LES MISÉRABLES (1958)
France, Italie, Allemagne – 1958
Support : Bluray
Genre : Drame
Réalisateur : Jean-Paul Le Chanois
Acteurs : Jean Gabin, Bernard Blier, Bourvil, Danièle Delorme, Béatrice Altariba, Giani Esposito, Silvia Monfort, Serge Reggiani, Fernand Ledoux…
Musique : Georges van Parys
Durée : 191 minutes
Image : 2.35 16/9
Son : Français DTS-HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français pour sourds et malentendants, Anglais
Editeur : Pathé
Date de sortie : 6 novembre 2024
LE PITCH
Jean Valjean, un paysan condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir volé un pain, sort du bagne après dix-neuf années, de multiples évasions ayant prolongées sa peine initiale. Son destin bascule lorsque l’évêque de Digne, Monseigneur Myriel, lui évite d’être de nouveau incarcéré. Dès lors, Jean Valjean va s’évertuer à ne faire que le bien autour de lui au détriment de son propre bonheur.
Le monument français
Enfin disponible chez nous en Bluray, Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois se sera fait vraiment attendre, surtout que cette adaptation peut dans un certain sens être vu comme une pierre angulaire dans le paysage cinématographique français.
Car elle sort juste près d’un siècle après la sortie du roman éponyme de Victor Hugo et marque la fin d’un cinéma élevé dans la tradition d’une dramaturgie théâtrale et d’une direction en studios. Pour preuve, cette adaptation est distribuée dans les salles quelques mois seulement avant l’essor révolutionnaire de la Nouvelle Vague. Il en résulte une fresque à l’ampleur prononcée, par sa maturité héritée non seulement d’un cinéma classique vieux de plusieurs décennies, mais aussi d’un siècle d’intégration du célèbre classique de la littérature romantique. Les Miséréables version 1958 s’affirme ainsi comme la fin d’une époque cinématographique, celle de réalisateurs purement traditionnels qui n’hésitent pas à s’appuyer sur des écrits ou des sujets préexistants en prenant le soin de reconstituer leurs décors intrinsèques en studios, en convoquant des acteurs issus des planches pour mieux fabriquer, peaufiner, maniérer leurs morceaux de cinéma avant de laisser la jeunesse imminente descendre la caméra dans la rue…
L’une des meilleurs et plus fidèles adaptations
Pour ce faire, Jean-Paul Le Chanois s’entoure d’une équipe artistique impressionnante pour adapter le roman de Victor Hugo, pour en conserver le caractère épique et majestueux, la fibre lyrique et la profondeur existentielle. Il y va déjà d’un casting proprement flamboyant : Jean Gabin dans le rôle de Jean Valjean, Bernard Blier dans celui de Javert, Bourvil dans la peau de Thénardier, Danièle Delorme dans celle de Fantine ou encore Serge Reggiani incarnant le révolutionnaire Enjolras… Outre l’excellence de tous les interprètes et leur pertinence physionomique quant aux personnages originaux les dialogues co-écrits par Barjavel (mêlés à la simplicité des mots de Hugo, mots cités à plusieurs reprises par la voix-off d’un narrateur omniscient) participent à cette flamboyance, cette luxuriance poétique inhérente à l’œuvre. La composition un brin emphatique (mais superbe !) de Georges Van Parys parachève la magnifique fresque de Jean-Paul Le Chanois au gré d’une poignée de thèmes souvent identifiables à un personnage en particulier.
