LES CHIENS ENRAGÉS
Cani arrabbiati – Italie – 1974
Support : Bluray & DVD
Genre : Thriller
Réalisateur : Mario Bava
Acteurs : George Eastman, Riccardo Cucciolla, Aldo Caponi, Lea Lander, Maurice Poli, Erika Dario
Musique : Stelvio Cipriani
Durée : 96 minutes
Image : 1.85 16/9
Son : Italien et français DTS HD Master Audio 1.0
Sous-titres : Français
Éditeur : Sidonis Calysta
Date de sortie : 26 mai 2022
LE PITCH
En possession de l’argent volé à un transport de fonds dont ils éliminent l’un des convoyeurs, quatre braqueurs prennent la fuite devant la police. Si l’un d’eux est tué, les trois autres se couvrent en prenant en otage une femme ainsi qu’un automobiliste qui affirme conduire son garçonnet malade à l’hôpital. Commence alors une cavale où, à chaque instant, le pire peut arriver…
Le masque des démons
Dernier grand film de Mario Bava mais aussi grand film maudit qui dû attendre plus de vingt ans pour être enfin visible, Cani arrabbiati est une œuvre qui tranche brutalement avec le style et l’élégance habituelle du metteur en scène. Un ultime sursaut désespéré, sauvage et… enragé.
Conscient que le grand cinéma gothique et plus largement le fantastique à l’ancienne n’a plus vraiment le vent en poupe, se désespérant devant les échecs de ses dernières réalisations (on y trouve pourtant le magnifique Lisa et le Diable), Mario Bava vire totalement de bord en début avec des années 70. Un film presque uniquement tourné en extérieur, sans effets visuels maniéristes, sans filtres léchés, sans une once de surnaturel ou de délires pop, qui s’engouffre dans le trouble politique de la vague fructueuse des polars italiens tout autant que dans la mode survival / rape & revenge en vogue aux USA depuis le choc La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven. Malheureusement, alors que le tournage s’achève, la production est brutalement stoppée, les films confisqués suite aux manœuvres d’un producteur roublard, plongeant le film dans une situation inextricable qui persistera au-delà du décès du cinéaste. Le film était pourtant achevé à plus de 90%, la superbe musique, tendue et nerveuse de Stilvio Cipriani enregistrée, et il faudra la pugnacité de l’actrice Lea Lander, partiellement coproductrice, pour qu’en 1996 enfin un premier montage, extrêmement fidèle aux notes du réalisateur, puisse être présenté dans différents festivals et même diffusé dans l’inoubliable Quartier interdit de maitre Jean-Pierre Dionnet. Certes certains margoulins en seront ensuite de leurs propres versions, dont un remontage caviardé signé Lamberto Bava et le producteur Alfredo Leone, mais dans tous les cas il est évident que la carrière déclinante de Mario Bava aurait connu nouvel essor si le film avait pu sortir sur les écrans en 1974.
Le collier et Le fouet
Totalement extirpée de sa griffe esthétique, cette prise d’otage haletante, s’ouvrant sur un casse tournant en quelques seconde en véritable carnage, circonscrite à un seul et unique véhicule où se serrent trois truands et trois otages (dont un enfant sous calmants), s’avère particulièrement éprouvante. Tourné en conditions réelles, sur une véritable branche d’autoroute, multipliant les plans longs et les très gros plans sur les visages tendus, froids ou cruels d’un côté, terrifiés, voir hystériques de l’autre, Les Chiens enragés s’aborde comme une expérience sensorielle pesante, poisseuse, mettant le spectateur aux premières loges de la bestialité de deux des ravisseurs (dont 32 joué par l’imposant et flippant George Eastman), multipliant les coups de folies, les allusions cradingues, les humiliations et les tentatives de viol sur la pauvre Lea Lander. Le summum étant bien entendu atteint lors de la célèbre séquence ou les deux furibards oblige l’otage à uriner debout devant eux. Déjà au cœur de l’excellent La Baie sanglante, la misanthropie de Mario Bava, son incompréhension face au dérives violentes et aux valeurs en bernes de ses contemporains sautent ici à la gorge et ne la lâche plus, transformant le roadmovie en quasi-huis-clos, en cauchemar moderne, jusqu’au-boutiste, dont l’ultime pirouette, certes prévisible mais diablement efficace, renvoie tout le monde dos à dos dans la vilénie et l’avidité. Le dernier grand film de Mario Bava, et l’un de ses meilleurs tout simplement.
Image
Forcément, la copie HD de Les Chiens enragés n’atteint certainement pas les standards d’une grande restauration 4K de dernière bourre. L’ultime montage du film composé à la fois de bandes véritablement restaurées à la source, d’autres nettoyés numériquement et parfois de sources SD gonflées et réétalonnées pour s’intégrer à l’ensemble, affiche une forme fluctuante et une définition inégale. Cependant le rendu général est étonnamment homogène avec une colorimétrie maîtrisée qui adoucit les transitions (visibles tout de même) et un grain qui réussit à se stabiliser sur une même fréquence la plupart du temps. Un petit miracle là aussi donc.
Son
Même sensation de brusques changements avec des sonorités parfois claires et frontales passant en plein milieu de dialogues à un écho plus lointain étouffés. Encore une fois les origines compliquées du film sont en cause, mais l’aspect un peu brut ne dépareille pas dans le film, de toute façon parfaitement uniformisé par l’excellent BO de Cipriani. A noter la présence d’un doublage français, forcément tardif, qui agace par son mélange de surjeux et de prestations désincarnées.
Interactivité
Proposé en Bluray par Sidonis, Les Chiens enragés rejoint donc la superbe collection que l’éditeur a réservé à Mario Bava profitant donc d’un même Mediabook (avec un superbe visuel) comprenant à l’intérieur un livret complet et documenté signé Marc Toullec résumant parfaitement aussi bien le tournage que les multiples versions du film, et les disques Bluray et DVD. Sur le premier support surtout on trouve une nouvelle fois une gamme de suppléments qui raviront les cinéphiles. A commencer par le fameux montage « américain » du film supervisé par Lamberto Bava avec inserts de séquences inédites (et inutiles), des stock-shots pourris et une bande originale horripilante. Une version qui témoigne cependant à la fois de l’aura du film et de sa gestation chaotique… Même si Lamberto en défend farouchement la légitimité dans le documentaire « Con la Bava a la boca », hérité d’une ancienne sortie DVD, qui en plus d’explorer la fabrication de cette mouture donne la parole aux acteurs et aux collaborateur de Mario Bava pour retracer un tournage en pleine canicule et les déboires vécus avec le producteur escrocs de l’époque. Une making of rétrospectif plutôt complet auquel Sidonis a tout de même décidé d’ajouter une nouvelle présentation résumant plus ou moins tous ces points et signé Olivier Père, ainsi qu’une analyse plus poussée, portant aussi bien sur les liens avec le poliziottesco que sur les formes habituels ou inhabituelles du cinéaste, concoctée par le duo Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele auteur de l’ouvrage Mario Bava Le Magicien des couleurs. Avec tout ça, il serait malvenu de se plaindre.
Liste des bonus
Un livret rédigé par Marc Toullec (24 pages), « Kidnapped » : montage italien du film « Les Chiens enragés » (95’), Le film vu par par Olivier Père (32’), Présentation du film par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (22’), « Con la Bava a la boca » : documentaire (40’).