LES NÉGRIERS
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Addio Zio Tom – Italie – 1971
Support : Bluray
Genre : Documentaire
Réalisateur : Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi
Acteurs : Stefano Sibaldi, Susan Hampshire, Dick Gregory, Gualtiero Jacopetti, Ernest Kubler, Franco Prosperi…
Musique : Riz Ortolani
Image : 2.35 16/9
Son : Italien, anglais et français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 135 minutes
Éditeur : Le Chat qui fume
Date de sortie : Décembre 2024
LE PITCH
Tourné à Haïti en 1971 sous le régime du dictateur François Duvalier, Les Négriers (Addio Zio Tom) est peut-être le plus choquant de tous les mondos réalisés. Le journaliste Jacques Zimmer écrivait d’ailleurs dans La Saison cinématographique 74 : « Rarement le cinéma a été plus loin dans l’insoutenable ».
Black Lives Matered
Si le genre Mondo et ses vrais-faux documentaires scabreux est par lui-même déjà des plus controversés, Les Négriers, ou Addio Zio Tom, est certainement l’un des rejetons les plus débattus. Rejeté ou adulé… la polémique venant autant de son thème, l’histoire de l’esclavage aux Etats-Unis, que sa forme mêlant dénonciation et voyeurisme douteux.
Considéré comme créateur du sous-genre avec l’inaugural Mondo Cane, le duo formé par Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi, ont effectivement toujours cultivé une approche très particulière du documentaire, s’efforçant d’aller au-delà des images propres et classiques, des visites prises en main et d’un regard joyeusement ethnologique sur les populations lointaines, en s’engouffrant toujours plus loin derrières les façades, scrutant la mort, la folie et les bassesses de l’humanité… Le tout avec un ton particulièrement ironique et nihiliste. Mais un cap avait certainement été franchi avec le tristement célèbre Adieu Afrique, témoignage d’un continent sombrant dans le chaos à la suite de la décolonisation, ou les compères mêlèrent des commentaires particulièrement réactionnaires et un regard franchement gênant envers la population noire, avec des scènes d’une crudité étouffante. Certaines furent même accusées d’avoir été mises en scènes, comme cette exécution terrible et froide qui aurait été arrangée avec des mercenaires locaux. Gerbant. C’est en imaginant une réponse aux multiples accusations de racisme, que Jacopetti et Prosperi, imaginèrent alors leur production suivante. Tout d’abord une adaptation du roman Mandingo (qui se fera quatre ans plus tard sous la direction de Richard Fleischer), puis finalement un nouveau documentaire mais qui cette fois-ci transportera l’équipe de tournage directement dans la Louisiane du XVIIe siècle pour assister, dans une reconstitution luxueuse, aux pires heures de l’Amérique esclavagiste.
L’autre continent noir
Rencontre de diverses figures historiques, visite des hauts lieux de cette économie lucrative (des navires puant aux domaines des aristocrates locaux en passant par le marché aux esclaves et les bordels les plus sordides), mise en scènes des pires avilissements qu’a pu connaitre le peuple noir à cette époque, Les Négriers ne nous épargne rien et montre de prime abord une volonté louable de dénoncer et d’exposer l’horreur totale d’une époque dont la représentation cinématographique avait été jusque-là largement édulcorée, voir positivée, par le Hollywood de Autant en emporte le vent. La sublime photographie d’Antonio Climati (déjà à l’œuvre sur les productions précédentes du duo), les compositions orchestrales et romantiques de Riz Ortolani (la chanson Oh My love est une merveille de mélancolie), la fascination pour les paysages sauvages et les lumières solaires ou crépusculaire, les séquences époustouflantes habitées de milliers de figurants, cohabitent constamment avec cette fameuse mise en scène du grotesque, d’une fascination morbide pour les corps avilies (tortures, viols, castrations, animalisations…) et un étrange humour noir, ironique, qui certes souligne la bêtise consternante de ces « bons blancs », mais surtout allègerait presque les passages les plus infamants.
