L’EMPIRE DES SENS
愛のコリーダ– France, Japon – 1976
Support : UHD 4K & Bluray
Genre : Érotique, Drame
Réalisateur : Nagisa Oshima
Acteurs : Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji, Aoi Nakajima, Yasuko Matsui, Meika Seri, Kanae Kobayashi, Taiji Tonoyama, …
Musique : Minoru Miki
Durée : 108 minutes
Image : 1.66:1, 16/9ème
Son : Français & Japonais 1.0 DTS-HD
Sous-titres : Français
Éditeur : Carlotta Films
Date de sortie : 18 juin 2024
LE PITCH
1936, dans les quartiers bourgeois de Tokyo. Sada, ancienne prostituée devenue domestique, aime épier les ébats amoureux de ses maîtres. Kichizo, son irréfrénable patron, l’entraîne bientôt dans une escalade sexuelle sans bornes…
Les Amants criminels
Le 27ème coffret Ultra Collector de Carlotta déroule le tapis rouge à L’Empire des sens de Nagisa Oshima dans une copie intégrale et restaurée et sur support Ultra Haute-Définition. L’écrin ultime pour le chef d’œuvre sulfureux d’un cinéaste contestataire, farouchement indépendant et en quête de transgression. L’Amour avec un grand A, envers et contre tous et jusqu’à la mort.
Le 20 mai 1936, dans une auberge de Shinagawa, à Tokyo, Sada Abe, activement recherchée par la police depuis trois jours, est arrêtée, sans opposer de résistance. Son crime ? Le meurtre par asphyxie érotique de son amant, Kichizo Ishida, suivi de son émasculation. Parmi les effets personnels de Sada Abe au moment de son arrestation, les enquêteurs retrouvent ainsi les organes génitaux de Kichizo, enroulés dans les pages d’un magazine. Englué dans un élan belliciste qui va le mener tout droit à la Seconde Guerre Mondiale, le Japon ultra-conservateur de l’époque se prend de fascination pour ce crime hors norme, commis non par jalousie mais par amour.
Le parcours de Sada Abe, tragique et misérable, incite à la clémence et elle est finalement condamnée à six ans d’emprisonnement. L’accusation avait requis dix ans et Abe souhaitait la mort. Graciée par l’empereur en 1940, elle sort de prison au mois de mai 1941 et tente de disparaître dans l’anonymat. Peine perdue. Présentée comme une menace pour le patriarcat et l’exemple type des méfaits d’une sexualité libérée avant la guerre, elle est repeinte en icône libertaire et anarchiste après la fin du conflit. La littérature s’empare alors de son histoire. L’écrivain Ango Sakaguchi publie en 1947 « Les confessions érotiques d’Abe Sada » dans la foulée d’un entretien avec cette dernière. L’année suivante, Sada écrit sa propre autobiographie pour rétablir SA vérité. Jusqu’en 1970, elle va tenter de profiter de son étrange notoriété avant de disparaître définitivement de la sphère publique, la date de son décès restant un mystère qui ne sera probablement jamais résolu.
Ça tourne à Kyoto !
Le cinéma ne pouvait rester indifférent à l’histoire de Sada Abe mais il faut attendre les années 70 pour que les cinéastes et les studios nippons trouvent le courage de se confronter à un sujet aussi vénéneux. Reconnu pour son apport au genre ero-guro, Teruo Ishii fait tourner la véritable Sada Abe en 1970 dans son film omnibus Déviances et passions où un sketch est consacré à son histoire. Spécialisée dans la production de pinku-eiga (ou romans porno), la Nikkatsu tente une approche mélodramatique et biographique avec La Véritable histoire d’Abe Sada que réalise Noboru Tanaka et qui sort au Japon en février 1975 (un film que Carlotta a d’ailleurs eu la bonne idée d’inclure dans le présent coffret). Le film de Tanaka marche sans surprises sur des œufs et préfère livrer un portrait de femme un peu à l’eau de rose en lieu et place d’un pur produit d’exploitation, un écueil qu’il n’évite d’ailleurs pas totalement. Mais il s’agissait ici surtout pour la Nikkatsu de griller la politesse à Nagisa Oshima et à Koji Wakamatsu, deux trublions de la Nouvelle Vague qui, si l’on en croit les rumeurs, tentent alors de monter leur propre version loin du regard de la presse et avec l’appui d’un célèbre producteur français, Anatole Dauman.
