LES CRIMES DU FUTUR
Crimes of the Future – Canada, France, Grèce, Royaume-Uni – 2022
Support : Bluray
Genre : Science-fiction
Réalisateur : David Cronenberg
Acteurs : Kristen Stewart, Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Don McKellar, Scott Speedman, Welket Bungué
Musique : Howard Shore
Durée : 107 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Anglais et Français DTS HD Master Audio 5.1
Sous-titres : Français
Editeur : Metropolitan
Date de sortie : 26 septembre 2022
LE PITCH
Alors que l’espèce humaine s’adapte à un environnement de synthèse, le corps humain est l’objet de transformations et de mutations nouvelles. Avec la complicité de sa partenaire Caprice, Saul Tenser, célèbre artiste performer, met en scène la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Timlin, une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leurs pratiques. C’est alors qu’un groupe mystérieux se manifeste : ils veulent profiter de la notoriété de Saul pour révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine…
Esprit de corps
Miné par les problèmes de financement à répétition et la tentation de se reconvertir définitivement dans l’écriture, David Cronenberg avait fini par laisser planer le doute sur son retour derrière la caméra. Mais voilà, huit ans après Maps To The Stars, le pape de la Nouvelle Chair est bel et bien de retour avec une œuvre somme d’une richesse thématique presque intimidante, entre humour à froid, vague à l’âme, hermétisme et soif d’expérimentations.
« Œuvre somme ». Un terme un peu paresseux bien que se justifiant par une orgie auto-référentielle qui ne pourra pas échapper aux cinéphiles connaissant un tant soit peu la filmographie de David Cronenberg. Un titre repris d’un long-métrage de jeunesse (Crimes Of The Future, en 1970), une biologie qui évolue vers de nouvelles mœurs alimentaires et qui contaminent de plus en plus la population (Rage), des excroissances et des organes mutants dont la fonction reste encore à définir (Chromosome 3, La Mouche, Faux-Semblants), le meurtre d’un enfant, monstrueux ou pas (Chromosome 3, A History of Violence), la symbolique du tatouage (Les Promesses de l’Ombre), une technologie futuriste s’appuyant sur la bio-mécanique (Videodrome, eXistenZ), des dialogues hermétiques flirtant avec l’absurde, ce qui ne les empêchent pourtant pas de faire sens (Spider, Cosmopolis), un gourou/artiste/scientifique fasciné par le lien entre l’esprit et la chair (Videodrome, Chromosome 3, La Mouche, A Dangerous Method), le trouble sexuel (Frissons, M. Butterfly, Crash), la fascination pour l’acte chirurgical (Faux-Semblants), un agent double (Scanners, Videodrome, eXistenZ, Les Promesses de l’Ombre), une faction révolutionnaire (Videodrome, eXistenZ) et, en point d’orgue, les larmes versées sur ce qui fut et ne sera plus jamais (La Mouche). Ce qui ne veut pas dire que Les Crimes du futur cuvée 2022 soit un film s’arcboutant sur le passé ou que le cinéaste canadien ait viré gâteux ou cynique en se lançant dans une entreprise de fan-service d’auteur. Par la nature même du genre qu’il aborde – la science-fiction, donc – et par souci de cohérence avec le titre choisi, Cronenberg fait face à l’avenir, avec une lucidité et une curiosité qui pourrait faire rougir de honte toute une jeune génération de cinéastes enfermés dans une nostalgie étouffante. Contre toute attente et malgré la noirceur et l’ascétisme de son imagerie, Les Crimes du futur est un film drôle et ludique comme eXistenZ ou Cosmopolis avaient pu l’être, espiègle et un brin moqueur comme peut en témoigner cet échange entre deux personnages à l’issu du show prétentieux d’un danseur à la bouche et aux yeux cousus et au corps recouvert d’oreilles greffées un peu partout (« Il a le surround, et alors ? »).
