LES YEUX SANS VISAGE
France – 1959
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Epouvante
Réalisateur : George Franju
Acteurs : Pierre Brasseur, Alida Balli, Edith Scob, Juliette Mayniel, Alexandre Rignault, Béatrice Altariba, Claude Brasseur…
Musique : Maurice Jarre
Image : 1.66 16/9
Son : DTS HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Aucun
Durée : 90 minutes
Editeur : Le Chat qui fume
Date de sortie : 31 juillet 2024
LE PITCH
Le Docteur Génessier, chirurgien renommé et spécialiste des greffes de la peau, retient prisonnière sa fille Christiane, défigurée à la suite d’un grave accident de voiture. Louise, son assistante, qui lui est totalement dévouée, sert de rabatteuse et ramène à Génessier des jeunes femmes qui seront sacrifiées dans son laboratoire dissimulé dans une vaste propriété, isolée en banlieue parisienne. Mais la découverte de l’une des victimes, dans une rivière, déclenche une enquête de police. Après plusieurs échecs ayant entraîné une nécrose de la peau, le chirurgien parviendra-t-il à redonner enfin un visage à Christiane ?
Ceux qui regardent
On peut le considérer comme le premier film d’horreur français. On peut aussi totalement accepter son statut de référence voire d’œuvre culte. Mais Les Yeux sans visage est aussi une œuvre totalement unique, inquiétante et poétique qui (comme en 2019 dernier dans un collège) peut terroriser ses spectateurs.
Si Les Yeux sans visage n’est que le second long métrage de George Franju après le très remarqué La Tête contre les murs (avec d’ailleurs déjà le grand Pierre Brasseur et la fluette Edith Scob au casting), il était déjà un cinéaste reconnu en 1958 grâce à une longue série de courts métrages, souvent documentaires, égrenée tout au long de la décade précédente. Des travaux de commandes, des films presque institutionnels, comme cette visite des abattoirs dans Le Sang des bêtes ou celle de L’Hôtel des invalides, mais toujours déviés par une mise en scène très travaillée et un discours sous-jacent fonctionnant souvent à rebrousse-poil (Franju était un grand défenseur de la cause animale, un antimilitariste…). Pas de soucis donc à accepter la proposition du producteur Jules Borkon, rêvant comme les anglais ou les italiens de son succès d’épouvante, d’adapter le roman sensationnaliste de Jean Redon. Surtout que concernant l’adaptation, le cinéaste, aidé par le duo Boileau / Narcejac (Les Diaboliques) et le jeune Claude Sautet, il obtient les coudées franches pour justement gommer tous les éléments trop glauques, caricaturaux voir gores, au profit d’un angle beaucoup plus flottant. Le sang se fait rare, les allusions à l’inceste ou la nécrophilie ont totalement disparues, comme pour rationaliser l’horreur et l’extirper de ses contours gothiques et Grand Guignol.
Hétérogreffes
L’imposant Docteur Génissier n’est donc pas un nouveau Frankenstein faisant ses expériences fébriles dans son labo plein de tuyaux et de morceaux humains dans les bocaux, mais un éminent chirurgien poussé à l’innommable autant par son égo démesuré (personnel et professionnel) que par son amour possessif pour sa fille dont il veut réparer le visage… Quitte à retirer celui de pauvres jeunes filles capturées par son assistante, Louise (troublante Alida Valli) entre adoration et reconnaissance. Un hôpital de campagne, une dépendance cossue, un paysage et des figures en apparence des plus normaux, mais dont la moralité déviée et l’amorce de folie a fini par prendre le dessus. Franju refuse de la même façon la performance et le théâtral, tous Les Yeux sans visage oeuvre avec délicatesse et une rare puissance de suggestion. Plus qu’associer le film à une tradition que l’on pourrait relier, par exemple, aux monstres Universal, le choix du noir et blanc, porté par la sublime photographie de Eugen Schüffen (L’Atlantide de Pabst) travaille le même contraste entre un quotidien des plus contemporains, rationnels (voire la laborieuse et inefficace enquête policière) et un fantastique qui surgirait au détour d’une route, par un avion qui traverse le ciel au-dessus cimetière renvoyant aux cris spectraux, par une porte qui donne sur un chenil ou un masque blanc figé où seuls les yeux peuvent encore crier leur besoin de liberté. Pas étonnant que Jean Cocteau ait toujours soutenu la carrière de Franju, Les Yeux sans visages est totalement habité par une forme de magie cinématographique naissant dans la délicatesse des plans, l’admirable travail sur les ombres, le jeu des acteurs intériorisé et des séquences qui demandent toujours à s’échapper vers une étrange poésie macabre.
