2.0 Mono
Sous-titres : Français, anglais, italien, allemand…
Éditeur : Paramount
Date de sortie : 24 mai 2022
LE PITCH
Après des années d’absence, Ransom Stoddard, sénateur âgé et reconnu, assiste avec sa femme Hallie à l’enterrement de son vieil ami, Tom Doniphon, dans la petite ville de Shinbone. Intrigués, les journalistes locaux interrogent l’homme politique sur son passé, …
Il était (une dernière fois) dans l’ouest
A 67 ans passés et avec une économie de moyens forçant le respect, John Ford règle ses comptes avec le western et sa mythologie brutale. Chef d’œuvre crépusculaire et politique, L’homme qui tua Liberty Valance malmène l’image légendaire du Duke et de Jimmy Stewart, tous deux impeccables, et offre à un Lee Marvin sidérant de cruauté le plus grand rôle de sa carrière.
Vibrant plaidoyer pour la reconnaissance et la dignité des tribus indiennes d’Amérique du Nord, Les Cheyennes est officiellement le dernier western réalisé par John Ford. Pourtant, réalisé deux anx plus tôt, L’homme qui tua Liberty Valance sonne déjà comme des adieux au genre auquel le vétéran d’origine irlandaise a tant donné. Tourné en studio et en noir et blanc alors que le cinéma s’est majoritairement tourné vers les couleurs les plus éclatantes qui soient depuis plusieurs années (de nombreuses explications ont été fournies au fil du temps quant à ce choix esthétique et toutes se valent), la rencontre au sommet entre John Wayne et James Stewart aborde le point de bascule entre l’Ouest des diligences, des hors-la-loi et des duels au Colt et l’émergence d’Etats civilisés où les villes se développent à toute vitesse sous l’impulsion du chemin de fer et des nouveaux pouvoirs politiques.
Le premier quart d’heure du film annonce la couleur (ou pas, vous l’aurez bien compris) et multiplie les symboles funèbres. De retour dans la petite ville de Shinbone où s’est construite sa notoriété et sa stature d’homme d’Etat, le sénateur Stoddard ne reconnaît presque plus rien. Le marshall Link Appleyard (le fabuleux Andy Devine) ne porte plus son étoile de sheriff, il y a de nouveaux bâtiments partout et les journalistes de la feuille de chou locale qui harcèlent de questions le vieux sénateur ne savent même pas qui est l’homme dont la mort a pu le motiver à se détourner de ses obligations. Et cet homme, c’est Tom Doniphon, alias John Wayne, le Duke, la légende nom d’une pipe ! Et de savoir que l’immense carcasse du bonhomme repose dans une modeste boîte en pin au fond de la boutique d’un menuisier, sans ses bottes, ni sa ceinture, ni ses éperons, le constat s’impose de lui-même : le western est mort, les amis ! Ford en rajoute encore une couche avant de lancer le long flashback qui occupe les ¾ de la durée de L’homme qui tua Liberty Valance. Dans un autre coin de l’échoppe du même menuisier, les restes d’une diligence prend la poussière, relique oubliée de tous, sauf de Stoddard. Puisque c’est précisément dans ce véhicule d’un autre temps qu’il eut sa première altercation (nocturne) avec le terrifiant Liberty Valance, marquant ainsi le début de son histoire.
Regarde les hommes tomber
Dans son récit, John Ford insiste, avec l’humanisme et l’idéalisme qui le caractérise depuis toujours, sur les deux points clés qui marquent, selon lui, le passage de l’anarchie et de loi du Talion à la civilisation et à l’émancipation : l’éducation et l’usage de la démocratie par le vote. Découvrant que la jeune Hallie (Vera Miles, au jeu d’une infinie délicatesse) et ses parents, des immigrés suédois tenant le restaurant de Shinbone, ne savent ni lire, ni écrire, Stoddard met sur pied une école de fortune où il enseigne non seulement l’alphabet mais aussi la Déclaration d’indépendance, texte fondateur des Etats-Unis d’Amérique. Ce qui l’amène, par ricochet, à mettre des élections en place pour contrecarrer le pouvoir des grands propriétaires terriens qui retardent l’arrivée du chemin de fer et oppressent les petits exploitants.
