L’ESPION QUI VENAIT DU FROID

The Spy Who Came In From The Cold – Royaume-Uni – 1965
Support : Bluray & DVD
Genre : Espionnage
Réalisateur : Martin Ritt
Acteurs : Richard Burton, Claire Bloom, Oskar Werner, Sam Wanamaker, George Voskovec, Rupert Davies…
Musique : Sol Kaplan
Durée : 112 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Français & Anglais DTS-HD Master Audio 2.0
Sous-titres : Français
Éditeur : ESC Editions
Date de sortie : 20 janvier 2021
LE PITCH
Agent secret britannique au bout du rouleau, Alec Leamas est chargé par sa hiérarchie de jouer les transfuges vers l’Est afin de piéger un espion rival. C’est alors qu’il tombe amoureux de Nan Perry, une jeune femme membre du Parti Communiste …
Derrière le mur
Décédé en décembre dernier à l’âge de 89 ans et auteur d’une œuvre pléthorique, l’anglais John Le Carré aura presque autant nourri le cinéma d’espionnage qu’un certain Ian Fleming. Mais dans un style différent, bien moins glamour, mélange d’intrigues complexes, de romances maudites et de mélancolie existentielle. La preuve avec L’Espion qui venait du froid de Martin Ritt, l’anti-James Bond par excellence.
Qu’on le veuille ou non, la franchise 007 est très vite devenue le mètre étalon d’un genre tout entier. Impossible de réaliser un film d’espionnage où que ce soit dans le monde sans y être comparé. On s’inspire de James Bond, on parodie James Bond ou on s’oppose à James Bond. Cette dernière option est même en passe de devenir la norme. Depuis la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre Froide, l’espion amateur de belles voitures et de vodka-martini n’en finit plus d’être considéré comme dépassé, obsolète. Débutée avec l’arrivée de Pierce Brosnan dans le rôle, la déconstruction de l’icône virile des 60’s se poursuit encore aujourd’hui et les agents Ethan Hunt et Jason Bourne, l’acrobate et la machine à tuer, n’ont de cesse de lui disputer sa popularité.
Mais bien avant la créature amnésique de Robert Ludlum et l’alter-ego protéiforme de Tom Cruise, d’autres s’opposaient déjà aux fantasmes pulp de Ian Fleming. C’est notamment le cas de John Le Carré et de son anti-héros George Smiley, personnage central de neuf romans. Un espion rondouillard, quelconque, avec des lunettes et une calvitie naissante, un fonctionnaire tout ce qu’il y a de plus ennuyeux et se tenant aussi éloigné que possible du terrain. Tellement éloigné d’ailleurs qu’il n’apparaît qu’en périphérie de L’Espion qui venait du froid, adaptation maussade et nihiliste du troisième roman de la série. Ironiquement, Alec Leamas, le personnage principal, est bien plus proche de James Bond dont il est le pendant réaliste, alcoolique et désabusé. Bousillé par le jeu de dupes auquel il participe depuis trop longtemps, marqué par les trahisons à répétition, Leamas persiste dans sa mission par habitude, parce qu’il ne sait rien faire d’autre. Et c’est là une idée de génie que d’avoir confié le rôle au gallois Richard Burton qui, à quarante ans à peine, en paraît 60 et dont l’alcoolisme chronique était de notoriété publique. Traqué entre chaque prise par son épouse Elizabeth Taylor, Burton n’a même plus besoin de jouer : il EST Alec Leamas. Une prestation très justement nommée aux oscars en 1966 et qui témoigne de la même intensité que celle d’un Marlon Brando dans Sur les quais.
Tous pourris !
