LES ANNÉES DE PLOMB 2 : TECHNIQUE D’UN MEURTRE + LA MORT REMONTE A HIER SOIR + LA GUERRE DES GANGS
Tecnica di un omicidio, La morte risale a ieri sera, Milano rovente –Italie – 1966, 1970, 1973
Support : Blu-Ray & DVD
Genre : Policier
Réalisateur : Francesco Prosperi, Duccio Tessari, Umberto Lenzi
Acteurs : Robert Webber, Franco Nero, Raf Vallone, Frank Wolff, Gabriele Tinti, Antonio Sabato, Philippe Leroy…
Musique : Robby Poitevin, Gianni Ferrio, Carlo Rustichelli
Durée : 97, 98 et 100 minutes
Image : 2.35 et 1.66 16/9
Son : DTS HD Master Audio 2.0 Français, italien, et anglais
Sous-titres : Français et anglais
Editeur : Éléphant Films
Date de sortie : 31 octobre 2023
LE PITCH
Technique d’un meurtre : John Harris est tueur à gages. Il décide de se retirer du métier après un dernier contrat…
La mort remonte à hier soir : Un inspecteur de police enquête sur la disparition d’une jeune femme, fille d’un veuf solitaire…
La guerre des gangs : Salvatore Cangemi gère un réseau de prostitution à Milan. Quand il refuse une proposition d’un trafiquant de drogue français nommé Roger Daverty, c’est toutes les affaires de Cangemi qui risquent de s’écrouler…
Autopsie d’un genre
Les éditions Éléphant Films continuent de garnir leur récente collection consacrée au Néo-polar italien avec une nouvelle salve comprenant trois titres très différents qui mettent en lumière les contours d’un genre encore trop méconnu dans nos contrées.
Longtemps délaissé, le Néo-polar italien, ou « Poliziottesco », attire désormais nos chers éditeurs français et c’est tant mieux ! Alors que d’autres maisons comme The ecstasy of films, Le chat qui fume, Artus ou les regrettés Néo Publishing avaient déjà jeté leur dévolu sur ces bobines sanglantes transalpines, Elephant Films s’est à son tour emparé du genre avec notamment une première sortie tant attendue en 2021 avec La trilogie du Milieu de Fernando Di Leo. Depuis, une collection « Les années de plomb » a vu le jour avec comme premières sorties en septembre dernier deux films du maître Fernando Di Leo (Mister Scarface et Colère noire) ainsi que Deux flics à abattre de Ruggero Deodato. Pour cette seconde fournée, Elephant Films nous a concocté un programme surprenant avec des films produits à des époques différentes : Technique d’un meurtre (1966), La mort remonte à hier soir (1970) et La guerre des gangs (1973).
American sniper
Bien que le poliziottesco ait explosé et se soit fait sa sulfureuse réputation durant les années 1970 et son contexte politique marqué, le film fondateur du genre, Bandits à Milan de Carlo Lizzani (on croise les doigts pour une sortie de ce film toujours inédit), a été réalisé en 1968. Alors que les polars des années 1970 s’inspireront des French Connection, Le parrain ou encore L’inspecteur Harry, ceux des années 1960 lorgnent plutôt vers les films de casse ou le film noir à l’américaine à l’instar du film de Francesco Prosperi, Technique d’un meurtre sorti en 1966. Ancien assistant de Mario Bava, Prosperi est surtout célèbre pour son « rape and revenge » La dernière maison sur la plage, mais il réalisera d’autres polars comme Requiem pour une canaille (avec de nouveau Webber en rôle-titre), Pronto ad uccidere ou encore Il commissario Verrazzano avec Luc Merenda.
Avec l’acteur Robert Webber (Les douze salopards) en premier rôle et une première partie qui se déroule à New-York, le long-métrage reprend de nombreux codes d’alors avec cette histoire maintes fois vue de tueur à gages souhaitant raccrocher après un dernier contrat…Loin des effusions de sang et de sexe des polars italiens des années 1970, le film de Prosperi est au contraire très sage, à l’image de son tueur solitaire qui s’intéressera à peine à la sublime Jeanne Valérie. Malgré une première partie américaine réussie où la froideur de Big Apple est parfaitement retranscrite, avec en prime une belle composition musicale de Robby Poitevin, le sujet perd de son intérêt par la suite. En effet, à peine Webber atterrit en France, que le film ne décolle plus et s’englue dans une enquête lente et tirée par les cheveux. Même si le final sordide virant au jeu de massacres n’oubliera pas de cocher les cases du film noir à l’issue tragique, et même si on appréciera de retrouver en second rôle le grand Franco Nero alors à l’entame de sa fameuse carrière, on peut difficilement classer ce film sympathique de Prosperi parmi les fleurons du Poliziottesco… au contraire des deux autres titres proposés !
