LES YEUX DE FEU

Eyes of Fire – Etats-Unis – 1983
Support : Bluray & DVD
Genre : Épouvante, Western
Réalisateur : Avery Crounse
Acteurs : Dennis Lipscomb, Guy Boyd, Rebecca Stanley, Sally Klein, Karlene Crockett, Fran Ryan…
Musique : Brad Fiedel
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et Français DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 86 minutes
Éditeur : Rimini Editions
Date de sortie : 13 février 2025
LE PITCH
En 1750, accusé d’adultère et banni de son village, un pasteur s’enfuit avec un groupe de fidèles vers des terres encore inexplorées d’Amérique du Nord. Ils finissent par s’établir dans une région isolée, sans se douter des dangers qui rôdent dans les bois alentours.
Into the Woods
Film d’épouvante oublié des années 80, aux États-Unis comme en France où sa dernière trace remonte à une VHS Delta Vidéo de 1991, Les Yeux de feu retrouve peu à peu sa place auprès des fantasticophiles en quête de classiques perdus. Une preuve que certaines œuvres refusent de sombrer dans l’oubli. Et c’est tant mieux !
Premier long métrage d’une carrière qui n’en comptera que trois, le film d’Avery Crounse puise toute sa singularité dans la période historique qu’il explore. Les Yeux de feu se déroule dans l’Amérique de 1750, à l’ère des pionniers, dans le contexte de la rivalité coloniale entre la France et la Grande-Bretagne pour le contrôle du continent. Une période de l’Histoire que l’on associe plus volontiers aux romans de James Fenimore Cooper qu’au cinéma fantastique. On y découvre une Amérique encore balbutiante, pas encore indépendante, hantée par les ombres persistantes des chasses aux sorcières du siècle précédent et déjà engluée dans un puritanisme religieux dont elle ne se libérera jamais. C’est dans ce cadre que prend place le voyage du Révérend Smythe, un pasteur pour qui l’adultère ne semble poser aucun problème, après avoir été chassé du village où il résidait en raison de ses mœurs légères. Il entreprend alors une odyssée à travers les forêts d’Amérique du Nord, évitant Français et Indiens, accompagné d’une communauté hétéroclite. Parmi eux se distingue Leah, une jeune femme étrange ayant survécu à un traumatisme durant l’enfance, dont la chevelure rousse et le comportement atypique lui valent rapidement le surnom de sorcière. Cette troupe disparate trouve refuge dans une cabane abandonnée, au cœur d’une vallée isolée. C’est là que d’étranges événements commencent à se produire, tandis que le comportement du Révérend Smythe évolue progressivement, révélant une facette plus sombre de sa personnalité et nous interrogeant sur l’hypocrisie des autorités religieuses quant à la place et au traitement des femmes.
American folk horror
Les Yeux de feu s’inscrit pleinement dans la mouvance du folk horror, sous-genre cinématographique ancré dans les légendes populaires et les paysages ruraux inquiétants. Si le cinéma britannique a largement popularisé ce style avec des films comme The Wicker Man de Robin Hardy, Avery Crounse apporte ici une touche spécifiquement américaine à cette mythologie horrifique. La forêt y règne en maître, territoire sauvage et énigmatique où les lois des hommes s’effacent, laissant libre cours aux superstitions. Le film distille une ambiance à la fois mystique et oppressante, où la nature semble animée d’une volonté propre, renforcée par des apparitions spectrales et des visions cauchemardesques. Le metteur en scène parvient à instaurer une atmosphère pesante et à créer des images d’une grande beauté, souvent proches de la peinture, où les teintes automnales et les jeux d’ombres participent à cette impression de conte gothique. Le récit, construit en flashback à travers le témoignage de la jeune Fanny, fille de l’une des membres de la communauté, ajoute une dimension de légende racontée au coin du feu. Cette structure narrative renforce l’aspect folklorique de l’histoire, transformant cette épopée américaine en un conte horrifique aux allures de fable. Plus qu’un simple film d’épouvante, Les Yeux de feu s’apparente à un conte de fées moderne, une sorte de réponse sylvestre à la très minérale Forteresse noire de Michael Mann, réalisée à la même période. Les deux œuvres partagent ce goût pour la création d’une atmosphère singulière, parfois au détriment d’une narration fluide — une faiblesse en partie due aux interventions des producteurs dans les deux cas. Pourtant, cette approche confère au film un impact émotionnel décuplé, laissant au spectateur des images et des sensations qui s’impriment durablement dans la mémoire.