À la mise en scène, Martin Ritt, cinéaste new-yorkais jadis blacklisté par la commission MacCarthy, déjoue quelque peu les pronostics. De par sa sensibilité très portée à gauche, le réalisateur d’Edge of the City et de The Sound and the Fury était forcément très attendu sur sa vision de la Guerre Froide. Lucide, Ritt ne prend parti ni pour le bloc de l’Ouest, ni pour le bloc de l’Est. Les méthodes de chaque camp sont peu ou prou les mêmes et en cela, le réalisateur reste fidèle à la vision de John Le Carré. Bien qu’un regard bienveillant soit porté sur l’engagement politique du personnage joué avec une belle candeur par Claire Bloom, sa naïveté dans un monde de requins signe en réalité son arrêt de mort. À la toute fin (SPOILER), Leamac choisit de rejoindre la jeune femme, abattue par un sniper invisible, au pied du Mur de Berlin, ignorant la main tendue par son collègue, le fameux George Smiley. Leamac est également abattu et la caméra l’observe s’écrouler silencieusement, de loin. On pourrait y voir un geste romantique, désespéré, de la part du vieil espion. L’interprétation reste ouverte mais il ne fait aucun doute que Martin Ritt épingle là la terrible spirale de violences et de mensonges de la Guerre Froide et qu’il en tire ce constat amer : la mort est encore la seule échappatoire (fin du SPOILER).
Sans concession sur le fond, Martin Ritt est admirable sur la forme, quand bien même un léger ventre-mou se fait ressentir à mi-parcours. Véritable leçon de découpage, la scène d’ouverture joue avec virtuosité sur le rythme, la profondeur de champ et le placement des différentes barrières, fils barbelés et panneaux qui découpent le cadre et empêchent Leamac de fuir ou de détourner le regard de l’échec qui l’attend. Impossible d’ailleurs que Steven Spielberg ne s’en soit pas directement inspiré pour son propre thriller d’espionnage, le très sous-estimé Pont des espions. On pense aussi à Sidney Lumet tout du long et en particulier lors du procès final, Ritt ayant plus d’un atome crochu avec le réalisateur de 12 Hommes en colère et de L’Homme à la peau de serpent.
Dernier point, et les fans de James Bond seront aux anges (on y revient, forcément), Bernard Lee, éternel patron de 007 y joue un épicier sévère tandis que le scénario est cosigné Paul Dehn, déjà signataire de celui de Goldfinger, ce qui explique une structure narrative étonnamment similaire, presque en miroir. La boucle est bouclée.
Image
Distributeur officiel du catalogue Paramount depuis janvier de cette année, ESC en profite donc pour éditer le film de Martin Ritt mais n’offre malheureusement aucun apport tangible au DVD famélique balancé par le studio en 2006. Nous sommes ici bien loin du Criterion américain et de sa très belle copie. Les dégâts de pellicule sont nombreux, les contrastes faiblards font parfois tirer (furtivement) le noir et le blanc vers un bleu délavé et le bruit vidéo ne joue pas en faveur de la profondeur de champ ou de la définition. Une déception, même si quelques gros plans tirent leur épingle du jeu.
Son
Un peu de souffle et des pistes audio à la faiblesse indiscutable. L’explosion d’alarmes et de mégaphones lors de la scène d’ouverture réveillent brièvement un mixage en sous-régime qui a le bon sens de nous laisser des dialogues clairs et intelligibles mais le mauvais goût de reléguer la belle musique de Sol Kaplan au fin fond d’une enceinte.
Interactivité
Moins riche que prévue (un commentaire audio et d’autres gourmandises étaient attendues – et annoncées), l’interactivité repose entièrement sur les épaules de l’historien Frédéric-Albert Levy qui se fend tout d’abord d’un entretien très érudit d’une trentaine de minutes avant d’analyser avec brio une séquence à priori anodine. Un travail de fond complété par un livret signé Olivier Père et habilement glissé dans un joli fourreau de type Mediabook. Rien de déshonorant en soi mais là encore, la comparaison avec le Criterion et la richesse de son contenu est incroyablement frustrante. Mais l’éditeur américain n’est pas reconnu pour partager ses secrets de fabrication. Au grand dam des cinéphiles français.
Liste des bonus
Présentation du film par Frédéric-Albert Levy (30’), Analyse d’une scène (12’), Bande-annonce.