Difficile alors (impossible, même !) de voir Les Misérables sans faire le parallèle avec le classique de Victor Hugo, tant le réalisateur (également co-auteur du film) s’attèle à retranscrire scrupuleusement l’univers romantique du roman, ses lieux, ses personnages et sa temporalité. Gabin est exemplaire en Valjean (crédible serait un bien faible mot pour l’occasion…), intériorisant naturellement la profonde tristesse morale de l’ancien forçat pour mieux laisser place au charisme du maire de Montreuil sur Mer, avec un jeu placide et laconique, parfois à la limite de l’expéditif : il est extraordinaire. Blier, quant à lui, joue la carte du minimalisme en incarnant l’inspecteur Javert avec un certain professionnalisme, un phrasé cassant et une prestance retenue, comme sur la défensive : impeccable. Il en va de même pour Bourvil livrant un délicieux rôle de composition en la figure de Thénardier, pour la très émouvante Silvia Monfort jouant sa fille Eponine et pour Reggiani incarnant l’éternelle jeunesse libertaire avec Enjolras… Le Paris du XIXème siècle est magnifiquement reconstitué, la plupart du temps autour de quelques scènes emblématiques (la scène des égouts, l’apparition idyllique de Marius au jardin du Luxembourg, les modestes chambres de bonne contrastant avec les intérieurs bourgeois, aristocratiques et bien sûr les barricades…). L’épopée politique se conjugue à la beauté spirituelle des idéaux des différents personnages, chacun étant un « misérable » à sa façon.
Les bons et les moins bons
Jean Valjean est probablement LE misérable de l’œuvre : le miséricordieux, surtout. Il cherche le pardon en pardonnant aux autres leur médiocrité (la mesquinerie de Javert, l’hypocrisie des Thénardier ou encore la pédanterie de Marius). Valjean est une figure de la culpabilité mettant un point d’honneur à transmettre la bienfaisance que le Monseigneur Myriel lui a offert par l’entremise de chandeliers. Javert quant à lui est un peu à l’opposé de Jean Valjean, ne jurant que par l’application de la Loi : son idéal moral se trouve dans sa droiture inébranlable, ce qui en fait finalement un beau personnage malgré sa rigidité. Thénardier est un misérable dans la mesure où son éthique personnelle se résume à l’opportunisme le plus redoutable et le plus exécrable : un pauvre qui rêverait à être riche, pour n’en devenir que davantage miséreux. Sans oublier Fantine, Cosette, Eponine et Gavroche, enfants de rien mais surtout enfants de tendresse, partageant une pauvreté apparente mais aussi une richesse intérieure admirable (la famille, qu’elle soit consanguine ou spirituelle est avant tout un don, un pardon).
C’est cette sublimation de l’âme propre au roman de Victor Hugo que Jean-Paul Le Chanois parvient à retranscrire de façon remarquable (la séquence de la « tempête sous un crâne » est en ce sens exemplaire en plus d’être belle à pleurer) respectant les personnages et les situations avec rigueur et modestie. Les Misérables parvient à émouvoir véritablement dans sa théâtralité gouailleuse et sa poésie romantique et romanesque, deux aspects qu’il conjugue admirablement. La mort du personnage d’Eponine est bouleversante, évoquant forcément le célèbre ouvrage d’Eugène Delacroix et sa symbolique de l’acte révolutionnaire. Un très grand film.
Image
La copie ici présente a été restaurée à partir d’un scan 4K par L’Image Retrouvée sous la supervision de Pathé Films en 2021, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est magnifique. Le piqué s’avère solide, la colorimétrie sublime et les photogrammes ont été nettoyés avec soin, tout en préservant le grain d’origine, On peut parler ici de véritable redécouverte tant l’image affiche une forme splendide.
Son
Rien à redire, c’est parfait, aucun défaut à déplorer, la piste mono d’origine a vraiment fait l’objet d’une magnifique restauration.
Interactivité
Avec « Les Misérables de Victor Hugo, adaptation cinématographique d’une œuvre majeure », Delphine Gleizes, professeur des universités en littérature française du XIXè siècle, et Arnaud Laster, président de la société des amis de Victor Hugo, reviennent sur le roman de Victor Hugo, le fait qu’il soit devenu aussi populaire un peu partout dans le monde, ils abordent le célèbre écrivain, ils reviennent aussi sur Jean-Paul Le Chanois, en faisant le parallèle entre le réalisateur et l’écrivain. Un segment très passionnant et ludique.
Nous avons droit aussi à deux interviews d’époque de quelques minutes de Jean-Paul Le Chanois et Bernard Blier, où le réalisateur parlait notamment de façon très pertinente de son adaptation.
Liste des bonus
“Les Misérables de Victor Hugo, adaptation cinématographique d’une œuvre majeure”, interviews d’époque de Jean-Paul Le Chanois et Bernard Blier.