Longtemps pénalisé par une distribution confidentielle, Les Yeux de feu bénéficie aujourd’hui d’une redécouverte qui permet de mesurer toute sa singularité et sa contribution précieuse au genre fantastique. Un classique méconnu, profondément poétique, qui mérite amplement d’être remis en lumière.
Image
La copie proposée par Rimini Éditions, issue d’une restauration 4K à partir du négatif original — déjà saluée lors de sa sortie chez Severin Films — est tout simplement remarquable, respectant scrupuleusement le grain d’origine tout en offrant une précision de piqué impressionnante. Les couleurs naturelles sont sublimées par des contrastes solides, et la gestion des noirs se révèle exemplaire, dense et sans perte de détail. Quelques aspérités subsistent : certaines séquences faiblement éclairées ou aux teintes bleutées — les “nuits américaines” — affichent un grain plus marqué et une définition légèrement en retrait. On note aussi quelques rares traces résiduelles de dommages, mais rien de réellement gênant. Néanmoins, on est bien loin de la qualité VHS dans laquelle le film est resté figé pour bon nombre de fans. Le format d’origine est parfaitement respecté, et la définition globale ne montre aucune faiblesse. Le résultat est un rendu HD soigné et immersif, à la hauteur des attentes pour une telle redécouverte, rendant enfin justice à la vision singulière d’Avery Crounse.
Son
Côté audio, la galette HD propose deux pistes DTS-HD Master Audio 2.0, en version originale sous-titrée et en version française. Le mixage est d’une clarté impeccable : aucun souffle ni parasite ne viennent troubler l’écoute. Les dialogues sont d’une clarté irréprochable et parfaitement équilibrés, tandis que la restitution acoustique impeccable de l’ambiance étrange et envoûtante du film — portée en grande partie par la partition atmosphérique de Brad « Terminator » Fiedel — renforce l’expérience immersive. Un sans-faute sonore, aussi bien en VO qu’en VF.
Interactivité
Le travail éditorial de cette édition ne se distingue pas seulement par sa qualité technique : bien que peu nombreux, les suppléments proposés par Rimini Editions se démarquent par leur richesse et leur pertinence. On y trouve un livret inédit de 24 pages signé Marc Toullec, offrant un éclairage passionnant sur le contexte de tournage et la portée du film. S’ajoute un entretien captivant avec le réalisateur Avery Crounse (28 minutes), enregistré en 2021, soit à peine deux ans avant sa disparition, où il revient sur sa carrière et l’histoire singulière de son premier long métrage.
Mais l’ajout le plus précieux de cette édition reste la version longue (1h48) du film, intitulée Crying Blue Sky. Ce titre original, que l’équipe du film avait du mal à comprendre à l’époque (sauf son auteur), reflète bien les intentions lyriques du réalisateur. Il s’agit du montage initial projeté en 1983, avant qu’Avery Crounse ne le raccourcisse de 22 minutes pour des raisons commerciales, sous le titre Eyes of Fire. Alors que la ressortie du montage cinéma constitue déjà un événement en soi, cette version longue inédite, exhumée par Severin Films en 2021, relève du miracle ! Elle offre un développement des personnages plus approfondi et une structure narrative modifiée, avec une situation enchâssante (le prologue et l’épilogue, donc) totalement différente. Ce montage rend justice au travail de scénariste de Crounse et troque la fin du montage cinéma, reposant sur un gimmick très conventionnel, pour une image finale envoûtante et éthérée, accentuant davantage la dimension féerique du récit. Il n’est pas interdit de préférer cette version à la précédente ! Côté technique, le film est proposé en VOST et en DTS-HD Master Audio 2.0, dans une copie HD provenant des archives personnelles du réalisateur. Bien que le master ne soit pas aussi immaculé que celui du montage cinéma, il offre un confort de visionnage suffisant ; les griffures et autres défauts ajoutent une ambiance « grindhouse » qui séduira les amateurs de pellicule.
Enfin, précisons que le visuel de la jaquette de cette édition reprend l’illustration de l’affiche originale dessinée par Avery Crounse lui-même. Pas mal pour un artiste presque tombé dans l’oubli !
Liste des bonus
Livret « Avery Crounse, entre deux mondes » écrit par Marc Toullec (24 pages), « Le Secret repose dans les arbres » : Interview de Avery Crounse par Stephen Thrower, historien du cinéma (28’), le film en version longue intitulé « Crying Blue Sky » (109’).