(R)évolution
S’interroger sur l’art, c’est s’interroger sur le monde qui nous entoure et telle est la quête de Saul Tenser, personnage principal des Crimes du futur et alter-égo évident de David Cronenberg interprété par un Viggo Mortensen qui se risque avec bonheur à entretenir un certain mimétisme avec son réalisateur fétiche et ami. Lorsque Tenser, pour sa première apparition à l’écran, se réveille d’un sommeil agité et prêt à livrer une nouvelle création, comment ne pas établir de parallèle avec Cronenberg lui-même, privé de cinéma pour la plus longue période de sa carrière ? Entre pandémie, crise climatique et impasses artistiques, la période est propice à l’inspiration et à la réflexion. Et le soi-disant retour vers le gore et le body-horror auquel on associe un peu trop facilement le cinéaste agit une fois encore en trompe l’oeil. Car la démarche des Crimes du futur est avant tout intellectuelle et l’esprit, par son fonctionnement et par ce qu’il peut produire, est au centre de toutes les attentions.
Les protagonistes de Cronenberg n’évoluent pas que par l’action, laquelle est même le plus souvent cryptique, mystérieuse, pulsionnelle ou vaine. Ils réfléchissent, s’interrogent, affirment, bégaient, se ravisent et théorisent. Avec en toile de fond un monde que l’on devine pré-apocalyptique, bouffé par la corrosion et gagné par l’obsolescence et le désœuvrement, le récit nous emmène cahin-caha dans sa première moitié vers une impasse que l’on devine peu à peu. Quel est le rapport entre l’esprit et cette biologie, ces nouveaux organes qui apparaissent comme autant de tumeurs à extraire pour mieux les observer et les exposer ? Les mutations qui s’imposent à l’humanité ne seraient-elles que chaos et anarchie, un ultime sujet de réflexion pour combler le vide existentiel et sensoriel qui avance à la vitesse d’un cancer et dévore la société comme la rouille dévore ces carcasses de bateaux échoués ? Ces questions ne trouvent par l’ombre d’une réponse car elles oublient dans un réflexe nombriliste le paramètre le plus important, celui qui devrait nous sauter aux yeux : l’environnement. Faisant le lien entre sa scène d’ouverture (un enfant qui se met à dévorer une poubelle en plastique) et un groupe de révolutionnaires auquel Saul Tenser s’intéresse pour des motifs que nous ne révèlerons pas ici, Cronenberg introduit la notion d’écologie dans son équation favorite (le corps ou l’esprit, l’œuf ou la poule ?), suggérant de la part de l’évolution une forme de justice poétique ET politique. La Nouvelle Chair n’est plus le fruit du hasard et il se pourrait bien que le cinéma du réalisateur du Festin Nu ouvre par cette mutation inattendue une nouvelle voie et de nouvelles pistes créatives. On n’en attendait pas moins.
Image
En dehors de quelques rares matières fluctuantes dans les ombres (typique d’une capture numérique) le master proposé est d’une belle précision, fermement contrasté et maitrise parfaitement sa photographie chair et froide.
Son
Toujours aussi envoutante, la piste sonore originale disposée en DTS HD Master Audio 5.1 joue avec finesse sur les compositions fluides et inquiétantes d’Howard Shore tout en préservant la clarté plus directe des personnages et les rares retours d’un monde extérieur.
Interactivité
On retrouve ici le pauvre making of accédant difficilement aux 5 minutes, seul bonus proposé sur l’édition américaine. Quelques petites phrases de tout de le monde, beaucoup d’admiration réciproque et quelques images de tournage déçoivent forcément par leur brièveté.
Heureusement l’éditeur français a enregistré une vraie interview du cinéaste dans laquelle il revient sur la redécouverte du scénario oublié, son étonnante modernité, les ramifications involontaires avec ses autres films et la manière dont la naissance de ce film inespéré (il avoue avoir alors imaginé que Map to the Stars serait son dernier film) n’a cessé de l’étonner. Toujours trop court mais très intéressant, franc et simple.
Liste des bonus
Entretien exclusif avec David Cronenberg (15’), Coulisses du tournage (4’), Bande-annonce.