Alors qu’il pensait en avoir fini avec le cinéma, le réalisateur de Contes cruels de la jeunesse et de Journal d’un voleur de Shinjuku s’est entiché de l’histoire de Sada Abe et prévoit de livrer un brûlot révolutionnaire où les scènes de sexe ne seraient pas simulées. Protégé par ses investisseurs, Oshima réalise en fait son pari le plus fou en tournant secrètement dans les studios de la Daiei à Kyoto et en expédiant tous les rushes à Paris, contournant ainsi les lois de son pays. D’un tournage à haut risque émerge un essai érotique d’une radicalité encore jamais vue.
Love
Présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs en 1976, L’Empire des sens déchaîne les passions et Oshima est conscient de risquer un procès à son retour au Japon. Un procès qu’il appelle secrètement de ses vœux et dont il espère se servir comme d’une tribune contre la système politique et culturelle de son pays.
Dans sa volonté manifeste d’abolir les frontières entre l’érotisme et la pornographie, entre la raison et la folie, entre Eros et Thanatos, L’Empire des sens est assurément l’un des films les plus courageux de l’histoire du 7ème Art. Au travers d’une mise en image d’un classicisme assumé, Oshima présente l’acte sexuel pour ce qu’il est : une preuve d’amour autant qu’un acte de défiance et un cri de liberté envers la société. S’il présente au départ le personnage de Kichizo (Tatsuya Fuji) comme un mâle dominant, exerçant un quasi-droit de cuissage sur la servante Sada Abe, il renverse très vite la situation. La passion qui dévore et qui anime le couple fait tomber les barrières sociales : Sada domine sexuellement Kichizo mais Sada est elle-même incapable de se passer de l’amour de Kichizo et en réclame l’exclusivité. C’est la plus surprenante des leçons que l’on retire du film d’Oshima : le sexe transcende l’amour jusqu’à la fusion de la chair et de l’âme et au Diable la société, ses règles et ses normes. Sous une forme feignant le contrôle et la retenue, Nagisa Oshima opère le dérèglement ultime des sens et des conventions. Faussement linéaire, la narration enferme le spectateur dans une spirale infernale où la stimulation est constante, fiévreuse, intense. L’Empire des sens n’est pas un film érotique classique mais un huis clos qui se referme sur son public telle une plante carnivore. On reste évidemment sans voix devant les prises de risques insensées d’un casting qui n’a peur de rien et où se démarque la prestation émouvante et troublante d’Eiko Matsuda. Au centre du récit (mais comment pouvait-il en être autrement ?) son interprétation d’Abe Sada est un portrait de femme d’une sincérité désarmante et sans doute l’une des plus belles représentations sur pellicule du plaisir absolu.
Intemporel, choquant, excitant, à la fois délicat (les décors, les costumes, la musique) et viscéral, spirituel et provocateur, L’Empire des sens est un film unique, sans véritable descendance (toutes proportions gardées, Love de Gaspar Noé est sans doute le seul à s’être aventuré sur le même terrain, la puissance symbolique en moins) et le point névralgique de la filmographie de son auteur. Lequel, jamais là où on l’attendait, se fera un malin plaisir d’en prendre le contre-pied idéal avec son film suivant, mélange de film noir et d’histoire de fantômes, le tout aussi indispensable Empire de la passion.
Image
Issu d’une restauration réalisée en France en 2017, ce nouveau master, d’une propreté indiscutable, peut surprendre par son traitement des couleurs et des teintes carnées. La restitution des chairs, des textiles et des lumières ne répond pas aux critères habituels de la HD, favorisant les imperfections et des contrastes chauds qui suggèrent l’emploi de filtres. Il en résulte une image que l’on presque qualifier de « moite » et qui sied parfaitement à l’expérience souhaitée par le réalisateur et son directeur de la photographie Hideo Ito.