L’ultime vision de la gracieuse Edith Scob traversant la nuit comme une somnambule dans sa robe diaphane, le masque fantomatique sur le visage et une colombe sur l’épaule restera à tout jamais comme l’une des plus belles, et mélancoliques, vision du cinéma.
Image
Le Chat qui fume reprend ici le flambeau de Gaumont qui avait déjà livré une copie HD tout à fait satisfaisante en 2010 permettant alors surtout au film de s’extraire de longues années de présentations dans des conditions difficiles, et souvent recadrées. On franchit encore une étape avec une toute nouvelle restauration à partir de scans 4k des négatifs originaux pour un résultat assez miraculeux, venant affirmer une propreté à toute épreuve, une stabilité assez inédite et surtout une définition ultra pointue. La photographie minutieuse et ses jeux d’ombres y gagnent encore en amplitude tandis que les matières pellicule, grains et argentiques, se mêlent au tableau avec force et naturel.
Son
Pas de grosse différence notable avec la bande son originale, toujours disposée dans un DTS HD Master Audio qui respecte à la lettre le mono d’origine, frontal et ferme, avec une belle clarté et une absence notable de perdition ou faiblesses de l’âge.
Interactivité
S’il s’est retrouvé rapidement épuisé, il est difficile de ne pas revenir sur la beauté de l’objet qu’ést ce fameux coffret limité réservé par Le Chat à cette édition. Un format déjà éprouvé sur Possession et Gandahar, avec un boitier solide et particulièrement imposant, s’offrant ici au passage une magnifique, et totalement inédite, illustration du maitre du manga d’horreur Junji Ito ! A l’intérieur on y retrouve un véritable livre d’un peu moins de 200 pages contenant un article analytique signé Fabien Mauro, des photos du film, des critiques d’époque et surtout le découpage complet (signé L’Avant-Scène) avec dialogues et illustrations comprenant les passages coupés au tournage et au montage.
Le boitier contient aussi bien tendu un superbe fourreau cartonné, avec un digipack trois volets regroupant le disques UHD, le disque Bluray et le DVD Gaumont de En passant par la Lorraine et autres courts métrages. Ce dernier regroupe six de ses plus célèbres courts métrages documentaires démontrant les talents de Franju pour détourner des commandes institutionnelles en terreaux d’expérimentations visuelles et en œuvres personnelles. Dommage vraiment que le tétanisant Le Sang des bêtes manque à l’appel.
Les autres suppléments vidéo se situent sur le Bluray du film qui reprend très logiquement le documentaire de Gaumont « Les Fleurs maladives de Georges Franju », portrait très complet de l’homme et de l’artiste composé par les témoignages croisés de personnalités et de proches comme Edith Scob, Jean-Pierre Mocky, Bernard Queysanne, Jacques Champreux ou Claude Chabrol. A cela Le Chat qui fume ajoute une nouvelle interview de l’actrice Edith Scob qui traverse le tournage des deux premiers films, La Tête contre les murs et Les Yeux sans visages, et une rencontre avec Pierpaolo de Mejo, petit-fils de la grande Alida Valli qui revient sur la riche carrière de l’actrice, son élégance, et les grands jalons de sa carrière à l’écran.
Le programme se complète aussi par une présentation vidéo du film signée par le toujours passionnant Olivier Père et par un regard plus personnel proposé par le réalisateur Bertrand Mandico. Le tout s’achève par le court métrage « hommage » Ruines du temps signé Mathieu Péteul et la bande annonce originale restaurée pour l’occasion. Vraiment, il y a de quoi faire.
Liste des bonus
Le livre « Les Yeux sans visage » (178 pages), « Les Fleurs maladives de Georges Franju » : de Pierre-Henri Gibert (46’), « Rien que pour ses yeux » avec Edith Scob (17’), « Alida, ma grand-mère » : Interview de Pierpaolo de Mejo, petit fils d’Alida Valli (43’), « Les Yeux sans visage » par Olivier Père (33’), « Les Yeux sans visage » par Bertrand Mandico (18’), Court métrage : « Ruines du temps » de Mathieu Péteul (8’), Bande-annonce originale restaurée (4’), Le DVD En passant par la lorraine et autres courts métrages.