Chasseur blanc, cœur blanc
Un pas en avant, deux pas en arrière, comme lorsque le montage croise dans le cut italien, le plus complet, un jeu de regard entre l’Amérique d’autrefois et celle moderne, renvoyant la violence des vieux blancs et des revendicateurs noirs (les Black Panthers sont directement ciblés) dos-à-dos. Le propos se perd régulièrement en route, comme lors d’une rencontre avec une jeune esclave de 13 ans forcée de s’offrir une nuit aux documentaristes (d’autant plus gênant que Jacopetti fut poursuivi par deux fois pour ce type de pratiques), ou lorsque les cadrages s’appesantissent inutilement sur certaines zones des corps nus des acteurs noirs, et surtout n’essaye jamais vraiment de leur redonner cette existence, cette humanité qui leur avait été volée. Tourné en Haïti sous le régime du Dictateur Duvalier qui offrit un tournage dans des conditions luxueuses et une masse de figurants dévouées corps et âmes au projet, Les Négriers n’aurait-il pas lui-même profité de l’esclavage alors en cours sur l’île ? Devrait-on vraiment s’en étonner de la part d’un Gualtiero Jacopetti qui avant de faire un passage dans la résistance durant la Seconde Guerre Mondiale pratiqua quelques temps le militantisme mussolinien, et retrouva ses vieux copains en 1972 en adhérant au MSI, parti italien ouvertement néofasciste. Son regard porté sur l’esclavage et sa morale anti-raciste est forcément fortement biaisée, pétrie de la bonne nostalgie réactionnaire, du paternalisme blanc, autant que de sa propre fascination pour les images les plus abjectes et frontales possibles. Chassez le naturel, il revient au galop !
Ce n’est alors qu’avec ce cadre et ces informations qu’il est possible de visionner Addio Zio Tom, pour ce qu’il est, une sublimation du Mondo aux airs de fresque historique virtuose certes, mais un aussi objet terriblement complaisant et à l’objectif nauséeux. Vous voilà prévenus.
Image
Le Chat qui fume nous propose ici véritablement une très grande restauration. D’autant plus remarquables que le film, et surtout ses trois montages, n’avaient jamais été distribués dans des conditions vraiment convaincantes par chez nous. Ces sources 4K imposent une propreté immuable, une stabilité imposante, tout en préservant grain et reflets argentiques avec un souci manifeste de l’objet cinéma. Encore une fois la sensation d’autrefois d’un documentaire un peu terne et légèrement kitch laisse place ici à une redécouverte totale du film, apportée tout particulièrement par une restitution des couleurs et des contrastes riche et chaude. Les reconstitutions historiques se dotent presque d’accents Technicolor et la fausse véracité n’en est que plus troublante.
Son
Les trois montages du film sont accompagnés par leurs pistes sonores respectives. La version italienne est celle qui sonne le plus juste et le plus équilibré, là où les doublage anglais et français se dotent de performance plus excessives encore. Dans tous les cas, les monos retranscris en DTS HD Master Audio 2.0 s’avèrent très solides, clairs et sobres, et les musiques mémorables de Riz Ortolani en profitent pleinement.
Interactivité
Alors que l’édition comprenant la copie UHD du montage italien a très rapidement été épuisée, la seconde réunissant les deux Bluray dans un boitier au design équivalent est en bonne voie pour connaitre le même destin. Il faut dire qu’au-delà de l’attente et de la curiosité qui a toujours entourée le métrage, la proposition du Chat qui fume est particulièrement alléchante avec pour la première fois dans un même boitier les trois montages principaux du film. L’italien reconstitué dans les années 90 afin de se rapprocher au plus près d’une première version aujourd’hui disparue, l’américain qui laisse de coté une grande part des scènes contemporaines et enfin le français nettement plus court et parcellaire.
En sus, l’édition délivre le long métrage documentaire L’Importance de ne pas être commode produit en 2009 et retraçant la vie et la carrière de Gualtiero Jacopetti. On y profite des interventions d’Ursualla Andress, de Riz Ortolani, du scénariste Claudio Quarantotto ou du français Jean Douchet, mais aussi de nombreux documents d’archives. Tout cela vient éclairer le portrait d’un personnage complexe, des plus ambiguës dont la trajectoire aura été marquée de nombreux scandales (artistiques mais aussi sexuels) et d’amitiés politiques douteuses. Des éléments importants pour comprendre la part d’ombre de ses films.
Il en est d’ailleurs clairement question aussi dans les deux suppléments produits par Le Chat qui fume. Soit une longue et très complète présentation du genre et du film en question par le Maxime Lachaud de l’indispensable ouvrage Mondo Movies : Reflets dans un œil mort, et un exercice plus analytique et politique par l’intervenante de la bien nommée chaine youtube Cinéma et politique. Deux grilles de relecture nécessaires pour la bonne appréciation d’un tel objet.
Liste des bonus
Montage américain (123’), Montage français (79’), « L’Importance de ne pas être commode » de Andrea Bettinetti sur Gualtiero Jacopetti (91’), « L’Anti-Documentaire » : Entretien avec Maxime Lachaud (50’), « Il mondo politico di Gualtiero Jacopetti e Franco Prosperi » : analyse du Mondo par Cinéma et Politique (19’), Bande-annonce italienne et américaine.