Son
Les pistes son ont également été nettoyées avec un traitement royal qui joue la fidélité à la source d’origine. Doublée avec un grand soin, la version française conserve les râles et les soupirs de plaisirs du casting original dans un montage son bluffant. La musique bénéficie d’une présence plus évidente en version originale. Point de bidouillages intempestifs mais du mono de tout premier ordre et sans le moindre accroc.
Interactivité
Pantagruélique, elle fait honneur au film d’Oshima même si le cinéaste, décédé en 2013 en est bizarrement le grand absent. Comme pour tous les coffrets Ultra Collector de l’éditeur, le premier supplément est un superbe ouvrage de 160 pages du spécialiste Stéphane du Mesnildot qui relate l’histoire d’Abe Sada et la bataille artistique de Nagisa Oshima pour la porter à l’écran sans aucunes concessions. Un récit passionnant qui mériterait un film à lui seul. Sur le premier disque où se trouve le film, plusieurs documentaires reviennent sur le tournage et la postérité du film. Dans une série d’entretiens d’une durée de 40 minutes, Koji Wakamatsu, Yoichi Sai (premier assistant) et quelques autres reviennent sur la production rocambolesque de L’Empire des sens avec quelques anecdotes de tournage. Plus riche en images d’archive, plus long et plus analytique, le documentaire de 2010 « Il était une fois … L’Empire des sens » réalisé par David Thompson et jadis diffusé sur Arte donne un meilleur aperçu des retombées de la sortie du film en 1976 et propose même un court extrait d’une interview de la véritable Abe Sada. De retombées médiatiques, il en est également question dans un entretien inédit avec Tomuya Endo (chanteur et historien du cinéma) qui livre un portrait fascinant de l’actrice Eiko Matsuda, de ses premiers pas au théâtre à une fin de carrière marquée par une certaine mise à l’écart, la maladie et l’anonymat. Ce premier disque est complété par une dizaine de minutes de scènes coupées qui enrichissent certains moments phares du film de détails triviaux.
Le festin se poursuit sur une deuxième galette (au format blu-ray et UHD, comme la première, soit un total de 4 disques !) qui propose L’Empire de la passion, faux frère de L’Empire des sens, dans un master restauré de toute beauté ainsi que La véritable histoire d’Abe Sada de Noboru Tanaka (là encore, dans une copie cristalline). Récit atmosphérique et rurale où des amants criminels sont persécutés par le fantôme récalcitrant du mari assassiné pour L’Empire de la passion et pinku eiga tiraillé entre les normes du genre et un portrait féministe mais pas trop pour La véritable histoire d’Abe Sada, soit deux longs-métrages qui permettent au cinéphile encore débutant de comprendre tous les aspects de l’histoire racontée par Oshima ainsi que l’anticonformisme du cinéaste nippon. Un doublé inespéré qui se voit agrémenté de bonus spécifiques avec 14 minutes d’entretiens avec une partie de l’équipe de L’Empire de la passion (notamment Koji Wakamatsu et Yoichi Sai, encore eux) et un court segment sur le cinéma érotique japonais, son histoire et ses thématiques.
S’il vous reste encore de l’appétit après ce repas déjà copieux, on vous recommande un petit tour sur Youtube où il est possible de trouver une masterclass de Nagisa Oshima enregistrée en 1986 à la Cinémathèque Française.
Liste des bonus
Livre La Révolte de la chair par Stéphane du Mesnildot (160 pages), L’Empire de la passion (1978, 105’), La véritable histoire d’Abe Sada (1975, 77’), L’Histoire du film (41’), « La Passion selon Eiko Matsuda » (26’), 6 scènes coupées (12’), « Il était une fois… L’Empire des sens » de David Thompson et Serge July (54’), Bande-annonce originale, Sur le tournage (14’), Cine Eros Made In Japan (16’), Bandes-annonces originales.