L’ÉTRANGLEUR
Lady of Burlesque Etats-Unis – 1943
Support : DVD
Genre : Comédie / Thriller
Réalisateur : William A. Wellman
Acteurs : Barbara Stanwyck, Michael O’Shea, Gloria Dickson, Marion Martin
Musique : Arthur Lange
Image : 1.37 4/3
Son : Anglais Mono
Sous-titres : Français
Durée : 86 minutes
Éditeur : Artus Films
Date de sortie : 06 décembre 2022
LE PITCH
Nouvelle venue dans la troupe burlesque d’un ancien opéra et propulsée d’emblée meneuse de revue, Dixie se fait une ennemie de la cantatrice maison et prend vite connaissance des nombreux drames personnels des uns et des autres. Un soir, dans la panique d’une descente de police, quelqu’un fait mine de l’étrangler dans la pénombre avant de s’enfuir. Le lendemain, sa rivale est retrouvée morte dans les coulisses.
éloge de la scène
William Wellman, honnête artisan de la période classique hollywoodienne, abattant parfois trois ou quatre tournages par an depuis les années 1920, tourne entre deux très beaux westerns cette pause récréative, pleine de charme et de malice, qu’est L’Étrangleur – titre français qui se prend bien au sérieux pour désigner en fait Lady of Burlesque, bien plus raccord avec le film dont il a, en outre, le mérite de situer le contexte. Car même si elle sort aujourd’hui sous ce label, on ne peut réduire cette aventure au seul genre du thriller. On s’y casserait même bien les dents, puisque le premier meurtre arrive au bout de quarante-trois minutes, soit l’exacte moitié du métrage !
Alors que se passe-t-il donc pendant ces quarante-trois premières minutes qui précèdent l’amorce d’une intrigue policière (laquelle, précisons-le tout de suite, n’est d’ailleurs pas le point fort du film tant les fausses pistes y sont alambiquées et la solution prévisible) ? Eh bien nous sommes conviés, tout simplement, à la chronique tantôt légère, tantôt rugueuse mais surtout très touchante, de ce groupe de danseuses, de clowns, de régisseurs, de techniciens baignant dans leur élément naturel : la scène et les loges. Le film, sans en faire un principe rigide, est un quasi huis-clos : on ne sort de l’enceinte du théâtre qu’à l’occasion d’une courte arrestation, d’un dîner collégial, d’un verre au bar d’en face… mais l’essentiel advient dans les coulisses et les couloirs au gré des rencontres violentes, romantiques ou espiègles des protagonistes. L’intrépide Barbara Stanwyck, égale à elle-même, campe avec beaucoup de conviction et sans céder à la caricature une meneuse de revue très populaire auprès de ses consœurs, ambitieuse, éprise d’équité, dont on épouse le point de vue la plupart du temps – même si la partition globale se veut assez polyphonique. De fait, son flirt avec un clown plein d’assurance délicieusement interprété par le trop rare Michael O’Shea (dont c’était le premier rôle marquant) ou ses rapports affectueux et conflictuels avec ses autres partenaires prennent autant de place, sinon plus, que la résolution du crime qui semble être au cœur du récit.
