L’EFFRAYANT DOCTEUR HIJIKATA
江戸川乱歩全集 恐怖奇形人間 – Japon – 1969
Support : Bluray
Genre : Horreur
Réalisateur : Teruo Ishii
Acteurs : Teruo Yoshida, Yukie Kagawa, Teruko Yumi, Mitsuko Aoi…
Musique : Hajime Kaburagi
Image : 2.35 16/9
Son : Japonais DTS HD Master Audio 2.0 mono
Sous-titres : Français
Durée : 99 minutes
Éditeur : Le Chat qui fume
Date de sortie : 1er octobre 2023
LE PITCH
Hirosuke Hitomi, étudiant en médecine, souffrant d’amnésie, est interné dans un hôpital psychiatrique. Parvenu à s’en évader, on l’accuse faussement du meurtre d’une jeune femme. Au cours de sa cavale, il découvre la photographie d’un homme mort récemment, Genzaburô Komoda, qui est son parfait sosie. Hirosuke prend son identité et s’introduit au sein de la famille du défunt. En enquêtant sur ses origines, le jeune homme trouve des indices qui le mènent jusqu’à une île où règne en maître un scientifique fou et dangereux, Jogoro, qui transforme les hommes en créatures monstrueuses, et les femmes en esclaves.
Le démon dans l’île
Longtemps presque introuvable à l’international et tout simplement invisible en France (en dehors de quelques chanceux en festival), L’Effrayant Docteur Hijikata, ou Horrors of Malformed Men en anglais, reste certainement le film le plus libre, le plus fou et le plus déviant de son auteur Teruo Ishii. Et qui connait un peu de sa filmographie sait que cela place déjà la barre assez haut.
Toujours trop méconnu en France malgré quelques éditions DVD chez HK Vidéo il y a quelques années et un incontournable Blind Woman’s Curse en Bluray chez Bach Films en 2018, Teruo Ishii est pourtant considéré au japon comme « The King of Cult ». Un roi du cinéma de l’exploitation bien intégré au sein de la logique des studios qui passera sans faiblir des films de super-héros japonais (ancêtre donc des futurs sentai), aux comédies geisha, aux films de prison, de yakuza, aux drame pervers érotiques, aux films de sabre et aux célébrations historiques de la torture à travers les âges. Du cinéma bis, populaire, brassant les modes avec désinvolture, mais constamment auréolé d’une maitrise impressionnant du cadre, de la photo et du montage, et une propension vite notable à une ironie aussi mordante qu’une fascination pour les zones d’ombres de la société nippone. En ce sens, le rarissime L’Effrayant Docteur Hijikata nous apparait comme une certaine forme d’aboutissement, une logique menée à son paroxysme dans une carte blanche offerte par la Toei (qui le regrettera vite) pour service et succès rendus, où il est frappant d’observer qu’il n’appartient justement à aucune case, se situant en équilibre précaire au carrefour de multiples genres, tiraillé entre un classicisme solide et des expérimentations formelles parfaitement placées entre deux décennies.
Doctissimo
Ishii adapte donc ici l’illustre et incontournable Edgowa Ranpo, maitre du polar noir et baroque à la japonaise, mais n’hésite pas déjà à télescoper plusieurs nouvelles, à multiplier les références et les emprunts accentuant fermement l’aspect serial du récit. Cette trame au contour d’enquête tortueuse d’un étudiant en médecine qui se réveille dans un asile (c’est déjà prometteur), emprunte alors la route de la quête identitaire croisant sur sa route (brièvement) le monde du cirque, puis une complexe histoire de double dont il prendrait la place au sein d’une famille notable. Un Japon d’après-guerre aux apparences déjà trouble, mais dont il va pénétrer la sordide réalité en mettant les pieds sur l’ile du fameux docteur, patriarche mystérieux qui tire les ficelles depuis son empire décadent peuplé d’êtres déformés et de monstres improbables qu’il a lui même crée. Incarné par Tatsumi Hijikata, meneur d’une école de la danse Butoh faite de gestes et de poses stylisés et exagérées pour signifier la douleur et la souffrance, celui-ci entraine alors l’univers du film dans une dance déglinguée, panorama de l’enfer aux lisières du psychédélisme qui invoquent autant les effluves les plus douteuses du cinéma bis que les jaillissements cauchemardesques du Salo de Pasolini comme pour mieux figurer un autre cauchemars de la Seconde Guerre Mondiale : les victimes de deux bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki.
Fascinant et révulsant, horrible et beau à la fois, L’Effrayant Docteur Hijikata scrute la vengeance d’un homme repoussé pour sa difformité et qui dans sa vengeance reproduit le modèle totalitariste qu’il répudie, mais aussi un pays trop enclin à oublier ses blessures et sa barbarie, et à cacher ses perversions sous le tapis… Jusqu’à ce qu’elles lui sautent à la gorge. Des pires sévices à l’inceste, rien ne nous est épargné ici dans une résolution étonnement énoncée comme un opus tranquille de vieux roman policier, mais où les explications sont bien plus folles et malades que le voyage ne le laissait déjà supposer. La photo est sublime, la mise en scènes élégante et inventive… Un superbe tableau pour un film mutant et définitivement monstrueux.
Image
Restauré il n’y a pas si longtemps au Japon à partir d’un scan 2K des négatifs, le film de Teruo Ishii est certainement en meilleur forme que jamais. Ce qui n’est pas si dur tant les anciennes copies distribuées au cours des années ne faisant franchement pas honneur à l’objet. On est ici encore loin de la perfection, les nombreux défauts d’origines ayant été trop nombreux pour tous êtres évacués et persistent encore à l’écran quelques variations de colorimétrie (certains passages penchent vers le filtre jaunâtre), des restes de petites taches et quelques fluctuations du grain. Mais le master n’en est pas moins plus qu’appréciable puisque délivrant une définition bien solide et ferme, un grain de pellicule retrouvé, des argentiques souvent radieux et une colorimétrie élégamment contrastée.
Son
Du coté de la piste mono japonaise, on ressent aussi les affres des années avec quelques distorsions entendables ou de réguliers petits effets de saturations dans certains dialogues. Cependant là aussi le travail effectué est évident avec des dialogues dans l’ensemble très clairs et un équilibre éprouvé avec les sources musicales.
Interactivité
Pas toujours facile, facile, d’être un éditeur français. Là où les éditions anglaise et US d’Arrow proposent une interview inédite du scénariste et un sujet sur le style et la carrière de Ishii en compagnie de Shinya Tsukamoto et Minoru Kawasaki, celle du Chat qui fume doit se contenter d’une présentation de Julien Sévéon. Celui-ci mène son sujet avec précision, revient sur la carrière d’artisan bis du metteur en scène, sur les emprunts à Edogawa Ranpo, sur les particularismes du film…Idéal pour ceux qui n’avaient pas encore mis un pied dans ce cinéma-là.
Liste des bonus
Teruo Ishii par Julien Sévéon, Film annonce.