Pour autant, ce ne sont pas l’éloquence et la détermination de Stoddard qui le mènent au succès et au respect mais le meurtre et le mensonge. Et c’est là un vrai pied de nez à la mythologie du Rêve Américain telle qu’on a pu nous le vendre des décennies durant. Ce qui implique un vrai courage de la part de James Stewart et John Wayne, deux « héros » dépeint sous un jour nouveau, pas forcément reluisant pour leur aura. Féminisé, affaibli, l’acteur fétiche de Frank Capra subit humiliations après humiliations, sans chapeau et affublé d’un tablier pour faire la plonge et servir leur repas aux goinfres alcoolisés de Shinbone. Quant au Duke, il a beau se vanter d’être l’homme « le plus dur » au sud du territoire, il se révèle incapable d’avouer son amour pour Hallie ou de mettre un terme aux agissements de Liberty Valance et de sa bande de vauriens autrement qu’en l’abattant de loin et au fusil depuis une ruelle sombre et non les yeux dans les yeux. Et la mort de Liberty Valance d’apporter la renommée à Stoddard, malentendu transformé en petit mensonge entre amis. Pas de quoi se vanter en réalité. Le vrai visage de l’Ouest, en un sens, c’est celui de Liberty Valance, dont le patronyme (Liberté et Valeur ou Vaillance, peut-on y reconnaître) suinte d’une ironie cruelle. Lee Marvin lui donne la personnalité d’un chien enragé dont les explosions de violence impressionnent durablement. Qu’il passe à tabac James Stewart au début du film où le personnage de journaliste ivrogne joué par Edmond O’Brien un peu plus tard, le regard de Marvin irradie à ce point le meurtre et la folie que même le Joe Pesci des Affranchis et de Casino y repenseraient à deux fois avant de venir lui chier dans les bottes.
Science du cadrage et de la direction d’acteurs, équilibre sidérant entre optimisme et pessimisme, progressisme et nostalgie, humour et drame, L’homme qui tua Liberty Valance nous offre avec humilité la quintessence du cinéma de John Ford et nous amène à réfléchir sur la réalité qui se cache derrière les récits qui nous inspirent et nous poussent à changer le monde dans lequel nous vivons.
Image
Respectueuse du grain argentique, de la profondeur des noirs et de contrastes très étudiés, la restauration a amplement mérité son passage à l’UHD et y gagne en textures et en naturel. Du beau travail mais qui n’atteint pourtant pas la perfection du transfert 4K de La Vie est belle de Frank Capra auquel on serait bien tenté de le comparer puisque issu du même studio Paramount. Une poignée de plans souffrent en effet d’un excès ou d’un défaut de luminosité avec une baisse bien réelle de la définition à la clé. Bon, c’est vrai, on chipote. Mais il n’est jamais inutile de rester vigilant et de donner envie à nos éditeurs de se surpasser encore et toujours.
Son
Comme pour le blu-ray de 2012, la version française d’origine est encore une fois absente, nous privant du doublage assuré par Raymond Loyer, la voix « historique » de John Wayne ; Un oubli venant gâcher la fête pourtant assurée par un tiercé de pistes en vo impeccable. Comme dirait l’ami Abitbol : monde de merde !
Interactivité
Réservée à la galette blu-ray, elle propose une présentation concise et enthousiaste du critique Leonard Maltin, des scènes commentées par Lee Marvin, John Ford et James Stewart dont les propos sont issus d’enregistrements effectués par le petit-fils du réalisateur il y a près d’un demi-siècle et d’un making-of chapitré très complet où se mêlent analyses et anecdotes. Du tout bon rendu malheureusement indigeste par une navigation fastidieuse qui interdit de les visionner en continu et nous force à revenir vers le menu (et avec les temps de chargement qui vont avec) pour sélectionner le segment suivant. Calme, patience et assiduité sont plus que nécessaires pour aller jusqu’au bout.
Liste des bonus
Filmaker Focus : Leonard Maltin à propos du film (2022, 7 minutes, VOST) / Bande-annonce cinéma originale / 7 scènes commentées par Dan Ford avec extraits d’archives avec John Ford et Lee Marvin (24 minutes, VOST) / « The Size of Legends, the Soul of Myth » : making of rétrospectif en 7 parties (2009, 51 minutes, VOST).