Dans cette démarche plus ou moins documentarisante, Wellman a le souci évident de ne sacrifier aucun second rôle : le script prend un soin tout particulier à ménager pour chacun d’eux son petit moment privilégié, si court soit-il, afin de justifier sa présence et de complexifier le tissu des rapports humains qui s’entremêlent, tout cela avec une bonne humeur et une sincérité contagieuse. Ce sont d’ailleurs deux personnages dits « secondaires » qui ont le privilège de clôturer le récit, dans un plan final réservé d’ordinaire, par convention, aux rôles-vedettes : le geste est simple, beau, et son intention évidente. Il n’est d’ailleurs pas interdit de saisir un rapprochement entre la peinture de cette troupe et celle d’un plateau de tournage, avec ses comédiens, ses techniciens, son producteur, ses coutumes et ses aléas. Dans cette perspective souterraine, comment ne pas sourire dès l’ouverture en recueillant ce dialogue savoureux du propriétaire des lieux avec le caissier de l’établissement, lorsque ce dernier remarque qu’on se croirait revenus au temps où c’était un opéra, à quoi le directeur répond, dans une mise en abîme mi-joviale mi-désabusée : « Tu crois qu’une telle foule se déplacerait pour écouter ça ? Des filles ! Voilà ce que veut le public ! »
Histoire ancienne
Cinquième et dernière collaboration entre William Wellman et Barbara Stanwyck, Lady of Burlesque contient, en dépit de ses apparentes inconséquences, un certain nombre d’éléments surprenants qui l’élèvent bien au-delà du simple « whodunit » finalement programmé. D’abord on ne manquera pas de noter la liberté de ton d’un film qui, couvert par le folklore de son petit univers présupposé vulgaire et peu farouche, frôle constamment la ligne rouge à une époque où le fameux code Hays (censé réglementer, de l’intérieur, la bienséance de l’industrie cinématographique américaine quant aux questions de la violence, du sexe, de la religion et autres joyeusetés) est en exercice, implacable, depuis une décennie déjà. Difficile de ne pas voir dans la présence pleine de fougue de Stanwyck, comédienne déjà emblématique de la période pré-code, la grande force d’impulsion de cette tonalité frondeuse. Bien entendu, le fait d’adapter le roman The G-string Murders (le titre original n’a tout de même pas été conservé !) de la superbe et sulfureuse Gypsy Rose Lee, strip-teaseuse devenue actrice puis autrice qui connaissait donc bien le sujet, est en soi une petite provocation : une histoire où l’on parle sanitaires et dessous féminins, où l’on frappe des femmes au visage sans retenir ses coups, où l’on étrangle à l’aide de culottes pailletées des entraîneuses qui se dénudent sur les planches, tout cela avec en tête d’affiche l’une des grands stars de son époque dans un rôle proche de celui qu’elle tenait deux ans plus tôt sous la direction de Howard Hawks pour Ball of Fire… Il aura fallu tout le métier des dialogues de James Gunn (non, pas celui auquel vous pensez peut-être !) dont c’était le premier script et tout le glamour de la photographie signée Robert De Grasse (qui éclairera la même année L’Homme-léopard de Jacques Tourneur) pour faire passer la pilule et camoufler ce petit bijou subversif en pur divertissement.
L’autre aspect vivifiant de cette production tient à son microcosme essentiellement féminin, obligatoire dans ce climat burlesque de la décennie précédente, auquel nul personnage masculin ne vient tenir la dragée haute – l’inspecteur chargé de l’enquête, normalement tout prêt à voler la vedette dès son entrée en scène, ne sera ici qu’un questionneur quasi-incompétent qui n’aura aucune part dans la résolution de l’énigme. C’est qu’encore une fois, le burlesque est le vrai sujet : tombé en disgrâce depuis cinq ans lorsque le film est lancé, ce type de revue coquine et circassienne n’est déjà plus qu’un souvenir. C’est donc avec émoi et nostalgie que Wellman et son équipe rendent hommage à des temps perdus, opposant, dès l’ouverture et jusqu’à l’épilogue, un monde respectable et un autre jugé abject ; un monde élégant et un autre bassement trivial ; la présence du premier ayant cédé le terrain en apparence, mais écrasant toujours le second de sa présence fantomatique qui vaut condamnation. C’est pourtant ce dernier, celui de la sensualité, des mœurs légères, des amours ludiques, dont le film se fait le porte-étendard. Celui de la liberté perdue… pas celui du code Hays !
Image
Malheureusement ni le nom de Wellman ni la nature étrange de son Étrangleur, oubliés l’un comme l’autre, ne sauraient susciter une restauration digne de ce nom par chez nous en 2022 malgré le franc succès public aux États-Unis en 1943. Résultat : une copie peu enthousiasmante, constellée dès le début de rayures et de sautes d’image, à la définition très inégale, qu’Artus, fort logiquement et pour ne pas jouer l’ambiguïté, ne sort qu’au format DVD.
Son
La qualité sonore, sans rejoindre celle de l’image, ne brille évidemment pas non plus : une piste en mono, sans relief, voire étouffée dans ses moments les plus chargés, mais rien non plus d’inécoutable ou d’inintelligible évidemment – l’éditeur à l’ours étant, comme on le sait, une maison sérieuse !
Liste des bonus
Bandes-annonces.