Les milanais tuent le samedi
Outre les westerns (Un pistolet pour Ringo et Le retour de Ringo), les films d’aventure (Zorro) ou encore des gialli (Le papillon aux ailes ensanglantées), Duccio Tessari aura également réalisé quelques polars comme par exemple le sombre et violent Big guns avec Alain Delon en 1973. Quelques années auparavant, en 1970, il s’attaquait avec La mort remonte à hier soir à l’un des romanciers les plus célèbres d’Italie, Giorgio Scerbanenco. Souvent accolé à l’œuvre de Fernando Di Leo (qui adapta son œuvre pour La trilogie du milieu ou encore La jeunesse du massacre), l’écrivain milanais a écrit de nombreuses nouvelles policières qui inspirèrent d’autres réalisateurs comme Yves Boisset (Cran d’arrêt) ou Luigi Cozzi avec le très sympathique, mais toujours confidentiel, The killer must kill again.
Ironique et glaçant, le scénario est évidemment l’atout majeur de ce polar, régulièrement catégorisé comme un giallo. Il faut bien dire qu’on se rapproche plus d’une enquête policière classique menée par un duo de policiers aussi cools que désabusés, incarnés avec talent par Gabriele Tinti, le futur mari de Laura Gemser, et le regretté Frank Wolff (Il était une fois dans l’Ouest, Salvatore Giuliano…) qui se suicidera deux ans après ce film. L’action se fait ainsi rare, mais Tessari parvient à maintenir la tension après une première partie cherchant avant tout à poser les bases d’un récit nous emmenant dans l’enfer des maisons closes.
Même si on pourra se réjouir de la présence de la divine jamaïcaine Berryl Cunningham au casting, c’est bien celle de Raf Vallone qui vaut quasiment à elle seule la vision du film. Grand acteur du néo-réalisme italien (Pâques sanglantes, Riz amer, Le christ interdit…), il signe ici une performance remarquable et ambiguë d’un père très (trop ?) protecteur, constamment « empêché », que ce soit par sa condition physique (il boîte) que sociale (modeste employé de bureau) qui l’oblige à exercer son « enquête » le samedi, son seul jour de congé (le titre original du livre est d’ailleurs Les milanais tuent le samedi). Ce n’est pas un hasard si l’ultime image du film se focalisera sur son visage meurtri et dévasté par la souffrance. En somme, un très bon cru, l’un des meilleurs films de Duccio Tessari. Enfin, il convient de remarquer l’excellente BO composée par Gianni Ferrio accompagné pour l’occasion de la célèbre chanteuse italienne Mina.
Little Chicago
Après le film noir américain revisité dans Technique d’un meurtre et le polar « social » de Tessari, Elephant Films nous propose avec La guerre des gangs une autre facette, plus habituelle, du Poliziottesco. Tourné dans la foulée de la sortie de Le parrain (1972), le film en reprend quelques gimmicks comme l’obligatoire passage en Sicile et la présence de « la Famille ». Toutefois on reconnaît rapidement la « patte » d’Umberto Lenzi, l’une des maîtres incontestés du genre (La rançon de la peur, Brigade spéciale, Le cynique, l’infâme, le violent…), qui signait ici sa première incursion dans le néo-polar. Ainsi le cinéaste met en place les artifices qui feront de ses films des références : l’action ne faiblit quasiment jamais, les fusillades, les tortures et les violences envers les prostituées se succèdent…
Même s’il ne faut pas le confondre avec le film de Lucio Fulci sorti en 1980 (dont on attend avec impatience une édition Blu Ray) et qui porte le même titre français, les deux polars cultivent étrangement des similitudes. A l’image de Fabio Testi, le personnage joué par Antonio Sabato se révèle être un petit malfrat sans envergure, un « maquereau », plutôt « pacifique » qui se retrouvera finalement obligé de riposter face à la cruauté d’un parrain français venu inonder l’Italie de sa drogue… Un poil moins fou que le personnage joué par Marcel Bozzufi dans le film de Fulci, Philippe Leroy (Milan calibre 9, Le trou…) impressionne toutefois, comme toujours, et semble bien s’amuser dans ce rôle où il alterne sadisme, manipulation et snobisme.
