LES ESPIONS
Città Violenta – Italie, France – 1970
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller, Policier
Réalisateur : Sergio Sollima
Acteurs : Telly Savalas, Michel Constantin, Charles Bronson, Umberto Orsini, Ray Saunders, Jill Ireland
Musique : Ennio Morricone
Image : 2.35 16/9
Son : Anglais et français DTS HD Master Audio 2.0
Sous-titre : Français
Durée : 108 minutes
Distributeur : Sidonis Calysta
Date de sortie : 16 février 2023
LE PITCH
Un réseau d’espions sévit impunément dans l’Allemagne de la fin des années 20 et les services secrets semblent dépassés. On confie alors à l’agent n°326 la lourde tâche de traquer le chef de cette organisation. Sa mission sera semée d’embûches et de rencontres, notamment celle avec la fatale Sonja qui fera tout basculer.
326 contre Dr. Haghi
Souvent considéré, et pas tout à fait sans raison, comme le premier vrai film d’espionnage de l’histoire du cinéma, le bien nommé Les Espions est surtout le maitre étalon d’un genre, celui qui lui offrit ses lettres noblesses et son sens du spectaculaire. Comme toujours avec Lang, une œuvre d’une effarante modernité.
On a un peu tendance à l’oublier aujourd’hui, mais à sa sortie Metropolis fut un échec public et un sacré gouffre financier qui cristallisa toutes les tensions entres le maitre du cinéma allemand Fritz Lang et la colossale UFA qui n’hésita d’ailleurs pas à couper dans les grandes largeurs le premier montage et exporter des versions tronquées. Obligé de revoir ses ambitions à la baisse et rappeler à son principal financier qu’il a encore la fibre du cinéma populaire, Fritz Lang s’écarte alors des virtuosités futuristes et expressionnistes de ses chef d’oeuvre précédent et revient à un projet qui se rapproche beaucoup plus volontier de l’esprit des sérials. A nouveau écrit en collaboration avec son épouse Thea von Harbou (d’après son propre roman), Les Espions rejoue donc partiellement les contours de son mythique Le Dr. Mabuse. On y découvre ainsi un nouveau génie du crime insaisissable toujours incarné par le génial Rudolf Klein-Rogge, mais où la tension psychologique, l’atmosphère surréaliste et horrifique, laisserait définitivement toute place à l’action. Assumé comme un pur divertissement, Les Espions embraille ainsi immédiatement avec la frénésie d’un Baz Luhrmann, télescope une succession d’assassinat spectaculaires, multipliant les personnages, héros dynamiques ou traitres en faction, ajoute une relation impossible entre l’agent 326 et sa soi-disant ennemie Sonja et accumule d’une séquence à l’autre les menaces, les fausses pistes et les masques outranciers.
Les joueurs
Si le film culmine dans une incroyable séquence tout en suspens dans un train menacé d’un attentat à la bombe qui se poursuit dans une longue poursuite en voitures lancées à toute blinde comme le ferait aujourd’hui n’importe quel blockbuster américain, il fait preuve surtout d’une totale fascination pour un chaos de plus en plus envahissant. Fritz Lang n’est pas là pour éclaircir sa trame alambiquée, entre roman de gare et évocation plus ou moins reconnaissables de faits divers et d’affaires politiques de l’époque, mais pour décrire sous couvert d’une aventure fantaisiste, un nouveau monde envahi de nouvelles technologies, d’un nouvel organigramme des pouvoirs, mais déjà incompréhensibles. Un reflet direct du marasme de la République de Weimar constamment marquée par les assassinats d’opposants politiques, les corruptions d’états et les manigances de groupuscules encore pas totalement identifiés (un petit moustachu ?). Si Fritz Lang a souvent considéré avec un certain dédain Les Espions qu’il ne voyait que comme un petit exercice de style, il est pourtant l’un des films les plus réussis de sa période allemande, thriller racé et pointu, charpenté par des plans d’une rigueur imparable, admirablement construit et rythmé, et dont l’opposition entre un agent tout en charme et en physique et un super-vilain tirant les ficelles de son organisation cachée dans sa base secrète a certainement eu son petit effet sur les aventures d’un certains James Bond.
Image
A nouveau produit sous l’égide de la Fondation Friedrich-Wilhelm-Murnau, le film de Fritz Lang a dû, comme beaucoup de films de cette époque, être laborieusement reconstitué à partir de segment repris sur diverses copies. Les négatifs ayant totalement disparu de la circulation, il fallu donc opérer des scans 2K de copies nitrates ou d’interpositifs plus ou moins abimés, ainsi que refaire certains des cartons titres. Comme pour Metropolis, le résultat n’en est que d’autant plus admirable avec certes une bonne parties des plans encore marqués par des taches, griffures ou autres marques des années, mais aussi une définition admirable, puissante, des bords le plus souvent stables et surtout un grain harmonieux et de superbes argentiques. Le bluray aura décidément fait beaucoup de bien aux films muets qui retrouve, comme ici, presque toute cette superbe que l’on croyait perdue.
Son
Un seul accompagnement musical pour Les Espions, mais qui s’avère particulièrement réussi, rythmé, percutant sans jamais venir alourdir les effets de mise en scène ou l’ambiance générale. Le DTS HD Master Audio 2.0 est on ne peut plus clair et efficace.
Interactivité
Comme pour l’édition de La Femme sur la lune proposée à la même date, Les Espions partage sa section bonus entre l’essai analytique condensé intitulé « The Void Machine », et une beaucoup plus longue présentation du métrage (ses origines, ses références contemporaines, son style…) signé par l’historien Bernard Eisenschitz.
Mais n’en déplaise à nos intervenants français, « Un petit film mais avec beaucoup d’action » produit en Allemagne leur damne aisément le pion. Comme pour ceux produits pour Les Nibelungen ou Metropolis (et disponible sur toutes les bonnes éditions), le documentaire plonge littéralement dans les coulisses du film, retrace la carrière des principaux interprètes ou des techniciens centraux, illustre parfaitement les tensions entre Lang et la UFA, décortique le style du film tout en le mettant constamment en parallèle avec le contexte politique et artistique de l’époque. Passionnant.
Liste des bonus
Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (36′), « The Void Machine » : texte de Murielle Joudet, montage par Julien Wautier (13′), « Un petit film mais avec beaucoup d’action » : documentaire (69′), Un texte d’Olivier Père, directeur général d’ARTE France Cinéma