LES NIBELUNGEN
Die Nibelungen : Siegfried, Die Nibelunger : Krimhilds Rache – Allemagne – 1924
Support : Bluray
Genre : Aventure, Drame, Fantastique
Réalisateur : Fritz Lang
Acteurs : Margarete Schön, Paul Richter, Hans Adalbert Schlettow, Hanna Ralph, Theodor Loos, Rudolf Klein-Rogge…
Musique : Gottfried Huppertz
Durée : 149 et 130 minutes
Image : 1.33 16/9
Son : Musiques DTS HD Master Audio 5.1 et 2.0
Sous-titres : Français
Editeur : Potemkine Editions
Date de sortie : 3 septembre 2024
LE PITCH
Siegfried, fils unique du roi Siegmund, quitte son pays pour la Cour des Burgondes et obtenir la main de Krimhild. En chemin, il tue un dragon dont le sang, dans lequel il se baigne, lui confère une quasi invulnérabilité…
L’étoffe des héros
Longtemps invisible et auréolé d’une sombre réputation du fait de sa récupération par le Troisième Reich, Les Nibelungen de Fritz Lang est un film somme, un chef d’œuvre intemporel du Septième Art qui cent ans après sa sortie demeure toujours aussi époustouflant et moderne.
Considéré comme l’une des plus talentueuses et avant-gardistes du cinéma, l’œuvre de Fritz Lang entre peu à peu dans l’ère de la haute-définition suite aux récentes sorties de J’ai le droit de vivre (Studio Canal), Les espions ainsi que La femme sur la lune, tous deux chez Potemkine qui exploite à merveille l’imposant catalogue de MK2.
Ici, avec le centenaire (le film est sorti en 1924 en Allemagne) Les Nibelungen, c’est une nouvelle fois le label français Potemkine qui nous délivre un film aussi merveilleux que sulfureux. En effet, le film de Lang, qui s’ouvre sur l’intertitre « Au peuple allemand », est sans conteste un éloge du nationalisme allemand, sorti dans un contexte tourmenté de crise financière et politique dans un pays encore marqué par sa défaite durant la Première Guerre Mondiale et qui avait besoin de « héros » pour redorer son blason.
Alors que Fritz Lang s’exile vers les États-Unis dès 1933 et l’arrivée d’Adolf Hitler, peu après la sortie du Testament du Docteur Mabuse qui sera interdit par le nouveau régime, l’État nazi ressort alors la première partie du film, Siegfried, dans une version sonorisée, raccourcie et modifiée pour mieux coller à son idéologie…tout en dédaignant le second segment, bien plus ambigu. Bien qu’encore présenté comme un film de propagande par des historiens (voir les généreux bonus de cette superbe édition), il serait toutefois regrettable de ne le réduire qu’à cet aspect tant la dimension artistique du film semble avoir inspiré une part importante du cinéma mondiale, de l’Heroic fantasy en passant par le fantastique.
Apocalypse
Ce qui saute aux yeux du spectateur de 2024, c’est tout d’abord l’effarante modernité de l’œuvre : tout y est déjà ! Les scènes d’action sont incroyablement rythmées et lisibles, les effets spéciaux, pour l’époque, demeurent des moments de bravoure stupéfiants entre ce dragon cracheur de feu long de sept mètres, une insensée mer de flammes protégeant le royaume de Brunhild, un « dessin animé » (Le rêve du faucon) prédisant la chute de Sigfried tout comme cet arbre en fleur, symbolisant la vitalité du héros, qui dans un plan incroyable se transforme peu à peu en un crâne symbolisant sa mort…
Aussi bien inspiré par l’expressionnisme allemand et les toiles de maîtres comme Casper David Friedrich que par les autres films colossaux de l’époque comme Robin des bois ou Intolérance, Les Nibelungen déploient des décors somptueux et gigantesques réalisés notamment par le chef décorateur Otto Hunte, et qui avaient d’ailleurs subjugué un jeune visiteur du tournage, un certain Alfred Hitchcock. Des décors majestueux qui seront d’ailleurs réellement brûlés lors du final apocalyptique se déroulant durant la seconde partie, La vengeance de Krimhild. « Oublié » par l’État Nazi, ce second volet dépeint la terrible vengeance de la femme de Siegfried prête à tous les sacrifices et compromissions pour se venger de ses propres frères qui avaient assassiné le héros. Tourné en grande partie de nuit, fait rare à l’époque, ce final dépeint une véritable hécatombe causée aussi bien par l’inutilité d’une vengeance que par une loyauté inflexible qui se paye ici particulièrement cher.