Les autres seconds rôles excellent, à l’instar d’Antonio Casagrande, de Tano Cimarosa (Seule contre la Mafia, La mafia fait la loi…) ou de la fatale Marisa Mell (Danger Diabolik), mais on retiendra surtout l’intrusion dans cette histoire d’un « ami » américain incarné par Alessandro Sperli, et sa tronche patibulaire aperçue dans Cosa Nostra de Terence Young, sorti un an plus tôt. Venu se retirer en Sicile, il reprend finalement du service en redistribuant les cartes et en jouant les redresseurs de torts dans une cité milanaise qu’il rebaptise « Little Chicago » tant les exactions et règlements de compte se multiplient….
Cette fournée de néo-polars italiens ravira donc les aficionados du genre et promet de belles découvertes aux néophytes. Parsemées de BO efficaces typiquement seventies, de décors urbains froids et d’une violence exacerbée, les trois films proposés permettent également d’apprécier à juste titre les différents courants d’un genre prolifique dont nombre de perles restent encore inédites. Vivement la prochaine sortie des éditions Elephant, prévue en décembre, qui comprendra Les féroces de Romolo Guerrieri, La police a les mains liées de Luciano Ercoli et Magnum 44 Spécial de Stelvio Massi.
Image
Jamais sortis en DVD par le passé, les trois films arrivent dans nos contrées directement en haute-définition. Même si quelques défauts et marques su temps peuvent persister, comme sur le film de Prosperi, les versions présentées sont particulièrement satisfaisantes. Avec leur grain et leur aspect argentique conservés de belle manière, les Masters HD remplissent parfaitement leur rôle en restituant les travaux des directeurs de la photographie, on retiendra notamment la patte de Lamberto Caimi sur le film de Lenzi. Enfin, la définition s’avère être très correcte et le niveau de détails est appréciable.
Son
Éléphant Films a pris le parti de proposer les films en trois versions : italienne, française d’époque et anglaise. Les trois masters mono sont équilibrés, bien que légèrement feutrés, post-synchronisation oblige. Au niveau du mixage, les compositions musicales de Poitevin, Rustichelli et Ferrio sont parfaitement rendues et enivrent nos oreilles de ses sonorités typiquement « seventies ».
Interactivité
Les steelbooks sont de toute beauté, et les films existent aussi en édition simple, Blu-Ray et DVD, avec jaquette réversible reprenant l’affiche originale. Comme sur les sorties de septembre, on retrouve avec plaisir un livret concocté par le spécialiste Alain Petit (20 ans de western italien). Agrémenté de nombreuses illustrations, il est un indispensable complément permettant de mieux connaître les protagonistes de ces films ainsi que le contexte dans lequel ils ont été créés.
En ce qui concerne les bonus vidéo, le duo composé de Romain Vandestichele et Gérald Duchaussy, co-auteurs de Mario Bava-le magicien des couleurs, analyse les films de Prosperi et Tessari. Ils replacent les films dans leur genre, et nous partagent leur passion pour le cinéma Bis italien.
Enfin, sur les bonus de La guerre des gangs, c’est Yal Sadat qui s’y colle. Lauréat du Prix du meilleur ouvrage français sur le cinéma pour le livre Vigilante : la justice sauvage à Hollywood, l’auteur spécialiste des polars 70’s éclaire le film par sa connaissance du genre.
En somme, des bonus complémentaires et parfaitement cohérents.
Liste des bonus
Livret « Les années Plomb- Volume 2 » d’Alain Petit (24 pages)
Technique d’un meurtre : : Le film par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (2023, 24’)
La mort remonte à hier soir : Le film par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (2023, 23’)
La guerre des gangs : Le film par Yal Sadat (2023, 26’).