Les grandes manœuvres a tout de ces films estampillés de qualité française avec un metteur en scène de renom, des acteurs de prestige et ce charme faussement désuet. Sous couvert de comédie, René Clair s’amuse à décortiquer avec malice la petite vie d’un bourg comme tant d’autres. Sous ses aspects bien propres sur lui, ce village s’alimente de potins et d’on-dit comme seule la perverse nature humaine sait le faire.

Ce tumulte sera provoqué par le beau lieutenant du 33eme Dragons. Dragueur notaire, collectionneur de jupons, il trompe son ennui en pariant avec son régiment de pouvoir séduire n’importe quelle donzelle. Mais oh surprise ! La victime en question sera loin d’être aussi naïve que prévue. Le scénario en soi n’a rien de vraiment original. Il pourrait s’apparenter à une retranscription de pièce de théâtre à la Molière mais sous la caméra de René Clair et du scénariste Jérôme Geromini ce sera plus du côté de l’œuvre de Maupassant qu’il faudra se tourner par sa description de la vie de ce village pas si tranquille.

Alchimie

On a certainement un peu de difficulté aujourd’hui à imaginer l’impact d’un acteur comme Gérard Philippe, voguant de succès en succès, au physique avantageux et au jeu naturaliste. Il campe avec aplomb cette figure de séducteur avec une goujaterie étincelante. Ce personnage de Don Juan lui colle à la peau, il le retrouvera quelques années plus tard en interprétant celui de Valmont dans Les liaisons fatales version Roger Vadim.

L’enjeu du pari est cette fois-ci les beaux yeux de Michelle Morgan qui a définitivement quitté les brumes des quais pour ceux plus tranquilles de la province. Femme divorcée, elle venait refaire sa vie loin de la grande ville et de ses médisances. Mais les commérages ne cessent pas et les mensonges du lieutenant beau parleur non plus. Dommage pour elle. Ce jeu de séduction sera élevé par un vrai travail de dialoguiste au piment à peine volé. Mais que serait ce face à face s’il n’était pas rehaussé par des antagonistes de renom. Parmi eux Yves Robert, truculent en officier notaire essayant désespérément de jouer des mécaniques aux côtés de la toute jeune Brigitte Bardot bien loin du sex-appeal qu’elle développera à l’avenir. Bien entendu, le bellâtre avait omis le paramètre coup de foudre et ses trahisons serviront de rempart au cœur tiraillé de Michelle Morgan. René Clair opte pour les points de vue, ses gracieux points de montage par mouvement latéral illustrent fort bien ses propos. Commencé dans la comédie, le film bifurque peu à peu vers le spectre de la dramatisation. L’élégance des costumes et le soin apporté aux décors sont autant façade à cette vie de village où tout le monde épie tout le monde.

Le public séduit, se ruera en masse dans les salles pour succomber aux charmes de ces amours contrariées. Les retrouvailles de Michelle Morgan et Gérard Philippe après Les orgueilleux attireront plus de cinq millions de spectateurs. Manœuvres ou pas, ce qui est sûr, c’est qu’ils ont tous des grands.