Inspiré de la Chanson des Nibelungen, récit médiéval utilisé au début du vingtième siècle pour symboliser la nationalisme allemand, l’œuvre de Lang prend toutefois ses distances de l’opéra de Richard Wagner. En effet, ici point de dieux mais seulement des hommes et des femmes (qui tiennent ici des rôles prépondérants), tour à tour héroïques et fidèles mais aussi lâches et machiavéliques. Soutenu par une formidable Bande Originale signée Gottfried Huppertz et de grands acteurs du cinéma allemand de l’époque comme le Docteur Mabuse Rudolf Klein-Rogge ici en Attila, Les Nibelungen s’avère être une réussite totale et grâce à la restauration délicate réalisée se montre ici sous son plus beau visage et dans une version sans doute proche de l’originale. Un régal de cinéphile à ne louper sous aucun prétexte !
Image
Réalisée par Arte et la fondation F.W. Murnau en 2011, cette version restaurée a été faite à partir de négatifs originaux mais aussi de diverses copies pour obtenir la version la plus complète. Cela se ressent, les qualités d’images étant parfois contrastée. Toutefois, l’image (issue des négatifs?) s’avère parfois prodigieuse et on en oublierait presque le fait que le film a été colorisé tant les couleurs semblent nettes et naturelles. Il convient aussi de noter que la masterisation en Haute-définition a permis de gommer les principaux dommages du temps tout en stabilisant parfaitement l’image. Un travail d’orfèvre qui rend toute sa vitalité à ce film vieux de cent ans.
Son
Le mixage de la BO, parfaitement spatialisée, de Huppertz demeure l’une des incontestables réussites de cette restauration. Le Master audio 5.0 donne ainsi une belle ampleur à la musique.
Interactivité
Pour parachever cette édition historique, Potemkine nous propose près de trois heures de bonus vidéo ! Pour remettre l’œuvre dans son contexte trouble, le documentaire de Bernard Eisenschitz et l’analyse de l’historien William Blanc sont particulièrement précieux. On en apprend ainsi plus, entre autres, sur la réalisation ce fameux dragon, sur la visite d’Hitchcock sur le tournage, sur les incroyables décors de Hunte témoins d’un cinéma en pleine évolution. L’historien William Blanc revient aussi sur la signification de certaines images entre la judéité d’Alberich renvoyant au stéréotype antisémite, le coup de poignard dans le dos de Siegfried évoquant la défaite de l’Allemagne en 1918. Ou encore l’influence décisive de Théa Van Harbou, femme d’alors de Lang, qui soutiendra totalement le régime nazi par la suite…
Le documentaire allemand « L’héritage des Nibelungen » est également riche en informations, que ce soit sur le contexte historique et artistique, tout en revenant sur la réception du film, ses différentes versions… Enfin, la critique de cinéma Louise Dumas nous propose une analyse passionnante qui revient aussi bien sur la forme avec diverses scènes évoquant les futurs Dune ou Star Wars, que sur le fond avec notamment une belle comparaison entre la figure « realpolitik » de Hagen et la candeur du héros Siegfried.
Liste des bonus
« Malheur au peuple qui a besoin de héros, à propos des Nibelungen », documentaire de Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (2007, 21’) ; « L’Héritage des Nibelungen », documentaire de Guido Altendorf et Anke Wilkening (2011, 70’) ; « Les Nibelungen, échos de leur temps », analyse des références historiques par William Blanc, historien (2024, 31’) ; Analyse de séquences par Louise Dumas, critique de cinéma (2024, 60’).